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Comment être un Grinch sans gâcher Noël?  | Photo : Radio-Canada / Marie-Pier Mercier

Pas besoin de voler les sapins du voisinage pour se faire coller l’étiquette de Grinch de Noël! Quiconque ose remettre en question la pertinence de cette fête crée l’émoi autour de soi. Entre capitalisme et pression de performance, les raisons qui permettent de justifier cette hantise des Fêtes sont pourtant nombreuses. Tant qu’on ne les nomme pas trop fort...

Sandra Chabot, mère de trois jeunes enfants, appréhende Noël. Ça n’a pourtant pas toujours été le cas. Au Venezuela, cette fête l’a enchantée pendant toute sa jeunesse. Toutefois, son arrivée dans l’hiver canadien, il y a déjà plusieurs années, a refroidi cet amour.

« Je dois recevoir et je trouve ça très confrontant puisque je dois fêter Noël d’une façon qui n’est pas représentative de qui je suis. »

— Une citation de  Sandra Chabot, mère de trois enfants.

Ce malaise, elle l’attribue au conflit de valeurs qu’elle ressent par rapport au Noël nord-américain. Le gaspillage alimentaire est une réalité que je trouve déchirante pendant cette période. Venant d’un pays où une partie de la population peine à manger, je suis très consciente de ça. Je trouve qu’il y a un déni de cette surconsommation, alors que les Fêtes doivent être autour du partage et de la générosité, croit-elle.

Décoration d'un sapin de Noël
Décoration d'un sapin de Noël | Photo : Getty Images / fotostorm

Victoria Gauthier-Dumoulin avoue quant à elle que le côté commercial des Fêtes la dégoûte un peu. La trentenaire associe Noël à ce moment où elle était tirée de tous les côtés étant enfant. Le divorce de ses parents l'a poussée à devoir participer à de nombreuses réunions familiales en très peu de temps, ce qui a contribué à son épuisement.

À l’âge adulte, ce que j'aime le moins, ce sont les échanges de banalités et les discussions (ou débats) sur des enjeux sociopolitiques avec des membres de ma famille éloignée que je ne vois qu’une seule fois par année, explique-t-elle. Je n’ai pas envie de m'obstiner avec un cousin que je ne fréquente jamais et qui a des idées à l’opposé des miennes. Ça détruit vite l’ambiance.

Les deux grincheuses de Noël partagent toutefois ce désir de ne pas gâcher l’expérience des autres. Mais comment composer avec cet inconfort quand tous les soupers sont censés être si magiques?

Selon Victoria Gauthier-Dumoulin, il est essentiel que les adeptes de Noël évitent de juger les personnes pour qui ce moment de l’année représente un défi. Les situations familiales, sociales et économiques influencent grandement la relation que les gens entretiennent avec cette fête. Nous n’avons pas tous et toutes les mêmes réalités et les mêmes opportunités, ajoute-t-elle.

Noël est synonyme de générosité, vraiment?

Une pile de cadeaux de Noël sur une table en bois devant une décoration de Noël.
Une pile de cadeaux de Noël sur une table en bois devant une décoration de Noël. | Photo : iStock / ArtistGNDphotography

L’historien Laurent Turcot soutient que la fête de Noël telle que la population québécoise la connaît aujourd’hui est drapée d’un voile chrétien, mais qu’elle demeure d’origine capitaliste.

« C’est assez paradoxal que certaines personnes parlent d’enlever ce côté capitaliste à Noël alors que c’est sa fonction première. »

— Une citation de  Laurent Turcot, historien

Un saut de plus d’une centaine d’années en arrière permet de saisir la construction du modèle actuel de Noël. La publication du conte A Christmas Carol (Un chant de Noël, en français) de Charles Dickens, en 1843, a cimenté de nombreuses traditions perpétuées encore aujourd’hui. L’auteur britannique décrit des scènes familiales de célébrations incluant une dinde et un arbre de Noël.

C’est à la fin du 19e siècle que s’opère une désacralisation de la fête religieuse. Aux oubliettes les rites très religieux! Les traditions familiales font leur entrée et vont demeurer centrales.

La religion perd là où la famille prend la pleine mesure de ce que doit être Noël. C’est avant tout une fête de famille doublée d’une fête de cadeaux, explique Laurent Turcot.

Le professeur d’histoire à l'Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR) explique que la pression augmente après la Seconde Guerre mondiale. Les gens ont plus d’argent. C’est une mise en scène de soi et de la famille. Tout doit être beau, tout doit être bon pour impressionner.

L’historien Laurent Turcot
L’historien Laurent Turcot  | Photo : Radio-Canada / Guillaume Piedboeuf

« Aujourd’hui, au Québec, les gens peuvent bien avoir une superbe table, ce qui est souvent le plus intéressant, ce sont les contre-soirées. Des partys de cuisine où tout le monde est autour de l’îlot. On se met une pression de la tradition alors que cette tradition est inventée. On a tout à fait le loisir de ne pas y adhérer. »

— Une citation de  Laurent Turcot, historien

Laisser tomber la tradition

Sandra Chabot et Victoria Gauthier-Dumoulin parlent à demi-mot de leur hantise de Noël. Ne pas aimer le père Noël et l'ensemble de ses traditions, c’est tabou.

On ne s’en rend pas compte, mais la société infuse des modèles qui nous perforent et qui nous donnent des idéaux à atteindre, estime Laurent Turcot. Si on regarde les films, les chansons et l’esthétisme de Noël, ça renvoie à la famille heureuse qui s’assemble. Ne pas y participer, c’est comme si on refusait la gentillesse associée à Noël.

Geneviève Beaulieu-Pelletier, psychologue, considère que cette pression ambiante du bonheur pendant les Fêtes contribue à éteindre le plaisir. Elle conseille plutôt d’accepter l'inconfort ressenti, par exemple en créant de nouvelles traditions ou en profitant de ce moment pour se reposer.

La psychologue Geneviève Beaulieu-Pelletier
La psychologue Geneviève Beaulieu-Pelletier  | Photo : Gracieuseté : Geneviève Beaulieu-Pelletier

« Il ne faut pas présumer que tout le monde aime Noël. Si on s’attend à ce qu’un événement rallie l’ensemble de la population, on se trompe déjà. Chaque expérience est influencée par le parcours unique des individus, ce qui fait que ces gens en tirent des sentiments différents. »

— Une citation de  Geneviève Beaulieu-Pelletier, psychologue

Pour le réveillon, Sandra Chabot compte jouer avec les traditions pour s’aligner avec ses valeurs. Je ne vais pas servir des plats typiques comme de la tourtière. À la place, j’ai décidé d’opter pour des bouchées, ce qui me plaît davantage. La limite des cadeaux pour les enfants a été fixée à un seul par personne, alors ils ne seront pas submergés de jouets qu’ils n'utilisent pas , explique Mme Chabot.

Victoria Gauthier-Dumoulin tente quant à elle de créer de nouveaux rituels qui lui ressemblent davantage. La décoration d’un petit sapin naturel avec des ornements à son image lui évite de tomber dans un esprit de Grinch à l’approche des célébrations. Et quand son grincheux intérieur se pointe le bout du nez… elle s’offre une soirée en solitaire où il peut s’exprimer en toute liberté.

Comment être un Grinch sans gâcher Noël?  | Photo : Radio-Canada / Marie-Pier Mercier