Des
augmentations de crédit non sollicitées
Il
y a 50 millions de cartes de crédit
en circulation au Canada. Cette carte est
un outil inestimable si vous payez votre
solde sans problème chaque mois.
Mais pour 4 détenteurs de carte de
crédit sur 10 au Canada qui n'arrivent
pas à payer leur solde, l'endettement
chronique est un drame! Pendant ce temps,
les banques nous annoncent qu'elles augmentent
la limite de crédit de nos cartes
sans que nous l'ayons demandé, ce
qui est tout à fait illégal.
La Facture lève le voile sur cette
pratique des banques.
Journaliste : Pierre Craig
Réalisateur : André Gariépy
Recherchiste : Sophie Beaudoin
Ils n'avaient pourtant
rien demandé
Ce
couple, comme un peu tout le monde, est
bombardé d'invitations à dépenser.
Mais à la fin de l'été
dernier, quand la limite de crédit
de leur Master Card/Canadian Tire est augmentée
de 3700 $ à 5200 $, la coupe déborde.
Ils n'avaient pas demandé qu'on augmente
leur limite de crédit. François
: « En fin de compte,
c'est comme si on nous disait : "Achète-toi
de nouvelles choses, même si tu n'en
as pas besoin. Tu as plus d'argent, on t'en
donne plus. Fais rouler l'économie. »
Une autre surprise les attend! Quelques
mois plus tard, la Banque Royale
annonce à François que la
limite de crédit de sa carte Visa
passe de 2000 $ à 3000 $. Encore
une fois, il n'a rien demandé.
Et ça continue! La banque Canadian
Tire - parce que le magasin bien connu a
fondé sa propre banque - fait un
cadeau mirobolant à une autre consommatrice.
La limite de crédit de sa Master
Card/Canadian Tire bondit de 700 $ à
1700 $! Cette consommatrice : « Première
réaction, je ne l'ai jamais demandé.
C'est une limite extrêmement élevée,
plus élevée que mes besoins
en consommation. De quoi se mêlent-ils?
De quel droit font-ils ça? »
François : « S'ils
sont capables d'être aussi généreux
avec les cartes, pourquoi ne sont-ils pas
aussi généreux quand tu veux
faire un emprunt personnel? »
La réponse est très simple
: les taux fixés par les banques
pour les prêts personnels sont inférieurs
à 10 %, alors qu'ils frisent les
20 % pour les cartes de crédit! La
consommatrice : « C'est moi
qui dois demander à la compagnie
d'augmenter ma marge de crédit si
j'en ai besoin, et non l'inverse. »
Elle a parfaitement raison. La Loi québécoise
sur la protection du consommateur interdit
d'augmenter la limite d'une carte de crédit
à moins que son détenteur
n'en fasse la demande express. Le Québec
veut ainsi protéger sa population
contre l'endettement chronique. Mais les
banques contreviennent volontairement à
cette loi. Pourquoi?
Les banques : soumises
à la loi québécoise ?
Louise Rozon, d'Option
consommateurs : « Les banques
ont toujours respecté en partie les
dispositions en matières de crédit.
[
] Mais elles ont commencé
à ne pas respecter les dispositions
qui les dérangent, qui sont un frein
à leurs activités commerciales. »
Jacques
Hébert est porte-parole de l'Association
des banquiers canadiens : « Nous
disons aux gens : " Ne vous donnez
pas la peine de faire des démarches
à n'en plus finir, nous vous offrons
- c'est toujours une offre simplement ce
n'est pas une obligation -de majorer votre
marge de crédit ." Ça
ne veut pas dire que vous allez vous en
servir. La seule chose dont vous devez vous
servir c'est de votre intelligence. »
Voici comment la banque Canadian Tire stimule
l'intelligence de ses clients, lorsqu'elle
leur écrit : « Maintenant
que vous avez encore plus de flexibilité
financière, allez-y! Essayez un nouveau
restaurant, achetez des articles à
la mode pour la rentrée des classes,
ou remplacez votre vieille tondeuse. »
Notre consommatrice : « Parce
que ça fait tellement moins mal de
sortir une carte de crédit. Ce qui
fait mal, c'est de sortir 100 $ de sa poche.
C'est pas pareil. » Jacques
Hébert : « Il y a des
gens - je ne dis pas que c'est la majorité
- il y a des gens qui gèrent mal
leurs finances, comme il y a des gens qui
conduisent mal leur automobile. On ne peut
pas être parfait dans tous les domaines. »
Ce qui est incroyable, c'est qu' au moment
même où les banques font pleuvoir
ce crédit sur leurs clients, elles
s'inquiètent de leur taux d'endettement.
Selon la banque Scotia, la dette des ménage
canadien dépasse maintenant leurs
revenus! Un ménage qui gagne 60 000
$ par année a une dette moyenne de
60 600 $ en hypothèque, prêts
personnels et solde impayé de ses
cartes de crédit. Nous sommes donc
vulnérables aux soubresauts de l'économie,
mais les banques continuent quand même
d'augmenter nos limites de crédit.
François est sceptique : « Ils
disent juste que : " compte tenu de
votre excellent dossier "
Mais
qu'ont-ils fait comme études? Vous
disent-ils avoir étudié votre
situation financière? Non, pas du
tout.[
] Ce n'est pas rassurant, parce
que la seule chose qu'ils regardent, c'est
si on dépense beaucoup et si on paye
bien, point final. »
Au
moment où François a reçu
le « cadeau » de la
Banque Royale pour sa carte Visa, il savait
que cette pratique était illégale.
Pas question d'accepter ça! Il a
exigé que l'institution rabaisse
sa limite de crédit à 2000 $.
La Banque Royale a effectivement ramené
la limite de sa carte Visa de 3000 $ à
2000 $. Le consommateur a aussi exigé
que la banque n'augmente pas sa limite de
crédit à moins qu'il ne le
demande, faisant valoir que ce qu'avait
fait l'institution était illégal.
Mais là, l'institution a tiqué,
dit François : « Ils
ont dit : " On ne peut pas faire ça.
C'est inscrit dans votre contrat que la
banque peut augmenter votre limite de crédit
comme elle le veut. "»
Loi sur la Protection
du Consommateur ou loi sur les banques?
Dans le contrat de
la carte Visa/Banque Royale, une clause
permet à la banque de modifier la
limite de crédit à son gré!
Cette clause contrevient elle aussi à
la Loi sur la protection du consommateur.
À cause de cela, au Québec,
une demande de recours collectif a été
déposée contre les banques
par Option consommateurs. L'avocat qui représente
Option consommateurs, Me Éric David
: « Les banques semblent dire
que les consommateurs au Québec sont
trop protégés, que la Loi
sur la protection du consommateur ne devrait
pas bénéficier au consommateur
québécois. »
Au Palais de Justice de Montréal,
deux mondes s'affrontent. Du côté
des banquiers, Me Catherine Carron : « Est-ce
que ça vous est jamais arrivé
d'aller au restaurant avec votre blonde,
de prendre votre carte pour payer la facture
et de voir la carte refusée parce
que la limite autorisée a été
légèrement dépassée
? N'est-ce pas un petit peu gênant
? Devant votre blonde ? »
Du côté des consommateurs,
Me Éric David « Honnêtement,
c'est sympathique comme argument, mais je
ne crois pas que les banques se préoccupent
beaucoup de sauver la face des consommateurs.
Ce qui les préoccupe, ce sont les
profits. »
Les banques refusent d'être soumises
à la Loi québécoise
sur la protection du consommateur. La loi
canadienne sur les banques fait beaucoup
plus leur affaire! Jacques Hébert,
porte-parole des banquiers : « Il
faut savoir une fois pour toutes [
]
qui sont nos maîtres, qui nous réglementent,
de façon à mieux respecter
encore la législation qui est devant
nous. »
Les
banques demandent aux tribunaux de ne pas
être soumises à plusieurs articles
de la Loi sur la protection du consommateur.
Elles affirment que la loi canadienne sur
les banques nous protège tout aussi
bien.
Edith Fortin est
une spécialiste du droit bancaire
: « Je crois que la Loi sur
la protection du consommateur empêche
l'endettement sans consentement, alors que
la loi sur les banques ne donne pas cette
protection. » Aucun article
de la loi canadienne n'interdit aux banques
d'augmenter comme elles le veulent la limite
de crédit de leurs clients. Me Fortin
: « [
] La loi fédérale
est plus souple, elle protège moins
les consommateurs. »
Loi sur la Protection du Consommateur ou
loi sur les banques? Longue saga judiciaire
en perspective! Pendant ce temps, les banques
vont continuer d'augmenter sans permission
la limite de nos cartes de crédit.
En conclusion
Vous pouvez refuser
toute augmentation non sollicitée
de la limite de votre carte de crédit
en téléphonant ou en écrivant
au service concerné de votre banque.
Les associations de consommateurs ont demandé
l'autorisation d'intenter cinq autres recours
collectifs contre les banques. On accuse
les banques, entre autres, de ne pas respecter
le délai de 21 jours sans intérêts
sur les soldes de cartes de crédit,
et d'exiger des frais de 5 $ à chaque
transaction dans une marge de crédit.
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