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L'autrice Alicia Kennedy présente son premier livre « No Meat Required ».  | Photo : Gracieuseté : ISRAEL MELÉNDEZ AYALA

Longtemps associé à la contre-culture, le végétarisme a pourtant été au centre de l’alimentation des siècles avant que la viande ne prenne sa place. Où en est le mouvement aujourd’hui?

Alicia Kennedy est une figure phare de la scène culinaire américaine. Née à Staten Island, à New York, elle est l’autrice d’une infolettre sur la culture culinaire, From the Desk of Alicia Kennedy(Nouvelle fenêtre), qui compte plus de 29 000 abonnements. Cette parution hebdomadaire a fait d’elle une vedette du mouvement végétarien grâce à ses analyses inclusives et (souvent) savoureuses de l’alimentation à base de plantes.

Dans son nouveau livre, No Meat Required: The Cultural History & Culinary Future of Plant-Based Eating (traduction libre : Pas de viande nécessaire – l’histoire culturelle et le futur culinaire de l’alimentation à base de plantes), elle explore le passé du végétarisme et critique les systèmes alimentaires industrialisés. Offert jusqu’à présent seulement en anglais, ce premier ouvrage fait déjà beaucoup parler de lui, notamment dans le magazine The Atlantic(Nouvelle fenêtre) et le média web Vox(Nouvelle fenêtre).

Le végétarisme, un mouvement hippie

Dans les 50 dernières années, le végétarisme a été associé à la contre-culture. Le mouvement a d’abord été lié aux hippies qui remplaçaient le chocolat par de la caroube dans les biscuits, puis aux féministes écologistes qui ont cessé de manger de la viande après leur divorce, et aux anarchistes punk qui ont voulu détruire l’État avec des recettes de chili aux pois chiches.

La viande, elle, a été adoptée en masse. Selon le rapport Global Meat & Poultry Trends(Nouvelle fenêtre), la consommation de viande dans le monde augmentera de 1,4 % en 2023. La volaille, en particulier, comptera pour 47 % du marché mondial de la viande d’ici 2031. C’est pas mal de volatiles élevés pour être cuisinés, ça.

 Encore aujourd’hui, arrêter de manger de la viande est une pratique difficile à adopter. La consommation de viande représente plus que de la nourriture dans la culture populaire; ça reste un acte très agréable, écrit Alicia Kennedy.

L’autrice estime que l’alimentation végétarienne offre des plaisirs culinaires tout aussi délicieux, en plus d’être respectueuse de l’environnement et des droits des personnes travaillant dans les systèmes alimentaires. Nous lui avons parlé.

Les conséquences de l’alimentation carnivore sur la planète ont été maintes fois couvertes par les médias. La consommation de viande, elle, ne diminue pas. Comment expliquez-vous cette popularité constante?

Manger de la viande est trop profondément ancré dans notre culture pour que nous arrêtions de le faire. Il n’y a pas en ce moment de pression culturelle suffisamment fort pour pousser les gens à réellement changer leurs habitudes alimentaires. L’impulsion politique n’y est pas non plus.

Le secteur de l’agriculture consomme à lui seul près de 70 % de l’approvisionnement en eau douce par (Nouvelle fenêtre)année. Selon certaines estimations(Nouvelle fenêtre), 1800 gallons (6800 litres) d’eau sont nécessaires pour nourrir et élever une vache afin d’obtenir une livre de viande. C’est presque 8 fois plus d’eau que pour la culture de légumes et 20 fois plus que pour obtenir des céréales.

Le modèle agro-industriel actuel, qui a rendu de grands services à l’humanité, touche aujourd’hui ses limites pour se développer.
Le modèle agro-industriel actuel, qui a rendu de grands services à l’humanité, touche aujourd’hui ses limites pour se développer. | Photo : AP / Nam Y. Huh

Nous pouvons parler de ça éternellement, mais la population ne changera pas son alimentation. Nous entretenons cette croyance que nous ne pouvons rien faire et que ce n’est pas notre responsabilité. Nous rejetons la faute sur des entreprises comme Shell à la place! Oui, il faut dénoncer les actions de certaines entreprises, mais il est essentiel de comprendre que les gens doivent faire un grand changement dans leur mode de vie aussi.

La consommation quotidienne de viande reste une habitude alimentaire assez nouvelle. La population réalise-t-elle que ces habitudes ont longtemps été difficiles d’accès?

Je voulais rappeler dans le livre que c’est très nouveau comme type d’alimentation. Les gens ne réalisent pas ça. Historiquement, l’accès à la viande a demandé beaucoup de travail. Dans certaines régions du monde, c’est toujours le cas. Traditionnellement, la diète humaine est centrée sur des aliments à base de plantes avec des viandes dans un rôle secondaire dans l’assiette.

La viande a souvent été associée à la richesse et à l’affluence. À la fin du 19e siècle, la population américaine(Nouvelle fenêtre) s’attendait à manger de la viande quasiment à tous les repas. Le message qu'envoyait cette abondance était très clair pour le reste du monde : ça voulait dire que les choses allaient bien. Maintenant, des allées de viande au supermarché n’impressionnent personne.

Pourtant, ça reste un signe que l’économie se porte bien. Sortir de cette façon de penser demeure difficile. Les gens ne réalisent pas que c’est très nouveau et que l’intégration de la viande à tous les repas provient d’un désir de créer de la richesse par une poignée d’entreprises. La consommation de viande comble un besoin idéologique associé à l’abondance et la sécurité.

Le végétarisme et le véganisme ont été embrassés par des communes hippies, des cafés punks et des communautés écoféministes à travers le temps. C’est un courant qui a d’abord été associé à la contre-culture. Quels sont les défis rattachés à l’adoption de ces modes d’alimentation par le grand public?

En ce moment, on popularise l’alimentation à base de plantes en commercialisant des produits transformés tels que de la boisson d’avoine (pour remplacer du lait de vache) et des hamburgers au soya qui saignent comme de la vraie viande. Mais ces fac-similés sont produits par des entreprises qui manquent de transparence au sujet de leurs pratiques industrielles et de leur impact environnemental. Nous nous retrouvons un peu à la case départ.

L’entreprise américaine Beyond Meat(Nouvelle fenêtre) a vu ses revenus baisser de 30 % au deuxième trimestre de 2023 en raison de la diminution de la demande. La population est en train de réaliser que ces produits sont ultratransformés et qu’ils coûtent cher, dans un climat d’inflation.

De la viande à base de plantes
De la viande à base de plantes | Photo : Getty Images / Sundry Photography

Parce que le végétarisme a toujours eu une réputation de mouvement radical, les entreprises comme Beyond Meat ont décidé d’adopter ce régime alimentaire sans la contre-culture qui l’accompagne. En faisant ça, elles ne font que créer une valeur marchande sans prendre en compte l’idéologie du mouvement, soit le respect de l'environnement, de la main-d’œuvre ainsi que des systèmes alimentaires durables et accessibles.

Certaines réponses ont été éditées par souci de clarté.

L'autrice Alicia Kennedy présente son premier livre « No Meat Required ».  | Photo : Gracieuseté : ISRAEL MELÉNDEZ AYALA