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Les ménages composés de gens vivant seuls sont les plus répandus depuis 2016, au Canada.  | Photo : Radio-Canada / Ariane Pelletier

Quelques études ont démontré que les personnes seules et isolées adoptent des habitudes alimentaires qui peuvent nuire à leur santé. Mais entre celles qui choisissent de manger en solitaire et celles qui n’en ont pas le choix, il existe un monde de nuances.

Au Canada, les ménages composés de gens vivant seuls sont les plus répandus depuis 2016. En 2021, 4,4 millions de personnes au pays habitaient seules, comparativement à 1,7 million en 1981, selon les données de Statistique Canada(Nouvelle fenêtre). Ces personnes représentaient 15 % de tous les adultes âgés de 15 ans et plus vivant dans les ménages privés en 2021, soit la plus forte proportion jamais enregistrée , peut-on lire dans le rapport(Nouvelle fenêtre).

Cette population est plus à risque de souffrir d’une alimentation insuffisante, d’après Merin Oleschuk, professeure adjointe à l’Université de l’Illinois, qui s’intéresse aux habitudes alimentaires chez les personnes vivant seules. Son projet de recherche vise d’ailleurs à étudier cette démographie grandissante qui est souvent exclue des interrogations autour des politiques en lien avec la nourriture.

La solitude, un phénomène complexe

Mme Oleschuk souligne que l’isolement social et la stigmatisation peuvent jouer un rôle sur l’état de santé mentale. D’après l’Enquête sociale canadienne(Nouvelle fenêtre), plus de 1 personne sur 10 au pays se sent toujours ou souvent seule.

En août et septembre 2021, parmi les personnes ayant déclaré se sentir toujours ou souvent seules, près de la moitié (49 %) ont également indiqué que leur santé mentale était passable ou mauvaise, peut-on lire dans l’Enquête.

Selon la psychologue Geneviève Beaulieu-Pelletier, professeure associée à l’Université du Québec à Montréal, l’isolement entre en conflit avec l’accomplissement des besoins fondamentaux que sont l’appartenance, l’autonomie et la compétence. Le soutien social est un facteur protecteur de la santé mentale, ajoute-t-elle.

Le lien à l'autre est un besoin essentiel, note Geneviève Beaulieu-Pelletier. S'il est insatisfait, il y aura plus de détresse et de conséquences négatives.

Pas assez d’études

Oui, la science a démontré les effets négatifs de la solitude en général sur le bien-être, mais qu’en est-il des moments solitaires à table? Difficile à dire, puisque les études portant sur les liens entre les comportements alimentaires des personnes vivant seules et leur santé sont assez rares. Au Japon, une recherche(Nouvelle fenêtre) publiée en 2015 conclut que manger en solo pour les personnes âgées peut être un facteur de risque pour la dépression.

Selon un sondage britannique mené auprès de 8000 adultes par Oxford Economics et le Centre national de recherche sociale, le fait de manger en solitaire est lié plus fortement à un état malheureux que tout autre facteur, sauf les troubles mentaux.

Et les personnes qui mangent la majorité de leurs repas seules sont plus à risque de développer des maladies du cœur et du diabète, d’après une étude coréenne(Nouvelle fenêtre) publiée en 2018 dans le journal scientifique Obesity Research & Clinical Practice.

Manger en solo par choix ou par obligation?

Néanmoins, beaucoup de gens qui habitent seuls ne sont pas pour autant coupés du monde. Ces personnes cultivent des relations et construisent des liens avec les autres à travers la nourriture, en allant au restaurant, par exemple. Merin Oleschuk prévient qu’il est donc essentiel de ne pas stigmatiser les personnes qui vivent seules.

C’est faux de penser que tous ces gens sont isolés socialement, soutient-elle. Beaucoup d’entre eux vivent très bien avec leur choix et adoptent un style de vie sain qui leur convient. D’autres ne ressentent que de la solitude lorsque vient le temps des repas.

La clé est de comprendre si la solitude est choisie ou imposée. Car l’effet des habitudes alimentaires en solo varie d’une personne à l’autre selon la manière dont cette solitude est vécue, souligne la psychologue Geneviève Beaulieu-Pelletier, professeure associée à l’Université du Québec à Montréal.

Tout n’est donc pas noir ou blanc dans l’expérience solitaire.

Les défis de la cuisine en solo

Fannie Chicoine, séparée de son conjoint et s’occupant de ses enfants en garde partagée, apprivoise la préparation des repas quand elle est seule les fins de semaine. Je dois avouer que je me permets un bol de céréales le vendredi soir, confie-t-elle.

À l’instar de nombreuses personnes dans sa situation, elle a du mal à trouver la motivation de cuisiner en solo. Pour retrouver le plaisir de cuisiner pour soi, il lui arrive de mettre de la musique et de chanter.

« L’autre soir, j’ai décidé de m’offrir un homard et de cuisiner avec de la bonne musique. »

— Une citation de  Fannie Chicoine

Autant l’inspiration lui manque parfois lorsqu’elle ne cuisine que pour elle-même, autant elle savoure ces moments solitaires où elle est maître de son assiette et du déroulement de sa soirée.

Merin Oleschuk observe que les freins pour les personnes seules en cuisine sont d’abord la motivation et les aspects plus techniques : acheter les bonnes quantités, éviter le gaspillage alimentaire, trouver des recettes adéquates...

Vous êtes alors la seule personne responsable de tout le travail entourant la préparation de la nourriture, donc les courses, la cuisine, la planification et le ménage, note la professeure.

Selon ses observations, de nombreuses personnes finissent par refaire les mêmes recettes encore et encore puisqu’elles savent qu’elles les aiment et qu’elles gèrent bien les quantités.

Les petites joies solitaires

La psychologue Geneviève Beaulieu-Pelletier considère que les repas en groupe favorisent l’échange, plus que l’appréciation de la nourriture.

En groupe, on va être moins en contact avec nos signaux de satiété, on va décider de boire davantage d’alcool ou encore de manger plus, note-t-elle. À l’inverse, être seul, ça permet d’être plus dans le moment présent et de s’offrir un instant pour être en relation avec soi-même.

« Si nos besoins psychologiques sociaux sont satisfaits ailleurs, on se sent autonome et compétent. Ce sont des moments qu’on percevra comme étant positifs. »

— Une citation de  Geneviève Beaulieu-Pelletier

Merin Oleschuk estime que ces moments deviennent significatifs pour des personnes qui viennent d’adopter un mode de vie en solo. Certaines s’affranchissent des désirs culinaires d’un ou d’une partenaire qu’elles devaient satisfaire, par exemple. D’autres décident enfin du contenu de leur assiette après avoir vécu chez leurs parents.

Pour Fannie Chicoine, les repas en solo sont devenus une pause bien méritée à la suite d’une semaine chargée où chaque repas est méticuleusement préparé. Elle se permet alors de cuisiner des recettes qu’elle n'essaierait pas nécessairement avec les enfants et de savourer chaque bouchée, avec ou sans musique.

Les ménages composés de gens vivant seuls sont les plus répandus depuis 2016, au Canada.  | Photo : Radio-Canada / Ariane Pelletier