La viande de cheval
[reportage du 19 février 2004]
Avez-vous remarqué qu'on trouve
maintenant de la viande chevaline dans presque toutes les
grandes surfaces? Il n'y a pas si longtemps, la viande de
cheval n'était disponible que dans les boucheries
spécialisées. Mais pour bien l'apprécier,
il faut passer par-dessus le tabou de manger cet animal,
noble et amical. Un tabou qui ne date pas d'hier...
Octobre 1757 : la famine fait rage en Nouvelle-France.
Les autorités proposent une solution, nous dit l'historien
Jacques Lacoursière : « On s'est dit
: "On a trop de chevaux". C'est pour cela que le
gouverneur Vaudreuil, le général Montcalm, Lévis
et l'intendant Bigot organisent un repas de cheval pour montrer
à la population, et surtout à l'armée
et aux miliciens, que le cheval peut se manger. »
Au
menu de ce repas
Petits pâtés
de cheval à l'espagnole
Cheval à la mode
Escalope de cheval
Filet de cheval à la broche
Semelles de cheval au gratin
Frigousse de cheval
Langue de cheval boucanée
Gâteaux de cheval
« Lévis va même menacer de mort les
soldats qui ne veulent pas manger de cheval, poursuit M. Lacoursière.
Mais les Canadiens ne veulent pas manger de cheval. Ils se
disent : "On ne mange pas son meilleur ami". »
Même
si le cheval est encore notre ami, il n'est plus de nos jours
un animal aussi sacré qu'il y a 300 ans. Les interdits
et les tabous entourant cette viande sont encore très
présents, mais les mentalités commencent à
changer : de plus en plus de gens mangent de la viande
de cheval et en apprécient le goût et les qualités.
Michel
Boulais exploite une boucherie chevaline depuis 25 ans :
« Il y a 25 ans, les gens nous prenaient pour
des cannibales, nous autres qui étions des bouchers...
Maintenant, entre autres à cause de l'arrivée
d'autres viandes sur le marché, la viande chevaline
est vue d'un il différent par la clientèle.
On l'a ennoblie, je dirais. »
Il
y a quelques années, Michel Boulais a déménagé
sa boucherie Le Prince noir rue Saint-Denis, à
Montréal. La viande de cheval y côtoie la volaille
et le gibier. En plus, il exploite un restaurant où
il propose ses meilleures recettes pour faire connaître
et apprécier la viande de cheval.
« La
viande chevaline est particulièrement saine, estime
M. Boulais. Elle est légère, d'un beau
rouge et vient d'un animal noble. Il faut la manger avec respect.
Je pense que c'est une question de culture, d'ouverture d'esprit.
Mes produits sont frais et viennent directement de chez des
éleveurs et des cultivateurs que je connais et qui
prennent soin de leur élevage. »
Très maigre et riche en fer, la viande de cheval s'est
gagné la faveur des gens qui surveillent leur alimentation.
Elle est aussi reconnue comme étant particulièrement
tendre, une qualité qui augmente avec l'âge de
l'animal.
« Son goût est fin, plus sucré et
moins prononcé que le buf, croit M. Boulais.
Donnez-en à de jeunes enfants et ils ne voudront plus
manger du buf. On retrouve presque les mêmes coupes
dans la viande de cheval que pour tous les animaux :
le faux-filet, le filet mignon, les steaks de surlonge, les
bavettes, les hampes, l'épaule, etc. »
Mais
c'est d'abord crue que la viande de cheval est connue des
amateurs. Le tartare de cheval est à ce point apprécié
que Michel Boulais a développé sa propre
recette, à l'huile de chanvre et au caviar. Quand on
la cuit, la délicate viande de cheval demande des soins
particuliers. Il faut la saisir rapidement afin d'en conserver
les sucs, et ne pas trop la cuire, pour éviter qu'elle
ne durcisse.
C'est d'abord pour le goût et la texture que les amateurs
mangent la viande de cheval.
Quelques
commentaires de clients de M. Boulais
« C'est
d'une tendreté! Manger ça bleu,
c'est exquis. »
« Problème
d'éthique? Non, pas du tout. Que ce soit
du cheval ou du buf, ça ne fait
aucune différence pour moi. »
« J'ai
découvert le tartare de cheval. C'est
vraiment... j'ai de la difficulté à
décrire le goût... il fond vraiment
dans la bouche. Il n'y a pas de gras dedans. »
« Je
connais des gens qui ont des chevaux et j'ai
déjà fait de l'équitation,
mais j'aime quand même ça, manger
du cheval. Ce n'est pas ça qui va m'en
empêcher. »
« La
première fois que j'y ai goûté,
j'avais beaucoup d'appréhensions. Mais
il faut les enlever de nos têtes. Ce n'est
pas vraiment différent du buf.
Quand elle est bien assaisonnée et bien
préparée, cette viande est excellente. »
Les
grands élevages de chevaux destinés à
la consommation humaine sont peu nombreux. Au Canada, on en
retrouve seulement quelques-uns, dans l'ouest du pays. Quelque
90 % de la production de viande de cheval est exportée
principalement vers l'Europe. Chaque pays a ses préférences :
les Italiens préfèrent une viande pas trop maigre,
contrairement aux Belges qui l'aiment très maigre;
les Japonais l'aiment persillée et les Français
ainsi que les Québécois veulent une viande plus
tendre, provenant de bêtes plus âgées.
Au
Québec, les supermarchés offrent maintenant
de la viande chevaline à leur comptoir de boucherie.
Le prix du cheval est à peu près semblable ou
un peu plus élevé que celui du buf, selon
la coupe de viande choisie et l'endroit où on l'achète.
À noter : le cheval haché est toutefois
moins cher que le buf haché extra maigre (6,50 $ / kg
plutôt que 9 $ / kg).
Même si les qualités de la viande de cheval sont
reconnues, beaucoup de gens n'osent pas y goûter. Le
tabou est encore très présent. « Notre
éducation modèle notre perception du cheval
comme étant un animal qu'on ne doit pas manger, confirme
M. Lacoursière. Tant qu'on aura cette idée-là,
tant que nous n'aurons pas désacralisé le cheval,
d'une certaine façon, nous aurons des réticences
à le retrouver sur la table. »
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