On lui promet un visa pour travailler aux
États-Unis, mais la compagnie disparaît
avec l'argent
La
semaine dernière, une demande d'injonction
avait été déposée
pour empêcher la diffusion de ce reportage.
Le tribunal a rejeté cette demande.
Voici donc l'histoire de ce Beauceron qui
a perdu son travail, et qui décide
alors de réaliser son désir
le plus cher: voyager de par le monde en
travaillant. Pour y arriver, il devait décrocher
un emploi aux États-Unis. Mais une
entreprise de consultants en immigration
lui a fait des promesses impossibles à
tenir.
En
mars 2003, ce Beauceron
un agent de bord mis à pied par Air
Canada décide de tenter
sa chance aux États-Unis. Il décroche
un stage de formation chez Comair, une filiale
du transporteur américain Delta. Ce
stage doit déboucher sur un emploi : « J'étais
emballé. [ ] Ça concrétisait
mon rêve. Ça allait très
bien.[ ] Le seul critère auquel
je ne répondais pas, c'est que je n'avais
pas le visa de travail pour aller travailler
aux États-Unis. »
Ses amis lui conseillent d'appeler Can-Am
Immigration, des consultants installés
à Magog. Le Beauceron : « Je
parle à Yves Letendre qui me dit qu'il
peut obtenir un visa de travail en deux semaines,
avec un taux de satisfaction de 100 %.
[ ] Ça devait coûter 1725,38 $,
incluant les taxes. »
Pas de visa, ni de
remboursement
Can-Am empoche l'argent, et après
cinq semaines de retard et de tergiversations,
fait volte-face.
Le client beauceron : « À
Can-Am, on me dit que depuis le 11 septembre,
les règles ont changé, que
ce n'est plus la même façon
de faire, et qu'ils ne sont pas capables
d'obtenir ce visa. [ ] J'étais
dans une déprime totale, parce que
pas de visa voulait dire pas d'emploi. [ ]
On me dit toujours qu'on va me rembourser.
Jusqu'à ce que je reparle à
Yves Letendre : "On a eu
des changements, l'entreprise a fait faillite".
Donc là, non seulement mon rêve
était aboli, mais je n'aurais plus
mon argent. »
En effet, Can-Am Immigration Services 2000
a déclaré faillite le 1er
août dernier avec près de 1
demi-million de dollars de dettes. En laissant
sur le carreau des clients, des créanciers
et des employés. La Facture a
contacté Bianca Battistini, qui a
été mise a pied par Can-Am.
Elle ne comprend pas que Can-Am ait pu promettre
au client beauceron un visa de travail pour
les agents de bord d'une durée d'un
an : « [C'est]
impossible. Je suis sidérée.
On ne peut pas offrir ce type de visa à
cette personne. Vous pouvez vérifier
avec d'autres firmes en immigration. »
Généralement, pour obtenir
un visa de travail, un Canadien doit être
parrainé par une compagnie américaine,
prouver qu'il y a pénurie de main
d'uvre, ou encore exercer l'une des
soixante professions inscrites dans l'ALÉNA.
Le métier d'agent de bord n'y figure
pas.
Me Philippe Tremblay
Me Philippe Tremblay est un expert en immigration.
La journaliste de La Facture lui
demande ce qu'il aurait dit à l'agent
de bord beauceron, si ce dernier était
venu le voir : « J'aurais
malheureusement brisé son rêve
de travailler pour Comair. C'est une perte
d'argent et de temps que d'investir dans
ce processus. [ ] Partout, les gens
ont utilisé ce fameux prétexte
du 11 septembre. Il faut savoir que les
lois d'immigration, telles qu'elles sont,
existent pour la grande majorité
depuis 1997. »
L'équipe de La Facture a frappé
à la porte de la compagnie Work Permits
USA, qui s'est installée dans les
mêmes locaux que le failli Can-Am.
On a refusé de lui ouvrir. La
Facture a aussi demandé des explications
au patron de Yves Letendre, Richard Parenteau
père. Lors d'un entretien téléphonique,
Richard Parenteau affirme être le
propriétaire de Can-Am et de Work
Permits USA. Il a refusé de répondre
à toutes les autres questions de
la journaliste de La Facture : « Je
n'ai pas à expliquer quoi que ce
soit à personne. On ne justifie pas
nos gestes sur la place publique. »
L'avocat de Work Permits USA a envoyé
à La Facture une explication
écrite. Il prétend que si
le client beauceron n'a pu obtenir un visa
de travail pour être agent de bord,
c'est qu'il a fourni de fausses informations.
Conséquemment, dit-il, un tel visa
devenait illégal. Le Beauceron soutient
avoir toujours dit la vérité
. Il se sent floué par Can-Am : « On
m'a trompé. [ ] On m'a menti
du début à la fin. »
Ce que ce client comprend encore moins,
c'est que la compagnie en faillite semble
toujours en affaires. En effet, lorsqu'il
téléphone à la compagnie,
on répond : « Can-Am
Immigration ». Le Beauceron : « Je
trouve que c'est trompeur. Si on fait faillite je
ne connais pas tous les aspects de la loi je
pense qu'on doit changer la raison sociale. »
Les faillites de la
famille Parenteau
Dans les faits, Work Permits USA n'a déboursé
que 60 000 $ pour mettre la main
sur les actifs et le nom Can-Am Immigration.
Cette nouvelle compagnie est détenue
par un des fils Parenteau, Marc-André.
Cela veut donc dire que la famille Parenteau
se tire de la faillite sans perdre sa précieuse
marque de commerce, son numéro de
téléphone et son adresse.
Bianca
Battistini
Bianca Battistini : « Ça
envoie le message que tu continues, tu fais
de l'argent, tu dépenses, tu fais
faillite, on essuie, on recommence, le nom
est là. »
Le syndic nommé dans cette faillite,
Francois Huot, a refusé de rencontrer
l'équipe de La Facture. La
Facture a donc demandé au syndic
Pierre Fortin s'il était normal qu'une
même famille puisse racheter le nom
de sa compagnie en faillite : « C'est
légal. Les circonstances peuvent
parfois paraître suspectes. [ ]
Ça peut choquer des créanciers,
et, on le voit parfois, les créanciers
ont l'impression que les gens ont tout simplement
effacé leurs dettes et racheté
les actifs à rabais. »
Une impression renforcée quand les
mêmes dirigeants restent en place.
Dans le cas de Can-Am, toutes les sources
de La Facture confirment que le vrai
patron depuis 10 ans, c'est Richard Parenteau
père, même si ses fils ont
été tour à tour actionnaires.
Il est bien connu en Estrie car il a été
chef de police de Rock Forest. Depuis, Richard
Parenteau brasse des affaires sous toute
une série de noms, jusqu'à
sa première faillite en 2001. Immédiatement,
une nouvelle entreprise au
nom presque identique prend
la relève. Cette fois, elle est détenue
par ses fils, Richard fils et Marc-André.
Deux ans et demi plus tard, celle-là
aussi fait faillite. Entre les deux, Richard
Parenteau père fait faillite. Une
faillite personnelle de 349 000 $.
Bianca Battistini : « Can-Am
Immigration est toujours là, personne
n'est au courant de ces faillites. Ç'est
publié en tout petit dans un journal
de Sherbrooke. Pas à Montréal,
ni à Vancouver ou Toronto, où
sont les clients. »
Pierre
Fortin
Dans la plus récente faillite, c'est
le syndic Francois Huot et les deux principaux
créanciers de Can-Am Revenu
Canada et Revenu Québec qui
ont accepté de vendre les actifs
et le nom Can-Am aux Parenteau pour récupérer
une partie des impôts dus. Pierre
Fortin : « L'important,
c'est que ce soit fait dans les règles
de l'art, selon un processus transparent.
Si ça donne plus d'argent aux créanciers,
c'est tant mieux. »
Mais les clients eux n'ont jamais rien
su des déboires des Parenteau. La
Facture a obtenu copie d'un rapport
d'experts qui constatait en 2000 les « lacunes »
de gestion « très coûteuses »
de Richard Parenteau père. Bianca
Pattistini : « Quand
vous avez 20 000 $ pour payer
des comptes dans une semaine, et puis que
votre président en dépense
25 000 $, il vous manque 5 000 $.
Et puis vous ne pouvez pas dire non au président,
parce que c'est le président, et
il va se fâcher. »
La Facture a appris que « le
surintendant des faillites a mandaté
la GRC pour faire enquête »
sur la première faillite de Can-Am
en 2001. De plus, La Facture a aussi
mis la main sur une plainte de 500 pages
remise aux autorités. Aucune accusation
n'a été portée. L'enquête
se poursuit.
Le client beauceron : « J'ai
fait mon chèque à Can-Am Immigration.
Donc, si Can-Am Immigration existe encore,
je devrais recevoir mon argent. »
Il ne peut pas compter là-dessus.
Work Permits USA n'a plus aucune obligation
légale envers les clients et les
créanciers de Can-Am, malgré
le fait que la marque de commerce ait survécu.
Le client beauceron : « J'ai
pris des précautions mais je me suis
fait avoir quand même. [ ] C'était
trop beau pour être vrai. »
En conclusion
Par la voix de son avocat, Richard Parenteau
père nous a fait savoir que ni lui
ni personne n'a rien à se reprocher
dans ce dossier, et que tout a été
fait légalement. Attention! si vous
voulez de l'aide pour obtenir un visa de
travail pour les Etats-Unis, vous devez
savoir que les consultants en immigration
comme Can-Am Immigration ne sont soumis
à aucune réglementation. Par
contre, les bureaux d'avocats spécialisés
en immigration sont soumis à un code
de déontologie et doivent cotiser
à un fonds d'assurance responsabilité.
Avec ces avocats, vous avez donc davantage
de recours en cas d'erreur.
16 octobre 2006 - L'enquête
de la GRC, concernant la première
faillite de Can-am en 2001, est terminée
et aucune accusation n'a été portée.