Louer
pour acheter :
un concept alléchant pour se procurer
des biens, mais un piège financier
Il y a une limite à profiter de gens
! C'est la réflexion qui vient à
l'esprit en écoutant l'histoire d'une
jeune femme de Montréal. Elle ne
voulait qu'une chose : se donner un peu
de confort en se meublant convenablement.
Mais elle fait partie de ceux à qui
on refuse de prêter parce qu'ils ne
peuvent pas faire la preuve de leur solvabilité.
C'est exactement ce genre d'acheteurs fragiles
que recherchent certains commerçants,
des acheteurs à qui ils vont siphonner
le plus d'argent possible.
Journaliste : Claude Laflamme
Réalisateur : Denis Paquet
La cliente
: « Je me suis procuré
le meuble de télé dans les
vidanges et le vidéo aussi. Je me
suis procuré aussi les tables à
café. J'ai pris certaines choses
à la Saint-Vincent-de-Paul. La table
de cuisine et les chaises viennent aussi
des vidanges. J'ai fait les vidanges et
je me suis meublée. Tout ce que vous
voyez ici m'a coûté 20 dollars.
»
Avant d'en être réduite à
ramasser ses meubles dans les ruelles de
son quartier, elle s'était procuré
des meubles chez un commerçant, mais
ce dernier les a saisis au bout d'un an
et demi. La cliente avait déjà
visité plusieurs commerces, mais
tous avaient refusé de lui accorder
du crédit. Elle est alors attirée
par une vitrine à la publicité
accrocheuse, celle du magasin Louer pour
acheter.
Des achats coûteux
La cliente : « Je
viens d'une famille assez défavorisée.
Comme je travaillais et que j'avais un bon
salaire, j'ai voulu aller m'acheter mes
meubles moi-même. Quand j'ai vu la
publicité du magasin, Louer pour
acheter, je me suis laissée tenter.
Tu n'as pas besoin d'un dossier de crédit
ou d'un endosseur. Cette journée-là,
je suis rentrée dans le magasin et
j'ai fait mes achats. »
Depuis qu'elle a fait affaire avec Louer
pour acheter, ce commerce a changé
son nom pour Easyhome. Nouveau nom, mais
même fonctionnement ; on y loue des
meubles en offrant la possibilité
d'en devenir propriétaire au bout
d'un certain temps. Convaincue de faire
une bonne affaire, la cliente signe une
entente de location d'une durée maximale
de 22 mois.
La
jeune femme : « Tu peux voir
un montant, une table de cuisine, par exemple,
ils vont annoncer 10$ par semaine. Au bout
d'un mois, ça fait 40 $. Ça
peut avoir de l'allure. Je me suis procuré
une table de cuisine avec 4 chaises, un
meuble audiovidéo, un téléviseur
27 pouces, une minichaîne stéréo
et un vidéo. »
Même si la majorité de ces
meubles sont usagés, elle souhaite
en devenir propriétaire quand arrivera
le terme de la location. N'était-elle
pas embarrassée par l'idée
d'ignorer ce qu'il en coûterait au
total ?
La cliente : « Non. Je me
fiais à mon estimation et je voyais
les prix à la semaine. Au bout du
mois, c'est correct, mais je ne pensais
pas avec les mois qui s'accumulent que ce
serait trop cher au bout de la ligne.
»
Les étiquettes
en magasin affichent les prix à la
semaine. Ces faibles versements accrochent
l'acheteuse, mais elle n'a jamais calculé
le coût total qu'elle devra payer.
Selon les estimations qu'on peut faire à
partir de son contrat, elle aurait dû
payer plus de 4700$ pour que les meubles
lui appartiennent. Des meubles semblables,
mais neufs, valent environ 1500 $ sur
le marché, soit trois fois moins
cher. Si la jeune femme n'a pas réalisé
dans quel engrenage elle a mis le doigt,
sa mère a compris dans quel bateau
sa fille s'était embarquée.
Malgré
tout, la jeune femme persiste à louer
chez Easyhome. Elle effectue plusieurs paiements
en retard et au bout d'un an et demi, des
problèmes financiers l'empêchent
d'acquitter ses mensualités. Easyhome
tente par tous les moyens de communiquer
avec elle.
D'autres clients qui ont fait affaire
avec Easyhome se sont aussi plaints de harcèlement
de la part de ce commerçant. Nous
avons demandé à François
Tôth, professeur de droit de la consommation
à l'Université de Sherbrooke
si de telles pratiques étaient permises?
François Tôth
: « Les techniques de harcèlement
téléphonique, appeler la famille,
appeler au travail, c'est de l'invasion
de vie privée et il existe des lois
pour protéger les personnes harcelées.
»
Après que la cliente ait déboursé
3 500$ en un an et demi, des livreurs d'Easyhome
débarquent chez elle dans le but
de reprendre les meubles. Le motif qui justifie
cette reprise à leurs yeux : 28 jours
de retard dans les paiements.
François Tôth : « Il
est impossible pour un commerçant
de se faire justice lui-même, de pénétrer
chez quelqu'un et de le déposséder.
»
La cliente : « Quand j'ai vu le
camion de la fenêtre, j'ai décidé
de prendre le système de son, de
le cacher dans la chambre avec moi et j'ai
laissé mon conjoint répondre.
Ils ont dit : on vient tout chercher.
»
Considérant
qu'elle avait suffisamment payé pour
ses meubles, elle décide de garder
la minichaîne stéréo.
Aujourd'hui, Easyhome l'accuse de vol.
Nous nous sommes rendus dans les trois
succursales Easyhome de la région
de Montréal avec une caméra
cachée pour vérifier la façon
dont les vendeurs présentent leur
mode de fonctionnement aux clients. Quelques
surprises nous attendaient.
Vendeur sous l'oeil de la caméra
cachée : « Vous avez
deux choix. Si vous n'avez pas l'argent
pour payer comptant au départ ; ceci
vaut 680 $ à l'achat »"
Ce montant est plutôt surprenant
dans un magasin qui prétend garantir
les plus bas prix! Jugez vous-mêmes
: chez d'autres détaillants, le même
appareil se vend 400 $ taxes incluses.
Vendeur
en caméra cachée : «
Si vous n'avez pas l'argent pour payer
comptant, on part en mode location. Les
paiements que vous faites vont réduire
sa valeur. Ça fait 60 $ par
mois. La location est ouverte sur deux ans
et demi. Donc si vous attendez deux ans
et demi pour le payer, ça va vous
coûter plus cher que 680$. Vous allez
payer à peu près deux fois
plus cher à cause des frais de location.
»
Ceci est inexact : d'après les chiffres
que le vendeur donne, nous avons calculé
que cet appareil coûterait plutôt,
après 30 mois de location, pas moins
de 1800$, soit 4 fois et demi sa valeur
chez d'autres détaillants.
François Tôth : « Il
y a un profit excessif qui est fait quand
on considère la valeur marchande
du bien. Les tribunaux ont généralement
considéré qu'au-delà
de deux fois la valeur d'un bien, il pouvait
y avoir exploitation du consommateur.
»
D'ailleurs, Option
consommateurs a intenté un recours
collectif contre Louer pour acheter maintenant
devenu Easyhome. L'organisme affirme que
les pratiques de ce commerce sont abusives
à l'endroit des consommateurs, mais
le recours va plus loin. Il tente de démontrer
qu'on n'y fait pas véritablement
de la location, mais plutôt de la
vente à tempérament.
François Tôth : « C'est
la prétention d'Option consommateurs
dans le recours collectif où on allègue
notamment qu'il s'agit essentiellement d'un
contrat de crédit déguisé.
»
David Ingram, président d'Easyhome,
qui a refusé de nous accorder une
entrevue à la caméra, nie
cette prétention. Il affirme : «
C'est de la location qui se renouvelle de
mois en mois et le client est libre de mettre
fin en tout temps au contrat ou de se porter
acquéreur du bien. »
Quoi qu'il en soit, le jugement qui sera
rendu pourrait avoir des conséquences
importantes pour ce type de commerce.
François Tôth : « Si
on qualifie cela de contrat de vente à
tempérament, ça va mal pour
Louer pour acheter car les obligations de
divulgation du taux de crédit et
des frais de crédit n'ont pas été
respectées. Le juge peut supprimer
les coûts de crédit et ordonner
à Louer pour acheter de rembourser
les consommateurs de tous les frais de crédit
déjà payés, ce qui
représente des sommes astronomiques
pour le commerçant, probablement
à la hauteur des profits qu'il fait.
»
Un tel jugement irait plus loin.
François Tôth : « Ça
veut dire que le locataire est automatiquement
propriétaire du bien et ne peut plus
effectivement en être dépouillé.
»
La cliente : « Au bout de la ligne,
ça ne m'a rien donné. J'ai
été naïve. J'aurais pu
économiser cet argent pour autre
chose. J'aurais pu me meubler quatre ou
cinq fois plus. »
La cliente a donc payé 3 500 $ pour
des meubles qu'elle ne reverra jamais. Elle
pourrait avoir droit à une certaine
compensation si Option Consommateurs gagne
son recours collectif contre Louer pour
acheter, un recours qui a été
autorisé il y a 5 ans. La cause n'a
toujours pas été entendue
par les tribunaux. C'est une affaire que
La Facture va suivre de près..
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