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Mardi 3 février 2004 

          REPORTAGE

Un dentiste aux pratiques dangereuses

Nous sommes mal protégés contre les agissements parfois dangereux de certains professionnels. Pour s'en convaincre, il suffit d'examiner les pratiques du dentiste Pierre Dupont ces 12 dernières années. Ce dentiste, dont nous vous avions parlé la saison dernière, a, entre autres, extrait 14 dents à une fillette en une seule séance. Quand le syndic de l'Ordre des dentistes a demandé sa radiation provisoire, il lui a fallu 21 mois d'efforts pour y parvenir. Pierre Dupont vient de plaider coupable aux 45 reproches formulés par son Ordre. Voici l'histoire de trois de ses patientes.

Journaliste : François Dallaire
Réalisateur : Luc Charbonneau



Paul Morin

En 1992, une première plainte est déposée contre le dentiste Pierre Dupont au nom de cinq patients. En 2001, c'est au nom de 10 autres patients qu'une deuxième plainte est portée contre lui. Les reproches sont aussi graves que nombreux. Le docteur Paul Morin est syndic à l'Ordre des dentistes : « L'utilisation exagérée de sédatifs, et de substances d'anesthésie, des manquements au niveau des diagnostics, des examens, de l'information aux patients, et de l'obtention d'un consentement éclairé. »

Aux soins intensifs pendant 17 jours

En décembre 1998, une dame se présente au cabinet du dentiste Dupont pour y subir une opération visant à insérer trois implants dentaires. Cette patiente a des antécédents cardiaques, qu'elle signale par écrit. Il lui injecte néanmoins une dose d'adrénaline dangereuse pour une personne ayant une pathologie coronarienne.

La patiente : « Durant l'opération - ça ne faisait pas longtemps qu'il avait commencé - , j'ai senti que ça me faisait mal ici [à la poitrine]. J'ai essayé de lui faire des gestes, et il ne comprenait rien. Il disait à son assistante : "Donne-lui d'autres calmants, elle est trop nerveuse." » Le docteur Morin : « Les médecins consultés nous disent que l'intervention aurait dû être arrêtée à ce moment, et la patiente envoyée à l'hôpital. " La patiente : " J'ai perdu conscience, et j'imagine qu'il a fini ce qu'il avait à faire dans ma bouche. Puis, j'ai su qu'il m'avait mis mon manteau, et qu'il m'avait assise dans la salle d'attente. »

Le lendemain, elle se rend d'urgence à l'hôpital Sainte-Croix de Drummondville. Elle restera aux soins intensifs pendant 17 jours : « J'avais fait un gros infarctus , mon cœur était fini. »

Elle meurt sur le fauteuil du dentiste

Un an plus tard, en janvier 2000, une dame de 71 ans se rend au cabinet du dentiste Pierre Dupont pour y subir le même genre d'opération. Ce sera la dernière journée de sa vie.

La fille de cette patiente : « Ce que j'ai su, c'est que le dentiste s'était aperçu qu'elle ne respirait plus quand il a voulu coudre la plaie et qu'elle ne saignait pas. Elle avait donc arrêté de respirer sur le fauteuil. […] Alors elle a été amenée immédiatement à l'hôpital Saint-Sacrement, qui était tout près. On a tenté de la ranimer. Ça n'a pas marché, car son corps n'a jamais repris une température normale. […] Elle était morte sur le fauteuil, elle avait arrêté de respirer, elle n'est jamais revenue. »

Dans son cabinet, le dentiste Dupont n'a jamais pu donner d'oxygène à sa patiente. La bonbonne était introuvable. Lorsqu'on l'a finalement trouvée, dans un placard, l'appareil n'a pu être utilisé, car il manquait une pièce importante : le masque. Le coroner, François Houle, dénonce cette lacune : « Elle [la bonbonne] aurait dû être dans un endroit plus accessible, et tous les membres du personnel auraient quand même dû savoir où était remisée la dite bonbonne. »

Le docteur Morin : « On ne peut pas travailler sans prendre toutes les précautions pour protéger les patients. […] Quand vous intervenez auprès d'un patient, vous devez vous assurer que l'oxygène est là. […] C'est élémentaire. »

Une autre patiente fait un œdème pulmonaire

Quatre mois après ce drame, le Dr Pierre Dupont laisse partir une patiente, alors que ses gencives saignent. La patiente : « Il a donné des essuie-tout à mon mari et il a dit : "Qu'elle aille se reposer". […] Je me suis étendue sur les oreillers avec de la glace. […] J'étouffais, je me suis relevée rapidement. »

Hospitalisée d'urgence, elle fait un oedème pulmonaire. Elle va demeurer alitée pendant 12 jours : « Je serais morte. J'étais à un cheveu de la mort. » Le docteur Morin explique que l'Ordre reproche au dentiste de ne pas avoir fait de suivi, et d'avoir laissé partir la patiente dans un tel état.

Des doses trop fortes de sédatifs

Jusqu'à maintenant, le dentiste Dupont a réalisé plus de 2300 opérations. Il est spécialisé dans la pose d'implants dentaires. Sa clientèle est surtout composée de personnes âgées. Des patients à qui il prescrit des sédatifs pour calmer leurs angoisses. Il leur promet même qu'ils pourront dormir. Mais les doses ne tiennent pas compte de l'âge ni du poids de certains de ses patients.

L'Ordre des dentistes reproche à M. Dupont d'avoir administré ou prescrit à ses patients des doses trop fortes de sédatifs, compte tenu de l'état de santé de ces personnes et aussi de leurs besoins. La fille de la patiente décédée : « Elle aurait pris 10 mg la veille et 30 le matin même de l'opération. Il faut dire que ma mère était une petite femme, elle pesait à peine 100 livres, et elle était âgée de 71 ans. C'est une dose massive pour elle. » Comme l'explique le docteur Morin, les experts ont établi que pour des personnes âgées, les doses étaient exagérées.

Mais pourquoi le dentiste Dupont prescrit ces sédatifs de façon presque systématique? Dans une déposition, son ancienne assistante dentaire apporte une partie de la réponse à cette question : « Le Dr Pierre Dupont n'a jamais aimé avoir des patients agités, alors nous devions leur donner des médicaments pour les rendre somnolents. »

L'utilisation du saturomètre.

La fille de la patiente décédée demande une autopsie. La famille soupçonne que la quantité de médicaments absorbée par la vieille dame a peut-être quelque chose à voir avec sa mort. Le lien entre la prise de médicament et le décès de la patiente n'est pas établi. Cependant, sous l'effet des sédatifs, les patients doivent être reliés à un saturomètre, un appareil permettant d'alerter le dentiste si le patient est en détresse respiratoire. François Houle, coroner : « Le docteur Pierre Dupont n'a pas utilisé dans ce cas le saturomètre, même si le protocole d'intervention prévoit l'utilisation de cet appareil. » Le docteur Morin, du syndic : « Si le patient a pris des sédatifs, ses réflexes de survie, ses réflexes de respiration se trouvent atténués. On dirait qu'il ne se rend pas compte qu'il doit respirer, alors il faut l'assister. »

Sédation abusive, doublée d'une absence d'appareil de réanimation et de monitorage. Le coroner se demande comment, dans ce cas, être assuré d'intervenir à temps.

Il pratique sa profession malgré tout

Devant l'urgence de la situation, le syndic demande la radiation immédiate du dentiste. Pourtant, il s'écoule 21 mois avant que le comité de discipline de l'Ordre des dentistes rende une décision. Pendant toute cette période, le dentiste Dupont continuait à pratiquer sa profession, ce que déplore Paul Morin, du syndic : « Si vous me demandez si je suis d'accord avec le fait qu'il pratiquait [sa profession] , c'est non! »

La fille de la patiente décédée a assisté aux audiences. Ce qu'elle y a entendu, l'a fait réfléchir sur les failles du système : « Ce que j'ai observé en allant aux audiences, c'est qu'il y avait une évolution dans la gravité des cas, et que quelqu'un allait mourir, et c'est tombé sur ma mère. » Selon elle, les mécanismes qui auraient dû protéger sa mère ont échoué. Elle a donc alerté l'Office des professions et le ministère de la Justice. Leurs réponses ne l'ont pas rassurée : « Il faut demander des changements. » Le docteur Morin : « Il y a sûrement des choses à faire pour améliorer ce système. »

La patiente qui a fait un infarctus souhaite que le dentiste Dupont soit radié à vie. La fille de la patiente décédée le souhaite aussi : « Ce n'est pas une question de vengeance personnelle, mais je pense que, juste pour la protection du public, il ne devrait plus jamais remettre les pieds dans un cabinet de dentiste. »

En conclusion

Le docteur Pierre Dupont vient donc de plaider coupable aux 45 chefs d'accusation déposés contre lui par le syndic de son Ordre. Il a exprimé ses regrets à ses patients, des regrets qui arrivent bien tard, selon le syndic…juste avant que le comité de discipline ne rende sa sentence.

Il y a un an, quand La Facture vous avait parlé pour la première fois de ce dentiste, nous avions souligné les faiblesses incroyables du Code des professions, la loi qui est censée assurer notre protection dans ce genre de situation. Cette loi est toujours pleine de trous. Rien n'a été fait pour la corriger.