Les
pompiers réclament 1300 $ à
cette victime d'un accident de moto
Une motocycliste
est victime d'un accident à Mont-Joli.
Les policiers, les ambulanciers et les pompiers
lui viennent en aide. Mais quelle n'a pas
été sa surprise de recevoir
une facture de 1300 $ des pompiers!
Une
citoyenne de Causapscal, en Gaspésie,
est victime d'un accident de moto en septembre
dernier à Mont-Joli. Elle raconte ce
qui s'est passé : « J'ai
probablement dérapé, je suis
passée par-dessus la moto et j'ai perdu
connaissance. » La moto
est en bien mauvais état. Il manque
des pédales et des miroirs. L'aile
arrière de la moto est tordue, si bien
que le véhicule est inutilisable pour
le moment. En plus des dommages matériels,
la motocycliste a subi des blessures.
Une facture des pompiers
C'est pendant sa
convalescence qu'elle constate qu'un malheur
n'arrive jamais seul : « J'ai
reçu une facture de la ville de Mont-Joli
pour le service des pompiers qui se sont
présentés sur les lieux de
mon accident. On me réclame 1380,30 $. »
Cette somme couvre les services d'une équipe
d'autopompe, d'un officier et de deux pompiers.
La motocycliste a
contesté cette facture : « Ils
m'ont dit que je devais payer cette facture
puisqu'ils sont intervenus ».
Elle envoie la facture à son assureur.
Sa réclamation est refusée
parce qu'elle n'est pas assurée pour
ses propres dommages. Elle se tourne alors
vers la SAAQ. Encore un refus. Rien dans
la loi ne prévoit le remboursement
d'une telle facture. Elle devra donc débourser
les 1380 $. Une dépense imprévue
dans son budget : « L'ambulance,
la police, ce sont des services qui sont
payés. Pourquoi les services des
pompiers ne sont-ils pas payés? »
Tout simplement parce
que depuis 1989, un décret du gouvernement
permet aux municipalités de facturer
l'intervention des pompiers appelés
à combattre ou à prévenir
l'incendie du véhicule de toute personne
qui n'habite pas le territoire de la municipalité.
Mont-Joli,
comme d'autres municipalités, a donc
adopté un règlement en ce
sens, comme le précise Mario Caron,
directeur général de la ville :
« On peut facturer l'intervention
des pompiers au propriétaire du véhicule,
lorsqu'il demeure en dehors du territoire
desservi ».
Ce que dit le
règlement
Pourtant, ce n'est
pas tout à fait ce qu'entendait le
gouvernement quand il a permis aux municipalités
de facturer les interventions des pompiers.
C'est donc une décision récente
de la Cour d'appel qui est venue limiter
le pouvoir de facturation des villes. Denis
Beaupré, un avocat qui représente
des municipalités, considère
que Mont-Joli est dans l'erreur : « Selon
la Cour d'appel, la seule interprétation
acceptable consiste à permettre d'imposer
une tarification si le service des pompiers
est appelé à ne combattre
que l'incendie d'un bien sans que par ailleurs,
en même temps, la santé et
la vie d'une personne ne soit en danger. »
Le gros bon sens
a prévalu dans ce jugement. Selon
la Cour d'appel, le seul cas où une
ville peut facturer l'intervention des pompiers,
c'est lorsqu'un véhicule prend feu
ou menace de prendre feu, mais sans qu'il
ne soit, en même temps, impliqué
dans un accident. Les trois juges ajoutent
« qu'il est indéniable
que le gouvernement a voulu que tout citoyen
bénéficie des services de
sécurité où qu'il soit
et sans frais quand il existe un danger
pour sa vie ». Malgré
ce qu'a dit la Cour, Mont-Joli maintient
son interprétation du règlement.
Mario Caron : « Notre
règlement est considéré
comme valide, il n'a jamais été
contesté par un tribunal ».
Me Beaupré voit les choses autrement :
« C'est comme si Mont-Joli
disait qu'elle a plus de pouvoirs que ce
que le gouvernement lui a donné ».
L'intervention des
pompiers était-elle nécessaire?
Maintenant qu'elle
connaît les détails de son
accident, la motocycliste se demande pourquoi
on a dépêché les pompiers.
D'autant plus qu'ils sont arrivés
les derniers sur les lieux, après
l'ambulance, la police et la remorqueuse.
C'est
le CAUREQ, la centrale 911 basée
à Rimouski, qui envoie les services
d'urgence sur les lieux d'un accident. L'organisme
dessert toute la péninsule gaspésienne.
La motocycliste a obtenu l'enregistrement
de l'appel 911 fait par son compagnon de
moto. À l'écoute de la bande,
elle comprend encore moins pourquoi les
pompiers sont intervenus. Dans cet enregistrement,
il ressort clairement qu'il n'y a aucun
produit chimique sur les lieux de l'accident
et que personne n'est coincé. Il
n'y a pas eu d'incendie non plus. Le porte-parole
des pompiers reconnaît que « techniquement,
les pompiers n'ont rien fait sur la moto ».
L'envoi
des pompiers est systématique en
pareille situation. C'est le Dr Sébastien
Toussaint, directeur médical du CAUREQ,
qui a élaboré le protocole
d'urgence : « On
parle ici d'une moto avec des substances
combustibles, un bloc moteur qui est chaud.
On a tous les ingrédients, avec l'impact
à haute vélocité, pour
engendrer peut-être un incendie. »
La Facture
a soumis à deux autres centrales
911, une en région et l'autre en
milieu urbain, l'appel lié à
l'accident de la motocycliste. Dans les
deux cas, elles n'auraient pas envoyé
les pompiers. Le Dr Toussaint : « Comme
organisme responsable, le CAUREQ ne peut
pas prendre de risques par rapport à
la sécurité et à la
santé de la population ».
Mario Caron, le directeur
général de la ville, confirme
que pour respecter le protocole de la CAUREQ,
les pompiers interviennent plus souvent;
en fait, presque chaque fois qu'il y a un
code d'urgence.
La motocycliste se
pose des questions : « Quand
la personne appelle pour dire qu'il y a
un accident, pourquoi ne prennent-ils pas
la peine de vérifier si c'est nécessaire
d'envoyer les pompiers? »
Le Dr Toussaint répond à cela
qu'une telle vérification « ne
fait pas partie intégrante des questions
du protocole médicalisé ».
D'autres citoyens
s'interrogent aussi sur les sorties de plus
en plus fréquentes des pompiers.
Mario Caron : « On
a eu ce type de plaintes, on a vérifié
ce qu'il en était ».
Si
l'envoi systématique des pompiers
sur les lieux d'accidents routiers est impératif
pour des questions de sécurité,
ne faudrait-il pas alors mieux évaluer
la pertinence de facturer ce service? C'est
ce que croit Me Beaupré :
« Si les pompiers sont
appelés à y aller, on y va,
et ensuite on évalue si on pouvait
tarifer ou pas ».
Le Dr Toussaint
a mentionné à La Facture
que le protocole d'urgence doit faire l'objet,
cette année, d'une révision
dans son ensemble. Il est possible qu'éventuellement,
un appel comme celui décrit dans
ce reportage, ne requiert plus l'envoi des
pompiers.
De son côté,
la motocycliste a déjà payé
la moitié de la facture. Le directeur
de la ville, Mario Caron affirme qu'il n'est
pas question de rembourser la motocycliste,
à moins qu'un tribunal ne les y oblige.
La motocycliste : « Nous,
les honnêtes citoyens, on ne sait
pas nécessairement qu'en faisant
appel au 911, c'est toute la panoplie des
services qui interviennent ».
En conclusion
Si la motocycliste
avait été assurée pour
ses propres dommages, l'assureur aurait
payé la note. Si les pompiers avaient
eu recours aux pinces de désincarcération,
c'est la Société de l'assurance
automobile qui aurait payé la facture,
tel que prévu dans ses règlements.
La Facture a aussi appris que les
ambulanciers qui ont secouru l'accidentée
auraient pu annuler l'appel aux pompiers
en constatant qu'il n'y avait pas de danger
d'incendie. Ils ne l'ont pas fait.
La motocycliste va
contester cette facture des pompiers de
Mont-Joli à la Cour des petites créances.