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Le meunier-artisan Eric Lamontagne, propriétaire du Moulin La Pierre, moud l'une des farines les plus nutritives sur le marché nord-américain, mais ses connaissances sont menacées de disparaître.  | Photo : Radio-Canada / Allison Van Rassel

Le meunier Eric Lamontagne est l'un des derniers meuniers-artisans en Amérique du Nord. Propriétaire du Moulin La Pierre, à Saint-Norbert-d'Arthabaska, il est porteur de savoir-faire reconnus comme des éléments du patrimoine immatériel du Québec. Dans un moulin datant de la première moitié du 19e siècle, M. Lamontagne moud l'une des farines les plus nutritives sur le marché nord-américain, mais ses connaissances sont menacées de disparaître.

Eric Lamontagne est un passionné d’histoire, mais, par-dessus tout, du moulin dont il s’est porté acquéreur voilà maintenant trois ans.

Construit en 1845, le Moulin La Pierre est l’un des premiers moulins à farine à avoir été en usage dans le comté d’Arthabaska, devenant l'un des principaux moteurs du développement économique du Centre-du-Québec. Adossé à un barrage, le moulin a longtemps été alimenté par l’eau.

Je m’enlignais pour une préretraite et je savais que les anciens propriétaires voulaient vendre, raconte Eric, qui a 62 ans. Je me suis dit que j’allais utiliser mon expérience en aménagement paysager et en construction pour sauvegarder le patrimoine.

Le Moulin La Pierre, construit en 1845, cache un barrage alimenté en eau du bassin versant de la rivière Gosselin, un chef-d’œuvre d’ingénierie écologique qui se présente comme une solution durable aux enjeux économiques, sociaux et environnementaux de notre siècle.
Le Moulin La Pierre, construit en 1845, cache un barrage alimenté en eau du bassin versant de la rivière Gosselin, un chef-d’œuvre d’ingénierie écologique qui se présente comme une solution durable aux enjeux économiques, sociaux et environnementaux de notre siècle. | Photo : Radio-Canada / Allison Van Rassel

Eric me fait faire le tour du propriétaire. Le site est enchanteur et magnifiquement entretenu. L’amour offert à l'endroit se voit au premier coup d’œil.

Ce lieu fait partie de l’histoire du Québec, car c’est l'un des premiers bâtiments qui a permis de développer le Centre-du-Québec. Je trouve ça important de le conserver et de partager l’histoire avec les gens, dont les nouvelles générations. Il ne faut pas que ça se perde.

Après plus de 30 ans à travailler dans l’industrie de la construction et de l’aménagement paysager, Eric s'est lancé dans l'aventure de sa propre production de farine moulue sur pierre et en a découvert tous les trésors.

« [La farine moulue sur pierre] permet de mieux se nourrir, car c’est un produit naturel, biologique, sans aucun additif ou agent ajouté. Je veux faire connaître aux gens la vraie farine, tant d'un point de vue gustatif que nutritionnel. »

— Une citation de  Eric Lamontagne meunier propriétaire du Moulin La Pierre

LE SAVIEZ-VOUS?

Les valeurs nutritionnelles et gustatives d’une farine moulue sur des meules de pierre sont supérieures à celles des farines moulues industriellement sur des cylindres d’acier, car la surface rugueuse des meules broie les grains des céréales tout en conservant les trois composantes de ces derniers : le germe, l’endosperme et le son. La mouture sur pierre permet donc de conserver la fraîcheur, le goût ainsi que les valeurs nutritives des grains. C'est une méthode de transformation qui s’avère un élément déterminant de la qualité de la farine. Contrairement aux méthodes industrielles, le germe demeure intact. C’est la présence de ce germe dans la farine qui la promeut au statut d'intégrale, la reine des farines de blé. De plus, il est quasi impossible d’éliminer complètement le son de la farine lorsqu’elle est moulue sur meule de pierre. Le son de blé est l'une des parties les plus nutritives, car il est concentré en fibres alimentaires.

Transmission immatérielle

Tout au long de l’année, une ou deux fois par semaine, Eric transforme des grains de blé, d’épeautre, de seigle et de sarrasin obtenus auprès de producteurs locaux. Il élabore des farines artisanales d’exception qui réjouissent les artisans boulangers, dont Bernard Bélanger (à Dunham) et Maxime Boisvert (à Leclercville).

Ses connaissances au service de la protection du patrimoine, il les a acquises auprès de l’ancien propriétaire des lieux, Ronald Lapierre.

J’ai une facilité d’apprentissage pour les travaux manuels, donc je trouve ça assez simple comme technique, mais je dois obligatoirement utiliser tous mes sens pour arriver à produire une farine qui a de l’allure, dit Eric Lamontagne.

Il est là, le grand défi du meunier, car l’odorat et l’ouïe sont des sens qui déterminent l’ajustement des meules de pierre, entre autres choses.

Si les pierres sont mal ajustées, ça sent le silex, le chauffé. Il n’y a rien d’électronique qui peut reconnaître ça, car c’est une question de quelques millimètres seulement, poursuit celui qui ne ménage rien pour parfaire sa pratique, en digne porteur de la méthode ancestrale.

J’ai le nez fin pas mal; je pense que c’est un de mes défauts, poursuit-il d’un rire tendre et quelque peu émotif.

Avenir durable

Depuis quelques décennies, c'est un interrupteur qui permet d'activer les meules du Moulin La Pierre au moment désiré. Car si le moulin est construit à proximité d'un barrage, il n'est pas pour autant alimenté par l'eau de façon continue, comme c'était le cas auparavant.

Toute la production ici a déjà été en fonction à l’année, à l’eau, mais ça prend une grande réserve d’eau pour faire fonctionner le moulin, souligne Eric. Ici, la réserve possible est de deux hectares, mais il faut ouvrir le barrage chaque année pour descendre le niveau d’eau afin de faire sortir les sédiments. Ça peut prendre plus de 10 ans avant de retrouver cette quantité d’eau, mais ça se fait.

Autrefois, l’eau de la réserve était captée par des turbines qui entraînaient mécaniquement la rotation des meules. Cette ingénierie d’époque est toujours en place et prête à entrer en activité dès que la réserve d’eau sera suffisante.

Ce type d’installation est un chef-d’œuvre d’ingénierie écologique qui se présente comme une solution durable aux enjeux économiques, sociaux et environnementaux de notre siècle.
Ce type d’installation est un chef-d’œuvre d’ingénierie écologique qui se présente comme une solution durable aux enjeux économiques, sociaux et environnementaux de notre siècle. | Photo : Radio-Canada / Allison Van Rassel

La réserve d’eau provient du bassin versant de la rivière Gosselin qui s’écoule dans la rivière Nicolet, pour ensuite terminer son cours dans le fleuve Saint-Laurent. Cette ressource permet d'envisager un retour complet aux méthodes d'antan.

Est-ce son plus grand souhait, de repartir la production à l’eau?

Lentement, les yeux du meunier-artisan se remplissent d’eau. Il reste muet quelques instants. À ce moment précis, l'eau s'écoulant du barrage fait entendre son fort débit. Eric se racle la gorge, regarde le bluteau ancestral devant lui, jette un coup d’œil bienveillant à sa conjointe et répond:

Ce n’est pas classé patrimonial, ici, même si ce l’est. J'investis mon propre argent et je répare tout moi-même. Je ne veux pas que ce soit un site patrimonial reconnu non plus, parce que j’ai peur de perdre le contrôle du lieu. Dans le temps, les gens faisaient ça à leur manière, avec des expériences et de l’expertise qu’ils se partageaient d’une personne à l’autre. Il n’y avait pas de police en arrière pour dire qu’une chose devait être comme ci, alors qu’une autre devrait être comme ça; ils y allaient selon la logique, les deux mains dedans. Pour l’instant, je me débrouille et j’ai encore plus de fierté de le faire moi-même, mais la suite dépend réellement de la relève. Je me donne un an encore pour réfléchir à la suite, mais ça va vraiment dépendre si j’ai une relève.

Après plus de 200 ans de transmission orale de maître à apprenti, le savoir d’Eric Lamontagne – ainsi que celui de tous les meuniers-artisans du Québec – fera l’objet d’une formation auprès du Conseil québécois du patrimoine vivant (CQPV). Une diffusion qui, comme il l'espère, assurera la relève des meuneries artisanales du Québec, afin de protéger cette richesse de notre culture alimentaire.


Moulin La Pierre
9, chemin Laurier, Saint-Norbert-d'Arthabaska
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Le meunier-artisan Eric Lamontagne, propriétaire du Moulin La Pierre, moud l'une des farines les plus nutritives sur le marché nord-américain, mais ses connaissances sont menacées de disparaître.  | Photo : Radio-Canada / Allison Van Rassel