La
SAAQ menace de reprendre les compensations
versées à certaines victimes
de la route
La
Société de l'assurance automobile
du Québec vient en aide, depuis sa
création il y a trente ans, aux citoyens
victimes d'accidents de la route, peu importe
leur faute. Vous y avez droit, c'est dans
la loi, vous payez pour ça! C'est
ce que croyaient cette femme de la région
de Granby et cet homme de l'Outaouais. Mais
pour éviter de leur payer ce qu'elle
leur devait,
la SAAQ n'a même pas respecté
sa propre loi.
Journaliste : Caroline Belley
Réalisateur : Louis Faure
La SAAQ lui coupe
les vivres après quelques mois
Un
21 décembre au soir, cette résidente
de la région de Granby rentre à
la maison en voiture avec son mari, après
une longue journée d'émondage.
Les routes sont glissantes. Elle a un accident
dans une courbe. C'était il y a quatre
ans. Depuis l'accident, elle n'a jamais
pu reprendre son travail d'émondeuse.
Son bras droit est demeuré sérieusement
handicapé. Pendant sa réhabilitation,
elle reçoit des prestations de la
Société de l'assurance automobile
du Québec, la SAAQ. Cette résidente
explique que la SAAQ lui a envoyé
des prestations pendant cinq ou six mois,
et après, plus rien.
Ainsi, depuis juillet 1999, elle n'a plus
jamais reçu d'argent de la SAAQ.
Pendant quatre ans, les agents de la SAAQ
ont refusé de reconnaître que
les blessures de cette citoyenne étaient
liées à son accident de voiture.
L'accidentée: « Il
y en a un qui m'a engueulée comme
du poisson pourri. J'ai commencé
à faire une dépression."
Sa fille: "Ma mère,
c'est une femme forte. Pendant quatre ans,
je l'ai vue fatiguée. Elle ne pouvait
plus dormir à cause de la douleur.
C'était difficile de la voir comme
ça. On ne la reconnaissait plus. »
Convaincue que ses douleurs sont liées
à son accident, elle demande qu'on
révise son dossier. La SAAQ maintient
sa décision: aucune indemnisation!
Son mari: « À un moment,
elle voulait lâcher, elle disait que
ça allait coûter trop cher
en frais d'avocat. J'ai dit non, j'ai dit:
"Même si je perds ma maison,
même si je perds tout, j'y vais.»
Elle
gagne sa cause, mais c'est peine perdue
Épaulée par sa famille et
son avocat, expertises médicales
après contre-expertises médicales,
lettres après lettres, elle a étoffé
son dossier pour finalement le présenter
au Tribunal administratif du Québec
(TAQ). Le TAQ est l'instance administrative
finale qui tranche, entre autres, les litiges
opposant les citoyens à la SAAQ.
En juin dernier, la SAAQ est condamnée
à verser des indemnités à
cette citoyenne. La SAAQ est donc forcée
de donner 84 000 $ à la citoyenne.
Ce montant représente le paiement
de prestations pour les quatre années
pendant lesquelles cette femme n'a reçu
aucune indemnisation.
La joie de cette citoyenne sera de courte
durée. La SAAQ n'accepte pas d'avoir
perdu devant le TAQ. Dans une lettre, la
SAAQ annonce à la citoyenne que l'organisme
va en révision pour cause: un recours
tout à fait exceptionnel puisque
les jugements du TAQ sont sans appel. Mais
si ce n'était que ça. Ce qu'il
y a de plus grave, c'est qu'il est aussi
écrit que si la SAAQ gagnait en révision,
la citoyenne devra remettre son chèque
de 84 000 $. La lettre de la SAAQ est
claire là-dessus: «Il
est possible que nous récupérions
les sommes déjà versées
par l'indemnité de remplacement de
revenu, les intérêts ainsi
que les indemnités à venir.»
:Elle gagne sa cause,
mais c'est peine perdue
Ce
résident de l'Outaouais a reçu
lui aussi la même lettre que la citoyenne
de la région de Granby. Cet homme
a été fauché par un
véhicule à l'âge de
17 ans, alors qu'il faisait de la bicyclette.
Il a été pendant 10 jours
dans le coma. Un traumatisme crânien
sévère l'empêche de
travailler. Il s'épuise rapidement,
il chancelle, comme s'il était en
état d'ébriété.
Il se bat contre la SAAQ depuis plus de
15 ans. Il s'est d'abord battu pour faire
reconnaître les séquelles permanentes
de son accident. Puis, ce fut la guerre
pour l'indexation de sa rente. Aujourd'hui,
il tente de récupérer des
intérêts. Ce citoyen: : « Depuis
15 ans, jour et nuit, je pense à
ça. Un beau dossier, les méchantes
lettres qu'ils m'envoient, les messages
qu'ils envoient, l'intimidation »
Chaque fois que ce citoyen gagne, la SAAQ
lui envoie la même lettre qu'à
la résidente de la région
de Granby. Cela fait cinq fois qu'on le
menace de récupérer les sommes
accordées par le TAQ. Un véritable
acharnement judiciaire. Cet homme: «Ils
cherchent à m'épuiser pour
que je lâche.»
Une pratique douteuse
Michel Cyr est l'avocat de ces deux citoyens.
Il défend les accidentés de
la route depuis 20 ans. Selon lui, rien
dans la loi ne permet à la Société
de l'assurance automobile de récupérer
les indemnités obtenues devant le
TAQ. Me Cyr : : «La
personne qui obtient gain de cause devant
un tribunal a le droit de garder les sommes
qui lui sont accordées.»
Selon
Me Janick Perreault, qui enseigne le droit
de l'assurance automobile, même si
la SAAQ gagnait en révision pour
cause, rien ne lui permet de récupérer
l'argent déjà versé.
L'avocate: : «Lorsque
la Société dit : "Vous
me rembourserez à la suite d'un recours",
cela n'est basé sur absolument rien!»
Le texte de la Loi sur l'assurance automobile
du Québec est très clair.
L'article 83.51 prévoit «qu'advenant
une demande de révision ou un recours
devant le TAQ, les sommes déjà
versées ne peuvent être recouvrées,
à moins qu'elles n'aient été
obtenues par suite d'une fraude».
Me Perreault: «La SAAQ a le droit
d'aller en révision pour cause, mais
non pas de réclamer [l'argent déjà
versé].»
La SAAQ a refusé d'accorder une
entrevue à la caméra à
La Facture. Elle a plutôt donné
ses explications par écrit. Ainsi,
la SAAQ prétend que l'article 83.51
ne s'applique tout simplement pas à
la révision pour cause. Curieusement,
cette exception n'est écrite nulle
part dans la Loi.
Me Cyr: «Ce serait ridicule
et hilarant, si ce n'était pas aussi
dommageable pour les citoyens. À
notre avis, une interprétation aussi
ridicule ne tient pas. La loi constitutive
prévoit le contraire.»
Le citoyen de l'Outaouais: «Je
demande qu'on arrête ça. Ils
ont fait des choses illégales, c'est
de la mauvaise foi, c'est de la négligence,
c'est de l'abus.»
Même les directives internes de la
SAAQ, dont nous avons obtenu copie, ne permettent
pas de récupérer les sommes
déjà versées. Nous
avons donc demandé des explications
à la SAAQ. Au téléphone,
un porte-parole de la Société
confirme que cette exception n'est pas dans
leur manuel de directives.
Il n'y a donc rien dans la loi ni dans
les directives internes qui permette à
la SAAQ de récupérer les indemnités
déjà versées. Malgré
cela, la SAAQ maintient sa position.
Me Perreault: «À
ma connaissance, il n'y a aucune décision
qui leur donne raison là-dessus,
aucune jurisprudence.»
Me Cyr: «C'est un mépris
des citoyens, et c'est une pression indue
d'un organisme autoritaire. La SAAQ est,
à mon avis, le pire des organismes
au Québec en ce qui concerne le respect
du citoyen.»
Le citoyen de l'Outaouais: «Ça
fait vraiment peur quand tu n'as presque
rien, c'est perdre espoir dans l'avenir.
[ ] J'ai rien devant moi. »
En conclusion
Ces deux citoyens ne se sont pas laissé
intimider: ils ont encaissé leur
chèque et ont utilisé l'argent
dont ils avaient grand besoin. Quant à
la SAAQ, elle a subi tout un revers: le
Tribunal administratif du Québec
a rejeté sa demande de révision
du cas de la citoyenne de la région
de Granby.
Enfin, en faisant ce reportage, l'équipe
de La Facture a pris contact avec le Protecteur
du citoyen, qui a décidé d'ouvrir
une enquête sur cette pratique pour
le moins douteuse de la SAAQ.
Vous trouverez, s'il
y a lieu, l'information complémentaire
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