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Mardi 20 janvier 2004 

          REPORTAGE

La SAAQ menace de reprendre les compensations versées à certaines victimes de la route

La Société de l'assurance automobile du Québec vient en aide, depuis sa création il y a trente ans, aux citoyens victimes d'accidents de la route, peu importe leur faute. Vous y avez droit, c'est dans la loi, vous payez pour ça! C'est ce que croyaient cette femme de la région de Granby et cet homme de l'Outaouais. Mais pour éviter de leur payer ce qu'elle leur devait, la SAAQ n'a même pas respecté sa propre loi.

Journaliste : Caroline Belley
Réalisateur : Louis Faure


La SAAQ lui coupe les vivres après quelques mois

Un 21 décembre au soir, cette résidente de la région de Granby rentre à la maison en voiture avec son mari, après une longue journée d'émondage. Les routes sont glissantes. Elle a un accident dans une courbe. C'était il y a quatre ans. Depuis l'accident, elle n'a jamais pu reprendre son travail d'émondeuse. Son bras droit est demeuré sérieusement handicapé. Pendant sa réhabilitation, elle reçoit des prestations de la Société de l'assurance automobile du Québec, la SAAQ. Cette résidente explique que la SAAQ lui a envoyé des prestations pendant cinq ou six mois, et après, plus rien.

Ainsi, depuis juillet 1999, elle n'a plus jamais reçu d'argent de la SAAQ. Pendant quatre ans, les agents de la SAAQ ont refusé de reconnaître que les blessures de cette citoyenne étaient liées à son accident de voiture. L'accidentée: « Il y en a un qui m'a engueulée comme du poisson pourri. J'ai commencé à faire une dépression." Sa fille: "Ma mère, c'est une femme forte. Pendant quatre ans, je l'ai vue fatiguée. Elle ne pouvait plus dormir à cause de la douleur. C'était difficile de la voir comme ça. On ne la reconnaissait plus. »

Convaincue que ses douleurs sont liées à son accident, elle demande qu'on révise son dossier. La SAAQ maintient sa décision: aucune indemnisation! Son mari: « À un moment, elle voulait lâcher, elle disait que ça allait coûter trop cher en frais d'avocat. J'ai dit non, j'ai dit: "Même si je perds ma maison, même si je perds tout, j'y vais.»

Elle gagne sa cause, mais c'est peine perdue

Épaulée par sa famille et son avocat, expertises médicales après contre-expertises médicales, lettres après lettres, elle a étoffé son dossier pour finalement le présenter au Tribunal administratif du Québec (TAQ). Le TAQ est l'instance administrative finale qui tranche, entre autres, les litiges opposant les citoyens à la SAAQ. En juin dernier, la SAAQ est condamnée à verser des indemnités à cette citoyenne. La SAAQ est donc forcée de donner 84 000 $ à la citoyenne. Ce montant représente le paiement de prestations pour les quatre années pendant lesquelles cette femme n'a reçu aucune indemnisation.

La joie de cette citoyenne sera de courte durée. La SAAQ n'accepte pas d'avoir perdu devant le TAQ. Dans une lettre, la SAAQ annonce à la citoyenne que l'organisme va en révision pour cause: un recours tout à fait exceptionnel puisque les jugements du TAQ sont sans appel. Mais si ce n'était que ça. Ce qu'il y a de plus grave, c'est qu'il est aussi écrit que si la SAAQ gagnait en révision, la citoyenne devra remettre son chèque de 84 000 $. La lettre de la SAAQ est claire là-dessus: «Il est possible que nous récupérions les sommes déjà versées par l'indemnité de remplacement de revenu, les intérêts ainsi que les indemnités à venir.»

:Elle gagne sa cause, mais c'est peine perdue

Ce résident de l'Outaouais a reçu lui aussi la même lettre que la citoyenne de la région de Granby. Cet homme a été fauché par un véhicule à l'âge de 17 ans, alors qu'il faisait de la bicyclette. Il a été pendant 10 jours dans le coma. Un traumatisme crânien sévère l'empêche de travailler. Il s'épuise rapidement, il chancelle, comme s'il était en état d'ébriété.

Il se bat contre la SAAQ depuis plus de 15 ans. Il s'est d'abord battu pour faire reconnaître les séquelles permanentes de son accident. Puis, ce fut la guerre pour l'indexation de sa rente. Aujourd'hui, il tente de récupérer des intérêts. Ce citoyen:  : « Depuis 15 ans, jour et nuit, je pense à ça. Un beau dossier, les méchantes lettres qu'ils m'envoient, les messages qu'ils envoient, l'intimidation…»

Chaque fois que ce citoyen gagne, la SAAQ lui envoie la même lettre qu'à la résidente de la région de Granby. Cela fait cinq fois qu'on le menace de récupérer les sommes accordées par le TAQ. Un véritable acharnement judiciaire. Cet homme: «Ils cherchent à m'épuiser pour que je lâche.»

Une pratique douteuse

Michel Cyr est l'avocat de ces deux citoyens. Il défend les accidentés de la route depuis 20 ans. Selon lui, rien dans la loi ne permet à la Société de l'assurance automobile de récupérer les indemnités obtenues devant le TAQ. Me Cyr :  : «La personne qui obtient gain de cause devant un tribunal a le droit de garder les sommes qui lui sont accordées.»

Selon Me Janick Perreault, qui enseigne le droit de l'assurance automobile, même si la SAAQ gagnait en révision pour cause, rien ne lui permet de récupérer l'argent déjà versé. L'avocate:  : «Lorsque la Société dit : "Vous me rembourserez à la suite d'un recours", cela n'est basé sur absolument rien!»

Le texte de la Loi sur l'assurance automobile du Québec est très clair.
L'article 83.51 prévoit «qu'advenant une demande de révision ou un recours devant le TAQ, les sommes déjà versées ne peuvent être recouvrées, à moins qu'elles n'aient été obtenues par suite d'une fraude».

Me Perreault: «La SAAQ a le droit d'aller en révision pour cause, mais non pas de réclamer [l'argent déjà versé].»

La SAAQ a refusé d'accorder une entrevue à la caméra à La Facture. Elle a plutôt donné ses explications par écrit. Ainsi, la SAAQ prétend que l'article 83.51 ne s'applique tout simplement pas à la révision pour cause. Curieusement, cette exception n'est écrite nulle part dans la Loi.
Me Cyr:  «Ce serait ridicule et hilarant, si ce n'était pas aussi dommageable pour les citoyens. À notre avis, une interprétation aussi ridicule ne tient pas. La loi constitutive prévoit le contraire.»

Le citoyen de l'Outaouais: «Je demande qu'on arrête ça. Ils ont fait des choses illégales, c'est de la mauvaise foi, c'est de la négligence, c'est de l'abus.»

Même les directives internes de la SAAQ, dont nous avons obtenu copie, ne permettent pas de récupérer les sommes déjà versées. Nous avons donc demandé des explications à la SAAQ. Au téléphone, un porte-parole de la Société confirme que cette exception n'est pas dans leur manuel de directives.

Il n'y a donc rien dans la loi ni dans les directives internes qui permette à la SAAQ de récupérer les indemnités déjà versées. Malgré cela, la SAAQ maintient sa position.

Me Perreault:  «À ma connaissance, il n'y a aucune décision qui leur donne raison là-dessus, aucune jurisprudence.»

Me Cyr: «C'est un mépris des citoyens, et c'est une pression indue d'un organisme autoritaire. La SAAQ est, à mon avis, le pire des organismes au Québec en ce qui concerne le respect du citoyen.»

Le citoyen de l'Outaouais: «Ça fait vraiment peur quand tu n'as presque rien, c'est perdre espoir dans l'avenir. […] J'ai rien devant moi. »

En conclusion

Ces deux citoyens ne se sont pas laissé intimider: ils ont encaissé leur chèque et ont utilisé l'argent dont ils avaient grand besoin. Quant à la SAAQ, elle a subi tout un revers: le Tribunal administratif du Québec a rejeté sa demande de révision du cas de la citoyenne de la région de Granby.

Enfin, en faisant ce reportage, l'équipe de La Facture a pris contact avec le Protecteur du citoyen, qui a décidé d'ouvrir une enquête sur cette pratique pour le moins douteuse de la SAAQ.

 

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