Une locataire poursuivie par son propriétaire,
16 ans plus tard
À
une époque, au Québec, un
propriétaire disposait de trente
ans pour faire exécuter un jugement
obtenu contre vous pour non-paiement de
loyer. En janvier 1994, ce délai
a été ramené à
10 ans. Pour les jugements antérieurs
à la réforme, le compteur
repartait à zéro à
partir du premier janvier 1994, pour une
période de 10 ans. Une locataire
de Montréal a récemment eu
la surprise de recevoir de mauvaises nouvelles
sur une affaire qu'elle avait oubliée
depuis longtemps.
Début octobre,
cette locataire de Montréal reçoit
une lettre d'avocat. On la menace de saisie,
si elle ne paie pas dans les trois prochains
jours les 5531 $ qu'elle doit à
un ancien propriétaire. Une affaire
qui date de 16 ans.
En
effet, elle a habité au 389, rue
Denonville, appartement 1 à Longueuil,
du premier juillet jusqu'en décembre
1987. En janvier 88, elle quitte son appartement
sans payer son loyer. La raison de son départ
précipité : un homme
qu'elle connaît serait devenu une
menace pour elle et pour sa fille. La locataire : « Il
est arrivé par la cour arrière,
a pris la bicyclette de ma fille de trois
ans, et l'a lancée par la fenêtre
de sa chambre. [ ] Je suis partie dans
la peur, je suis partie vite. Il fallait
que je parte. Je ne pouvais pas rester là. »
Elle dit qu'elle a tenté à
l'époque de s'entendre avec son propriétaire.
Elle lui aurait proposé un mois de
loyer pour le dédommager : « Le
propriétaire m'indiquait qu'il fallait
que je donne trois mois de loyer si je voulais
m'en aller. C'était de cette façon
qu'il fallait résilier un bail. Je
n'avais pas l'argent. C'est sûr que
j'aurais aimé m'entendre avec lui. »
La décision
de la Régie
La Facture a consulté le
dossier de cette locataire à la Régie
du logement. En 1988, son ancien propriétaire
fait des démarches auprès
de la Régie pour être payé.
La Régie expédie à
la locataire un avis d'audition. Mais la
lettre ne lui parvient pas, et elle est
retournée à l'expéditeur.
La locataire : « On
est en 2003, ça date de 1987. Je
n'en avais jamais entendu parler. [ ]
J'ai toujours été dans l'annuaire.
[ ] Je n'ai jamais mis d'énergie
à essayer de m'effacer, de me cacher. »
En
juin 88, la Régie du logement rend
une décision en faveur du locateur,
en l'absence de la locataire. Décision
qui oblige cette dernière à
payer plus de 2000 $ au locateur pour
les dommages dans l'appartement et les coûts
rattachés à la résiliation
du bail. Mais la locataire n'aurait jamais
reçu copie de la décision
de la Régie. Aujourd'hui, elle serait
prête à payer ce montant de
plus de 2000 $. Mais pas question de
payer les 3000 $ d'intérêts
qu'on lui réclame 15 ans plus tard : « C'est
sûr que je n'ai pas l'intention de
payer 5531 $ [au locateur]. Je n'ai
pas les moyens de payer ça et je
trouve que c'est abusif. [ ] J'aimerais
bien tenter de rejoindre [le locateur] pour
essayer de m'entendre avec lui sur un mode
de paiement et sur un montant raisonnable. »
Le locateur ne l'a jamais rappelée.
Entre-temps, La Facture apprend que
sa compagnie est radiée depuis 1997.
Le locateur, joint par La Facture,
précise qu'il n'était pas
le propriétaire, mais plutôt
le gestionnaire de l'immeuble sur la rue
Denonville. L'édifice appartenait
et appartient toujours à son cousin,
et c'est ce dernier qui veut se faire payer.
Sauf que son nom n'apparaît ni sur
le bail, ni sur la décision de la
Régie du logement.
Que peut faire la
locataire?
Elie Chahwan est un avocat spécialisé
dans les causes devant la Régie.
Selon lui, la locataire pourrait se défendre
devant les tribunaux et invoquer simplement
que la compagnie en question est radiée.
Me Chahwan : « Si
le jugement a été rendu pour
cette compagnie en particulier, et que la
compagnie n'existe plus, la dette n'existe
plus. »
Me Elie Chahwan
L'avocate Josée Gagnon représente
le véritable propriétaire
de l'immeuble. Elle a refusé, tout
comme le propriétaire, d'accorder
une entrevue à La Facture.
Elle ne partage pas du tout l'avis de son
confrère Elie Chahwan. Selon Me Gagnon,
la dette demeure, parce que son client est
toujours propriétaire de l'immeuble,
un argument que conteste Me Chahwan : « Je
pense que la locataire aura des chances
de succès, si elle demande l'opposition
à la saisie. »
La locataire n'a contacté aucun
avocat jusqu'ici. Ce qui la fait frémir
pour le moment, c'est cette dette inscrite
à son dossier de crédit comme
mauvaise créance : « Je
commence à bâtir mon crédit.
[ ] Qu'est-ce que je peux faire? Une
faillite? Tout le monde va être perdant. »
Elle explique qu'elle n'a pas de voiture,
qu'elle a le strict minimum comme mobilier,
et qu'elle n'a plus de salaire.
Pour Me Josée Gagnon, la dette n'est
pas négociable. La locataire est
une employée auxiliaire de la Ville
de Montréal. Elle ne travaille pas
en ce moment. Il n'y a donc pas de salaire
à saisir. Cette saisie ne sera possible
que si elle travaille à nouveau pour
le même employeur. La locataire : « Je
ne suis pas dans une situation où
je peux payer ça. Je suis de bonne
foi et c'est tout. C'est tout ce que j'ai,
ma bonne foi. »
En conclusion
Cette locataire a peu de moyens, mais elle
n'est pas assez démunie pour avoir
droit à l'aide juridique, si elle
fait face à une saisie. Elle a peut-être
une porte de sortie. Le bureau de l'avocate
qui représente son ancien propriétaire
a fait savoir à La Facture
que la locataire peut soumettre une offre
de remboursement, et qu'elle sera étudiée.