Vous naviguez sur le site Mordu

Quelles sont les conséquences pour les chefs qui décident de prendre la parole concernant des sujets d'actualité? | Photo : iStock

Les chefs devraient-ils s’abstenir de commenter l’actualité sur leur plateforme, que ce soit pour prendre position en politique ou pour défendre des causes sociales? Alors que ces personnes jouissent d’une certaine notoriété et rejoignent une importante communauté sur les réseaux sociaux, elles décident parfois de se mouiller...pour le meilleur et pour le pire.

En octobre dernier, le chef Antonio Park a publié sur Instagram du contenu, maintenant supprimé de son compte, en lien avec le conflit israélo-palestinien. Presque immédiatement, son compte a été inondé de commentaires et de critiques.

Le propriétaire du restaurant Park, à Montréal, a soulevé des questions sur les affrontements à Gaza et sur les positions de l’organisme UNICEF, dont il était porte-parole avant de se retirer de ce rôle. Nous l’avons contacté, mais il a refusé de commenter.

Quand on travaille dans un restaurant ou qu’on en est propriétaire, devrait-on s’en tenir à donner des conseils sur la meilleure façon de cuire des biscuits ou à d’autres sujets en lien avec la cuisine? Comment savoir ce qui peut être publié ou non?

Prendre ou ne pas prendre position

« En tant que restaurateur, je considère que la liberté d’expression existe. Cependant, il va y avoir des conséquences. Il faut s’y attendre et s’y préparer. »

— Une citation de  Jon Cercone

Jon Cercone, propriétaire de la Taverne sur le Square, à Montréal, se questionne sur l’attention réservée au personnel de son industrie. Il y a une glorification injustifiée des gens du milieu de la restauration, pense le sommelier. Pourquoi la clientèle veut-elle savoir ce que moi, qui fais des blagues sur le vin en ligne, je pense de sujets extrêmement polarisants? Les restaurateurs et restauratrices sont devenus des célébrités locales à qui on pose ce genre de questions.

M. Cercone estime que les experts et expertes sur ces questions d’actualité demeurent les ressources vers lesquelles la population devrait se tourner pour s’informer et former sa pensée. Pour lui, il est hors de question d’émettre des opinions publiquement sur des sujets qu’il maîtrise peu, et d’impliquer de ce fait l’ensemble de son équipe sans la consulter.

Les attentes de la clientèle

La chef Dyan Solomon
La chef Dyan Solomon  | Photo : Radio-Canada / Alexis Boulianne

Même son de cloche du côté de Dyan Solomon, copropriétaire des restaurants Olive et Gourmando, Foxy et Un Po’di Più, à Montréal. La chef évite de prendre position sur des enjeux politiques et sociaux au nom de ses restaurants.

« Lorsque des sujets politiques divisent la population, les attentes de la clientèle envers les restaurants sont tout aussi divisées : des gens veulent connaître votre positionnement, d’autres préfèrent ne rien savoir. »

— Une citation de  Dyan Solomon

Selon elle, une partie de la clientèle ira manger dans des restaurants qui partagent ses valeurs politiques et sociales. Une autre choisit de se désintéresser de ces débats le temps d’un souper en évitant de s’attarder aux croyances politiques des responsables de l’établissement.

Cette clientèle va préférer ignorer ces questions, parce que si elle connaît l'opinion d'un restaurant, elle sait qu'elle va devoir se priver de son sandwich préféré.

Une incidence sur le chiffre d’affaires

En plein cœur des élections américaines de 2020, Martha Stewart a expliqué au New York Times(Nouvelle fenêtre) qu’elle ne comptait pas appuyer publiquement qui que ce soit puisque le faire serait une mauvaise décision d’affaires pour son magazine. Comment prendre position quand 50 % de ton lectorat se situe d’un côté, et 50 % se trouve de l’autre? C’est difficile. C’est ma réponse à cette question, a-t-elle déclaré à l’époque.

Critique gastronomique, Lesley Chesterman se souvient encore de cette position de la reine américaine du logis. Je crois qu’il y a plus qui compte dans la vie que les affaires, répond-elle. L’autrice considère néanmoins que faire part de ses opinions implique un travail de la part des gens qui le font et que ces personnes devraient s’en tenir à des sujets qu’elles maîtrisent. Elle soutient que ça reste un terrain très glissant où des outils sont nécessaires pour bien naviguer.

La chroniqueuse gastronomique Lesley Chesterman
La chroniqueuse gastronomique Lesley Chesterman | Photo : Radio-Canada / Marie-Eve Cloutier

« On doit savoir de quoi on parle et se tenir debout ensuite. Tout le monde a le droit de changer de point de vue, mais il faut s’expliquer. »

— Une citation de  Lesley Chesterman

Des causes rassembleuses

Toutefois, lorsqu’il est question de mouvements sociaux massifs comme #MoiAussi, Dyan Solomon observe que la majorité de la clientèle s’attend à un positionnement de la part des entreprises.

Si on prend, par exemple, l’alimentation locale ou la dénonciation des effets de la monoculture sur l’environnement, ces sujets réunissent davantage qu’ils ne divisent, ce qui fait que les gens apprécient que nous prenions position, ajoute-t-elle.

Jessica Darveau, professeure agrégée en marketing à l’Université Laval, explique que prendre position publiquement dans un domaine où on a vraiment une expertise influencera la perception de cette opinion. Mais plus on participe à un débat qui s’éloigne de notre champ d’activité, plus le risque de dérive est grand.

Parler de ses opinions publiquement mène à des résultats imprévisibles, note Jessica Darveau. Selon les recherches dans le domaine avec des exemples pris dans l’actualité, les impacts sur les ventes et l’opinion publique sont impossibles à prédire. Il peut autant y avoir des effets d’attraction ou de répulsion allant d’un gain de clientèle à un boycottage de l’entreprise.

Aux États-Unis, la chaîne de restauration rapide Chick-Fil-A(Nouvelle fenêtre) a été plongée au cœur d’une controverse alors que son fondateur Dan Cathy a exprimé à de nombreuses reprises son opposition au mariage gai, en 2012. Reconnue pour ses dons à des organismes chrétiens œuvrant contre le mouvement LGBTQ+, l’entreprise a été l’objet d’un boycottage de la part des personnes faisant partie de la communauté, mais elle a aussi observé une hausse de ses ventes en raison d’un contre-mouvement en faveur de ses positions anti-homosexuelles.

Lesley Chesterman n’hésite pas : Si je sais qu’un chef est Pro-Trump, je ne vais pas mettre le pied dans son resto. La clientèle a le choix de dépenser son argent dans un établissement qui reflète ses valeurs, note-t-elle. Et Lesley Chesterman est convaincue que les gens le font.

Quelles sont les conséquences pour les chefs qui décident de prendre la parole concernant des sujets d'actualité? | Photo : iStock