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Des Canadiens et Canadiennes se rendent aux États-Unis pour visiter les épiceries Trader Joe's.  | Photo : Radio-Canada / Marie-Pier Mercier

Oubliez les randonnées pédestres et les villes bucoliques du Vermont. Des touristes du Québec visitent maintenant cet État américain pour un arrêt précis : le Trader Joe’s. Ses produits distinctifs, l’expérience unique en magasin et le personnel plus que courtois ont fait la renommée de cette épicerie, si bien que la population canadienne parcourt aujourd’hui des centaines de kilomètres pour y faire son marché.

Environ 120 kilomètres séparent Montréal de l’épicerie Trader Joe’s, à Burlington, au Vermont. Mais la créatrice de contenu Eve Martel n’hésite pas à prendre le volant pour s’y rendre. Au Canada, il n’y a rien de comparable, note-t-elle. On y trouve des produits uniques de la marque maison et, comme des écureuils, on fait provision de nos articles préférés.

Le Trader Joe’s est reconnu aux États-Unis pour sa clientèle fanatique. Ses épices iconiques comme Everything But The Bagel (tout sauf le bagel, en français), ses tartinades telles que celle à la sauce buffalo, ses coupes chocolatées au beurre d’arachides et son beurre de citrouille enflamment le web.

Sur TikTok, plus de 4,8 milliards de visionnements sont associés au mot-clic #TraderJoes. Des gens créent sur les réseaux sociaux des comptes consacrés à l’analyse des produits (Trader Joe’s List(Nouvelle fenêtre) sur Instagram est suivi par 1,9 million d’adeptes) et vont même jusqu’à publier des livres de recettes(Nouvelle fenêtre) concoctées avec ces derniers.

Aucune épicerie canadienne n’arrive à la cheville de Trader Joe’s.

Les Canadiens et Canadiennes n’échappent pas à cet engouement. C’est d’abord en écoutant des vidéos sur YouTube qu’Eve Martel a découvert Trader Joe’s. L’entreprise lui a semblé être la favorite d’une multitude de personnes qu’elle suit en ligne. Quand elle se rend au Maine, un arrêt à cette épicerie est devenu obligatoire. Le service à la clientèle, la variété et l’exclusivité des produits ainsi que l’ambiance conviviale en font un incontournable pour elle.

« Je suis tombée sous le charme du Trader Joe’s à cause de son expérience de magasinage tellement unique. J’aime particulièrement ses produits saisonniers, comme ceux à la citrouille épicée. »

— Une citation de  Eve Martel

Dans une récente vidéo, la créatrice de contenu Émilie Rossignol-Arts parcourt les allées du Trader Joe’s à la recherche d’aliments inspirés des saveurs automnales. Ce voyage à cette épicerie est le premier pour la jeune femme qui a tout de suite eu envie de la découvrir en lisant les recommandations d’adeptes de la marque en ligne. J’ai acheté un lait d’avoine à la citrouille épicée que j’utilise maintenant tous les matins dans mon café, dit-elle. Il n’a fallu qu'une seule visite pour convaincre la nouvelle cliente canadienne d’y retourner.

« Il y a une ambiance chaleureuse au Trader Joe’s et le personnel est tellement gentil. J’ai rarement vécu ça dans d’autres magasins. »

— Une citation de  Émilie Rossignol-Arts

Jordan Le Bel, professeur de marketing alimentaire à l’Université Concordia, comprend bien cette popularité. Selon ce dernier, aucune épicerie canadienne n’arrive à la cheville de Trader Joe’s. Ici, le service à la clientèle est souvent médiocre. Les caisses libre-service ne sont pas optimales, estime M. Le Bel. Et les marques maison laissent à désirer. Tout se ressemble, rien ne se distingue.

Le culte de Trader Joe’s

Trader Joe's a ouvert ses portes en 1967, à Pasadena, en Californie.
Trader Joe's a ouvert ses portes en 1967, à Pasadena, en Californie.  | Photo : Getty Images / ablokhin

L’entreprise Trader Joe’s, elle, reste plutôt discrète. Malgré le torrent de contenus associés à la marque en ligne, l’épicerie ne mise pas autant sur les promotions que d’autres grandes chaînes concurrentes. Vous n’y trouverez pas de bons de réduction, de rabais ou de carte de fidélité.

Sa stratégie se base plutôt sur la création d’un culte autour de l’entreprise; un tour de force, selon Michael Roberto, professeur de commerce à l’Université Bryant, au Rhode Island.

« Chaque visite au Trader Joe’s devient une chasse aux trésors pour la clientèle. »

— Une citation de  Michael Roberto

L’épicerie change son offre régulièrement. Les produits saisonniers disparaissent aussi rapidement qu’ils apparaissent sur les tablettes, ce qui génère un engouement envers les nouveautés. Trader Joe’s ne fait pas que copier de grandes marques, explique Michael Roberto. L’entreprise crée des aliments uniques et accessibles seulement dans ses succursales. L’offre est moins grande que dans les autres grandes épiceries; cette formule élimine le stress lié au choix. Il y a peut-être deux ou trois sauces tomates au lieu d’une dizaine.

Les noms ludiques donnés aux produits et les saveurs du moment permettent de cimenter l’identité de la marque. Jordan Le Bel considère que Trader Joe’s arrive à être juste assez avant-gardiste sans brusquer la clientèle, ce qui favorise son succès.

« L’entreprise vend depuis un moment des produits à saveur de cacio e pepe [fromage et poivre], dit-il. Si l’épicerie avait fait ça il y a trois ans, les gens n’auraient pas embarqué. Mais là, elle a visé dans le mille au bon moment et ça fonctionne. » 

Selon le Wall Street Journal(Nouvelle fenêtre), Trader Joe’s génère un revenu brut moyen de 2 130 $ US par pied carré, ce qui représente le double des autres chaînes américaines. Plus de 560 épiceries sont en activité aux États-Unis.

Un personnel accueillant

On trouve très peu de technologies au Trader Joe’s, fait remarquer Michael Roberto. Il n’y a pas de caisse libre-service ni de service de commande en ligne ou de livraison. Un choix conscient, selon le professeur. L’entreprise a plutôt choisi de miser sur le service à la clientèle.

Ainsi, le remplissage des rayons a lieu le jour alors que la clientèle est présente, contrairement à de grandes entreprises comme Walmart, par exemple. Cette pratique favorise les échanges avec le personnel, qui peut ainsi conseiller les personnes souhaitant en apprendre plus sur les produits.

« Trader Joe’s embauche des gens qui adhèrent à cette culture de convivialité. Elle paie plus que d’autres épiceries et offre des avantages sociaux, ce qui lui évite d’éponger les coûts liés à une rotation constante du personnel. »

— Une citation de  Michael Roberto

Des prix abordables

Au Trader Joe’s, une banane coûte 0,19 $ US. Il y a 25 ans, une banane coûtait aussi 0,19 $ US(Nouvelle fenêtre). L’épicier les vend à l’unité et non au poids. Une autre partie de l’explication liée à ses bas prix se trouve dans l’origine des produits de l’épicier. La provenance des articles est farouchement protégée par l’entreprise.

Puisque Trader Joe’s détient une marque maison, l’entreprise achète une grande quantité d’un seul ou de deux produits d’une même catégorie, comme la sauce tomate, explique Michael Roberto. Elle arrive ainsi à réduire le prix total à payer aux fournisseurs. Elle économise aussi sur d’autres frais, comme les locaux et les stationnements.

Une enquête du média culinaire Eater(Nouvelle fenêtre) a dévoilé que la filiale Naked Juice appartenant à PepsiCo approvisionne Trader Joe’s en divers produits, dont un smoothie à la mangue composé des mêmes ingrédients qu’un smoothie similaire de la marque Naked.

Trader Joe’s au Canada

Vu cet engouement, la clientèle canadienne qui parcourt des centaines de kilomètres pour aller au Trader Joe’s n’a qu’une question : à quand une succursale au Canada? Probablement jamais, disent les spécialistes.

Aucune épicerie de cette envergure ne va vouloir ouvrir qu’une seule succursale, affirme Jordan Le Bel. Si Trader Joe’s se lance, l’entreprise doit s’installer avec des centaines d’épiceries. Target a échoué au Canada, et elle avait pourtant les reins solides.

D’après Jordan Le Bel, le marché canadien est trop petit pour qu’une entreprise comme Trader Joe’s fasse le saut de l’autre côté de la frontière. La clientèle canadienne devra donc continuer à se rendre dans des villes américaines pour y faire ses emplettes.

Le premier Trader Joe’s, fondé par Joe Coulombe, a vu le jour en 1967 à Pasadena, en Californie. L’entreprise appartient aujourd’hui au géant allemand de l’alimentation Aldi Nord. De nombreuses succursales se trouvent toujours dans leur emplacement d’origine. Le prix des loyers est moins élevé, et les stationnements sont un casse-tête pour la clientèle, qui blague en ligne sur l’impossibilité de trouver un espace pour se garer.

Des Canadiens et Canadiennes se rendent aux États-Unis pour visiter les épiceries Trader Joe's.  | Photo : Radio-Canada / Marie-Pier Mercier