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La magie de Noël est-elle créée par le travail invisible des femmes? | Photo : Radio-Canada / Marie-Pier Mercier

Les tables abondantes, les décorations festives et les cadeaux personnalisés du temps des Fêtes cachent une planification minutieusement exécutée… par bien des femmes. Les Fêtes sont loin d’être une période de repos pour une majorité de mères, qui se transforment en lutins pour créer de leurs mains cette fameuse magie de Noël. À quand un partage égalitaire du travail invisible avec le père Noël?

L’an dernier, nous sommes allés au village du père Noël en Beauce, se souvient Gabrielle, qui préfère se confier dans l’anonymat comme toutes les mères avec qui nous avons parlé. J’ai planifié la sortie et je me suis assurée que nous avions tout : les habits de neige des enfants, la poussette, les lunchs et ce dont j’avais moi-même besoin. Une fois arrivés, mon conjoint me demande : Où sont mes pantalons d’hiver?Je m’occupe déjà des affaires des petits, et il compte sur moi pour les siennes.

La mère de deux enfants observe qu’elle est chargée de l’ensemble des tâches liées aux Fêtes. Son conjoint, lui, s’occupe de son cadeau d’échange. La jeune femme note qu’elle doit veiller à la planification des choses à faire, comme l’achat de pyjamas de Noël, qu’elle va ensuite confier à son partenaire qui ira ensuite les acheter. Il va me demander quelle grandeur et à quel endroit se les procurer, par contre, ajoute-t-elle.

« C’est frustrant, cette charge mentale, mais c’est pas mal comme ça dans tout. On est très loin de l’égalité en termes de charge mentale. »

— Une citation de  Gabrielle

La charge mentale, c’est tout ce qui se fait avant l’activité elle-même, de la définition de la tâche, à sa planification jusqu’à son organisation.

Pour Anne-Sophie, il est aussi essentiel de créer des moments mémorables pour sa fille pendant cette période. Un désir dont elle porte seule les responsabilités. La trentenaire s’occupe des décorations, des événements, du choix des cadeaux et des commissions inhérentes.

« Aujourd’hui, je me rends compte à quel point les femmes de mon entourage travaillent fort pour que les Fêtes soient réussies. J’essaie de me mettre moins de pression, mais c’est difficile. »

— Une citation de  Anne-Sophie

Le père Noël est une femme invisible

Démarrez la journée en douceur en mettant la table et en finalisant la décoration.
Démarrez la journée en douceur en mettant la table et en finalisant la décoration. | Photo : iStock / SeventyFour

Eh non! la magie des Fêtes ne se crée pas en claquant des doigts. Les festins de Noël non plus. L’image des femmes affairées dans la cuisine pendant que les hommes et les enfants profitent de la soirée reste ancrée chez bien des gens.

« Malgré certains progrès en matière de division du travail dans les couples hétérosexuels, il existe toujours une tendance lourde selon laquelle les femmes s’occupent des tâches liées à l’organisation familiale.  »

— Une citation de  Camille Robert, doctorante et chargée de cours en histoire à l’Université du Québec à Montréal (UQAM)

De 1986 à 2015, le temps que les hommes consacrent aux tâches domestiques n’a pas augmenté de manière notable. Selon Statistique Canada(Nouvelle fenêtre), une hausse de 24 minutes a été enregistrée.

Autrice du livre Toutes les femmes sont d'abord ménagères : histoire d'un combat féministe pour la reconnaissance du travail ménager, Camille Robert estime que les Fêtes apportent une charge supplémentaire pour les femmes et les mères.

Camille Robert est candidate au doctorat en histoire à l’UQAM.
Camille Robert est candidate au doctorat en histoire à l’UQAM. | Photo : Radio-Canada / Christian Côté

Dans les couples hétérosexuels, les hommes vont souvent être dans l’exécution des tâches, note-t-elle. Les femmes vont planifier, organiser et structurer ce qui doit être fait en disant à leurs conjoints ce qu’ils doivent accomplir. C’est un travail invisible de devoir penser à tout ça seules.

D’après les données de l’Institut de la statistique du Québec(Nouvelle fenêtre) de 2018, les femmes de 15 ans et plus accordent environ une heure de plus par jour que les hommes aux tâches domestiques.

Laurence, maintenant séparée de son conjoint, se souvient de la pression ressentie dans son couple alors qu’elle était responsable de l’ensemble de la charge mentale, notamment à Noël. Souvent, c’était des choses qui ne paraissaient pas urgentes ou essentielles, dit-elle. Ça me faisait sentir que ce travail-là que je faisais n’était pas important, alors que c’est ce que ça prend pour créer de beaux moments à Noël. Le déni de l’existence de la charge mentale a rendu le poids de cette réalité encore plus lourd pour la mère de deux enfants.

« La magie des Fêtes se planifie d'avance. Et comme tout ce qui se planifie d’avance, ce sont les femmes qui en sont responsables. »

— Une citation de  Laurence

Le coût de la charge mentale

L' achat de cadeaux personnalisés repose souvent sur les femmes.
L' achat de cadeaux personnalisés repose souvent sur les femmes. | Photo : iStock

Marianne-Sarah Saulnier, chercheuse à l'Observatoire québécois des inégalités, considère que ne pas reconnaître ce travail invisible demeure chose commune.

Même chez des gens qui se considèrent comme égalitaires, le grand problème est dans le fardeau invisible, dans la charge mentale, explique la chercheuse. Il y a une charge associée à des tâches qui peuvent paraître banales, surtout lorsqu’elles impliquent de faire plaisir aux autres, de décorer, de cuisiner, comme c’est le cas pendant les Fêtes.

Lorsque ce travail devient invisible parce qu’il est considéré comme insignifiant, son apport n’est pas reconnu au sein des couples, ce qui peut occasionner de la frustration et des inégalités. Afin de se libérer du temps pour sa vie familiale, Gabrielle occupe un emploi qu’elle estime peu exigeant. Mais pendant les Fêtes, la conciliation lui semble impossible.

« Ce sont des choses qui dépassent la bonne volonté du couple. Il existe des structures sociales lourdes qui font en sorte que cette division du travail est maintenue. »

— Une citation de  Camille Robert, autrice.

Les inégalités vécues au sein du couple durant les Fêtes ne constituent que la pointe de l’iceberg. L’Institut de la statistique du Québec(Nouvelle fenêtre) a dévoilé qu’en 2022, les hommes gagnent 3,25$ de plus par l’heure que les femmes. Camille Robert explique que ces inégalités salariales poussent bon nombre de femmes à prendre une grande partie du congé parental pour éviter une diminution du revenu familial. Cette décision motivée par des raisons économiques va ensuite avoir des répercussions sur la division du travail.

Selon un rapport du Conseil du statut de la femme(Nouvelle fenêtre), le partage égalitaire du congé parental favorise une plus grande implication des pères auprès des enfants. Ce partage des responsabilités et du travail domestique est gage d’une plus grande égalité économique dans le couple en plus d’assurer un équilibre entre la vie professionnelle et familiale des parents.

Ne rien laisser au hasard

« Nous avons vu nos mères et nos grands-mères s’occuper de toutes les tâches liées à Noël et se démener comme jamais pendant les Fêtes. Les filles reprennent ce modèle un peu sans s’en rendre compte. »

— Une citation de  Marianne-Sarah Saulnier, chercheuse à l'Observatoire québécois des inégalités.

L’autrice Camille Robert conseille aux couples de ne pas se concentrer seulement sur l’exécution des tâches, mais de tenir compte également de la planification de celles-ci. Ensemble, les parents peuvent par exemple déterminer les menus, dresser les listes d’épicerie et partager équitablement les activités liées aux repas en amont afin d’éviter qu’une seule personne en soit responsable.

Il y a bien entendu des exceptions. Il existe des couples hétérosexuels où l’homme prend en charge une partie de la planification. Pour la grande majorité de la population toutefois, le changement de mentalité ne se fera pas du jour au lendemain. La chercheuse à l'Observatoire québécois des inégalités estime que les représentations dans la culture populaire doivent changer afin d’encourager la mise en place de modèles différents plus égalitaires.

La magie de Noël est-elle créée par le travail invisible des femmes? | Photo : Radio-Canada / Marie-Pier Mercier