Vous naviguez sur le site Mordu

Le jeûne intermittent s'accorde-t-il bien avec la pratique de sports de haut niveau?  | Photo : iStock / Wanlee Prachyapanaprai

Le jeûne intermittent gagnent des adeptes, y compris dans le monde du sport. L'absence de consensus scientifique sur son efficacité pousse toutefois des expertes à proscrire ce régime alimentaire qu'elles jugent restrictif et risqué. On fait le point.

Le combattant retraité George St-Pierre(Nouvelle fenêtre) en vante les bénéfices sur sa performance. Depuis qu’il pratique le jeûne intermittent, ce régime qui consiste à alterner les périodes de jeûne et celles de consommation de la nourriture, son inflammation et sa rétention d’eau ont diminué, a-t-il confié au magazine américain GQ en 2021. Je dors mieux, je n’ai plus de symptômes de colite, ces crampes que j’avais ont disparu. Je me sens tellement mieux et plus affiné.

Il n’est pas le seul. Sur TikTok, le mot-clic #IntermittentFasting (jeûne intermittent, en français) a amassé plus de 1,5 milliards de vues. Dans des vidéos(Nouvelle fenêtre) devenues virales sur la plateforme, des internautes célèbrent les vertus de cette diète en l’associant avec une perte de poids rapide, une amélioration de la santé globale et une bonification des performances sportives. Contrairement à d'autres régimes, aucun aliment n'est interdit lorsque la personne n'est pas en période de jeûne.

Pour certaines personnes, ça semble fonctionner. Mais, les effets de ce régime varient grandement entre les individus et relèvent davantage de l’anecdote que de la science, selon Bénédicte L. Tremblay, nutritionniste et stagiaire postdoctorale à l’Université du Québec à Chicoutimi.

D’ailleurs, une étude(Nouvelle fenêtre) publiée dans la revue de l’American Heart Association en janvier dernier conclut qu’il n’existe pas de lien de causalité entre le jeûne intermittent et la perte de poids. Pour perdre du poids, diminuer les calories ingérées et prendre des repas moins copieux serait plus efficace que la restriction alimentaire dans des fenêtres de temps précises.

Le jeûne intermittent 101

Comment ça fonctionne? Il existe différentes variantes du jeûne intermittent, selon Bénédicte L. Tremblay: 

  • le jeûne en jours alternés (une journée sur deux)

  • le jeûne périodique (une ou deux journées de jeûne par semaine)

  • et le jeûne limité dans le temps, le plus populaire, qui consiste à manger durant une fenêtre de temps limitée, par exemple durant 6 à 8 heures par jour).

L’alimentation restreinte à une fenêtre de temps semble parfois plus facile à adopter qu’une diète où on élimine certains aliments, croit Geneviève Masson, nutritionniste du sport. C’est ce cadre, perçu comme étant plus permissif, qui expliquerait la popularité du jeûne intermittent.

Pourtant, une étude(Nouvelle fenêtre) menée sur un an auprès de 100 personnes obèses a conclu que le jeûne intermittent n’est pas plus efficace que d’autres régimes de restriction calorique. Dévoilés en 2017, les résultats ne montrent pas d’amélioration de la santé globale des participants et participantes.

Contrairement à ce qu’on pourrait croire, le jeûne intermittent n’est pas plus facile à adopter que d’autres stratégies de perte de poids. Les travaux publiés dans le JAMA Intern Med arrivent à la conclusion que le taux d’abandon est même plus élevé chez les personnes appliquant le jeûne périodique (38 %) que chez celles faisant partie du groupe en restriction calorique (29 %).

« Jeûner est une mesure assez extrême de restriction. C’est avoir faim et refuser de manger. »

— Une citation de  Bénédicte L. Tremblay, nutritionniste

Quand le dernier régime à la mode s’introduit dans le monde du sport

Geneviève Masson conseille des athlètes de haut niveau au Canadian Sport Institute Pacific. Elle a vu de nombreuses personnes s’intéresser au jeûne intermittent. Avant, c'était [des régimes éliminant] le sucre et le gras qui étaient populaires, se souvient-elle. Puis, on a vu apparaître la diète cétogène, et maintenant, c’est le jeûne intermittent.

Il est vrai que des recherches scientifiques arrivent à la conclusion que le jeûne entraîne une perte de poids. Mais est-ce cette diète spécifique qui en est responsable ou la diminution globale des calories ingérées? De plus, les populations et les contextes étudiés varient entre les travaux, ce qui rend impossible l’extrapolation des résultats à toutes les réalités.

« Je ne recommanderais jamais le jeûne intermittent aux athlètes parce qu’il n’y a pas de bénéfices assurés. »

— Une citation de  Alexia de Macar, nutritionniste du sport

Selon Alexia de Macar, cette pratique va à l’encontre des recommandations de base en nutrition sportive. Normalement, les athlètes devraient être dans un état optimal avant l’entraînement afin d’obtenir la meilleure performance. Est-ce le cas si on est à jeun?

Bénédicte L. Tremblay explique que l’organisme utilise ses réserves de glucides comme énergie lors de l’entraînement. Dans une situation de jeûne, la quantité de glycogènes (réserves de glucides) diminue rapidement, ce qui pousse le corps à se tourner vers les lipides.

« Le corps va s’adapter et utiliser un autre type de carburant, note-t-elle. Les athlètes s’intéressent au jeûne intermittent pour créer une réaction où la masse grasse va diminuer et la masse maigre sera maintenue. »

— Une citation de  Bénédicte L. Tremblay

C’est l’objectif des athlètes : obtenir une masse grasse minime (des réserves d’énergie sous forme de graisse) et une masse maigre plus importante (muscles, os, tissus, organes et liquides du corps). Cette composition corporelle est gage de succès au sein d’une multitude de sports.

Le jeûne intermittent a bel et bien été associé à une faible masse grasse et une masse maigre(Nouvelle fenêtre) maintenue chez des athlètes qui pratiquent des sports de résistance. Néanmoins, Bénédicte L. Tremblay s’interroge sur les résultats de cette étude, puisqu’elle a été réalisée sur une population déjà très active chez qui la masse grasse est forcément moindre.

Les preuves scientifiques ne permettent pas de recommander cette pratique pour les sportifs et sportives aguerris, estime Bénédicte L. Tremblay. Ce n’est pas conforme aux lignes directrices des organisations de sport et de nutrition, tant au Canada qu’à l’international.

Le jeûne intermittent comporte un risque de malnutrition chez les athlètes pour qui les activités sportives exigent une demande énergétique élevée comme le ski de fond ou la course à pied.

Il peut même causer le déficit énergétique relatif dans le sport, (Nouvelle fenêtre)un syndrome présent chez un grand nombre d’athlètes. Ce dernier survient lorsque l’athlète se retrouve à avoir un apport énergétique insuffisant par rapport à sa charge d’entraînement. Parmi les conséquences que cela entraîne, mentionnons une diminution de la densité osseuse, des troubles du sommeil, une carence en fer et un trouble associé à la synthèse des protéines.

Une restriction de plus pour les athlètes

Le risque réel d’un régime comme le jeûne intermittent? Mener vers le développement d’un trouble alimentaire. D’ailleurs, chez les athlètes, la prévalence(Nouvelle fenêtre) des troubles alimentaires est plus élevée que dans le reste de la population. Et à l’organisme Dare to Fuel Performance, qui a pour mission d’éduquer le milieu du sport sur les troubles alimentaires, les demandes d’aide ne cessent d’augmenter.

Les athlètes confient souvent à Alexia de Macar, cofondatrice de l’organisme et nutritionniste, que l’alimentation reste leur cheval de bataille principal. Ils arrivent à suivre leurs entraînements à la lettre, mais peinent à maintenir un régime alimentaire aussi rigoureusement.

Les pertes de contrôle sont très taboues, mais communes chez les athlètes, note Alexia de Macar. C’est très honteux puisque la personne a l’impression qu’elle ne fait pas bien son travail. Soit elle va manger en très grande quantité, soit elle va manger des aliments interdits. L’une des conséquences d’être très rigide avec des diètes restrictives est cette perte de contrôle.

C’est un cercle vicieux : l’athlète se tourne vers une diète pour perdre du poids, et celle-ci, par son caractère restrictif, engendre des pertes de contrôle.

Le jeûne intermittent s'accorde-t-il bien avec la pratique de sports de haut niveau?  | Photo : iStock / Wanlee Prachyapanaprai