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La génétique et l'environnement jouent un rôle important dans l'apparition du trouble lié à l'usage de l'alcool (TLUA).  | Photo : Getty Images / dikushin

Il y avait toujours une excuse pour prendre un verre dans la famille paternelle de Katherine Caisse-Roy. Que ce soit lors d’un après-midi ensoleillé ou de funérailles, l’alcool était omniprésent pendant les rassemblements. Et plusieurs y avaient même développé une dépendance. Mais cette dépendance était abordée à demi-mot entre deux blagues pour atténuer la lourdeur associée à cet historique familial.

La première fois que j’ai goûté à l’alcool, je devais avoir 8 ans, se souvient la Montréalaise Katherine Caisse-Roy. Mon père voulait que j’essaie de prendre une petite gorgée d’un whisky à l’érable parce que j’aimais cette saveur-là. Ma grand-mère lui avait dit : "Fais attention à ce qu’elle ne devienne pas alcoolique! Ça va en faire une de plus." Eh bien, c’est ce qui est arrivé.

Les soirées arrosées se sont enchaînées dès que Katherine Caisse-Roy a été en âge de boire de l’alcool et se sont poursuivies jusqu’au début de sa trentaine. Et la jeune femme ne buvait pas seulement à la tombée de la nuit. Pour guérir un lendemain de veille… quoi de mieux que des mimosas? Toutes les occasions étaient bonnes pour prendre un verre. L’histoire se répétait; un vrai cercle vicieux.

Katherine est surprise de ne pas avoir su déceler plus tôt les signes de sa dépendance à l’alcool, même si elle en manifestait beaucoup. Après tout, elle a vu plusieurs de ses proches en souffrir, dont son père. Je buvais jusqu’à être malade très souvent. Un verre ou deux, ce n’était jamais assez, ajoute-t-elle.

L’alcool, c’est de famille

Devrait-on faire preuve d’une plus grande vigilance quand une personne de la famille a une dépendance à l’alcool? Probablement. Le bagage héréditaire(Nouvelle fenêtre) joue un rôle important dans l’apparition du trouble lié à l’usage de l’alcool (TLUA), qu’on appelle plus couramment alcoolisme. Une foule de gènes(Nouvelle fenêtre) sont responsables de cette prédisposition qui rend aussi vulnérable au développement de maladies associées à la consommation de cette substance, comme le cancer.

Selon le rapport(Nouvelle fenêtre) de 2022 d’Éduc’alcool à ce sujet, les plus récentes données démontrent que la génétique explique environ 50 % du risque de développer un TLUA, alors que les comportements acquis, surtout issus de l’environnement familial et social, expliquent l’autre 50 %.

« Le parallèle peut se faire avec le diabète. S’il y a présence de diabète dans la famille, on va faire attention et adopter des habitudes qui diminuent les risques d’en développer. C’est un peu ce qu’on doit faire avec le trouble lié à l’usage de l’alcool. »

— Une citation de  Marie-Pierre Dubé, directrice du Centre de pharmacogénomique Beaulieu-Saucier de l’Université de Montréal

En plus de la génétique, la fréquence de consommation, la quantité d’alcool ingérée et l’environnement dans lequel on boit auront un effet sur le corps.

La façon dont l’alcool interagit avec ces différents organes dépend de plusieurs éléments, comme des enzymes, des hormones ou des neurotransmetteurs, dont les fonctions sont dictées par le code génétique, peut-on lire dans le rapport d’Éduc’alcool.

L’effet apaisant de l’alcool a par exemple plus de portée chez certaines personnes que chez d’autres. En raison d’une sensibilité accrue dans quelques zones du cerveau, dont celle responsable de la régulation de l’anxiété, l’alcool procure à ces gens un sentiment profond de relaxation, ce qui peut contribuer au développement d’un TLUA dans le but de gérer leurs émotions.

D’autres, à l’inverse, ne métabolisent pas bien l’alcool à cause de leurs variations génétiques, ce qui affecte la transformation de l’alcool dans le corps. Résultat : lorsqu’ils boivent de l’alcool, ces gens ont souvent des maux de tête, des nausées ou d’autres réactions physiques désagréables. Davantage présentes chez les personnes d’origine asiatique, ces mutations génétiques freinent les risques de développer un TLUA.

Bien tenir l’alcool

Katherine Caisse-Roy a arrêté de boire pendant la pandémie. Elle a alors rapidement pris conscience des multiples conséquences que sa consommation d’alcool a eues sur sa vie. Elle a depuis fondé le groupe social montréalais Sober Club(Nouvelle fenêtre), qui a pour but d’organiser des rassemblements pour des personnes sobres ou celles qui cherchent à le devenir.

Avec du recul, elle voit très bien comment son bagage familial a contribué à son problème de consommation d’alcool. La génétique a bien sûr eu son rôle à jouer, mais l’environnement aussi.

«  Je savais que c’était commun chez mes proches. Au lieu d’éviter l’alcool, j’ai juste poursuivi la tradition familiale. Je me l’explique mal parce que j’étais au courant du problème. »

— Une citation de  Katherine Caisse-Roy

La directrice générale d’Éduc'alcool, Geneviève Desautels, soutient que personne n’est égal face à l’alcool, comme quant à bien d’autres choses. Ce n’est pas à 18 ans, quand les jeunes sont autorisés à boire, que l’éducation commence, note-t-elle. Il y a un héritage familial, transmis à travers des comportements observés par les enfants, qui construit leur rapport à cette substance.

L’an dernier, le Centre canadien sur les dépendances et l’usage de substances(Nouvelle fenêtre) (CCDUS) a dévoilé des directives quant à la consommation d’alcool qui ont fait réagir. L’organisme qui soumet ses recommandations à Santé Canada a déclaré que  boire ne serait-ce qu’un verre par semaine peut poser des risques pour la santé.

Dans une étude controversée du Centre canadien sur les dépendances et l’usage de substances, on stipule que que de consommer 3 à 6 verres d’alcool par semaine augmente le risque de plusieurs cancers.
Dans une étude controversée du Centre canadien sur les dépendances et l’usage de substances, on stipule que que de consommer 3 à 6 verres d’alcool par semaine augmente le risque de plusieurs cancers.  | Photo : Radio-Canada / L'épicerie

L’étude(Nouvelle fenêtre) soutient que même une faible consommation augmente les risques de développer des maladies, dont le cancer et des problèmes de cœur. Santé Canada n’a toujours pas modifié les quantités recommandées. Depuis plus d’une décennie, l’organisation(Nouvelle fenêtre) conseille aux femmes de limiter la consommation d’alcool à deux verres par jour et, aux hommes, à trois par jour.

Une meilleure relation avec l’alcool

Pour Katherine Caisse-Roy, la solution a été de ranger la bouteille pour de bon. J’ai pris un dernier margarita, puis c’était fini, dit-elle.

Marie-Pierre Dubé, qui siège au conseil d’administration d’Éduc’alcool, encourage les gens à remettre en question les motivations derrière leur consommation d’alcool.

« Pourquoi je bois? Qu’est-ce que ça m’apporte? Pourquoi bois-je autant? Il y a des situations où on boit pour de mauvaises raisons et il faut s’interroger sur les conséquences que ça a sur nous et sur les gens autour de nous. »

— Une citation de  Marie-Pierre Dubé, généticienne

La professeure considère que la modération s’articule différemment pour chacun et chacune. Certaines personnes vont opter pour deux verres par semaine alors que d’autres vont boire deux verres par année. La recette qui va fonctionner demeure très personnelle, précise-t-elle.

Geneviève Desautels suggère d’évaluer sa consommation d’alcool en se posant des questions qui portent sur trois thèmes : la motivation (est-ce pour améliorer ou pour compenser quelque chose?), le contexte (est-ce fait en groupe ou en solitaire? Suis-je en mesure de m’arrêter?) et l’effet (quelles sont les conséquences sur ma santé mentale, physique et sociale?). C’est une bonne façon de prendre du recul, peu importe son type de consommation.

La génétique et l'environnement jouent un rôle important dans l'apparition du trouble lié à l'usage de l'alcool (TLUA).  | Photo : Getty Images / dikushin