Un couple
de Montréal s'est fait voler
sa maison! Des fraudeurs ont vendu la maison
sans que les propriétaires s'en rendent
compte. Un tour de passe-passe que ce couple
n'est pas près d'oublier.
Journaliste
: Yvan Lamontagne
Réalisateur : Louis Faure
Une parfaite
escroquerie
Ces résidents
s'en souviendront longtemps. Leur maison
a été vendue à leur
insu. Le propriétaire a d'abord cru
qu'on lui jouait un tour. Mais il était
loin de rigoler lorsqu'il a trouvé
dans sa boîte aux lettres un acte
notarié confirmant la vente de sa
maison : « Ça,
ce n'est pas la signature de ma femme, et
ça, ce n'est pas ma signature. En
janvier dernier, des gens se sont présentés
chez un notaire de la Rive-Sud. Ils ont
pris mon identité, celle de ma femme
et celle d'un professeur de l'Université
de Montréal. »
L'usurpation
d'identité est parfaite : un
faux acheteur, de connivence avec un faux
vendeur. Le propriétaire : « La
personne qui jouait mon rôle s'est
présentée chez le notaire
avec un collier cervical et des béquilles.
C'était le jour de la signature des
actes. Quand on lui a demandé des
pièces d'identité, la personne
a dit : "Je sors de l'hôpital,
j'ai eu un accident, tout est à l'hôpital,
je vous envoie ça demain." Mais
le lendemain, il n'y a pas eu de pièces
d'identité. »
La transaction se
fait malgré tout. La maison est vendue
entre les fraudeurs. Ce type de vol est
relativement nouveau pour les enquêteurs
aux crimes économiques de la Sûreté
du Québec. L'agent Michel Forget : « Quelqu'un
navigue en haut de ça et place les
joueurs aux bons endroits. On voit la structure
se développer quasiment comme une
pièce de théâtre. »
Cette pièce
de théâtre se joue au bureau
d'un notaire à Saint-Lambert. Le
propriétaire de la maison : « Ce
qui est surtout grave, c'est le fait qu'on
ait signé cet acte sans mes pièces
d'identité ni celles de ma femme. »
Le notaire David Dolan comprend mal que
son collègue ait pu se faire prendre
dans une transaction de ce genre. Il rappelle
que les notaires ont l'obligation, en vertu
de la loi, de vérifier l'identité
des gens.
Le
notaire en question refuse d'accorder une
entrevue à La Facture. Le
syndic de la Chambre des notaires prévoit
prendre des mesures disciplinaires contre
lui. Le notaire David Dolan : « Il
(le notaire) va avoir de beaux problèmes
parce qu'il devra prouver qu'il a vérifié
l'identité des parties, comme il
devait le faire, et qu'il a conservé
la preuve de vérification, tel que
l'exige le règlement sur la tenue
de dossiers. »
La maison aurait
pu se vendre plus de 400 000 $,
selon le propriétaire. Les fraudeurs
l'ont vendue 300 000 $, et il
y a eu une hypothèque de 243 000 $,
signée avec la CIBC. Les fraudeurs
empochent donc l'hypothèque.
CIBC : la grande perdante
dans cette affaire
Mais la banque aurait-elle
pu prévenir une fraude du genre?
À l'Ordre des évaluateurs
agréés du Québec, on
pense que oui. Et plusieurs banques seraient
de moins en moins exigeantes lorsqu'il s'agit
d'accorder un prêt. Céline
Viau, secrétaire générale
de l'Ordre, explique que certaines banques,
pour réaliser au plus vite la transaction,
ne font pas une évaluation rigoureuse.
Par exemple, des banques se contentent d'une
évaluation faite à la va-vite
qui consiste à passer devant la propriété
en voiture pour vérifier si la maison
existe. Me David Dolan : « Si
les institutions financières avaient
l'obligation de faire faire une évaluation
et d'aller à l'intérieur de
la maison, il n'y aurait certainement pas
eu de fraude dans ce cas-ci. On aurait tout
de suite découvert le pot aux roses. »
La CIBC refuse également
d'accorder une entrevue à La Facture.
La banque a simplement fait savoir à
La Facture, par écrit, qu'elle
avait agi avec toute l'éthique et
la rigueur appropriées dans ce dossier.
Les policiers ont
arrêté jusqu'ici quatre personnes.
D'autres fraudes semblables ont été
commises. Selon l'agent Forget, on compte
14 transactions dans le Grand Montréal,
d'une valeur totale de 2,6 millions de dollars.
Dans trois cas, la transaction s'est faite
à l'insu des propriétaires.
Sept institutions financières sont
touchées par les arnaques, et plusieurs
notaires ont donné leur aval aux
transactions.
Tout savoir sur votre
propriété
Le couple présenté
dans ce reportage se demande encore aujourd'hui
comment les fraudeurs ont fait. La propriétaire : « Ça
me renverse que des gens aient pu faire
tout ça sous notre nez, à
notre barbe. » Quant
à son conjoint, il se demande bien
où les fraudeurs ont pris l'information.
Et
bien! ce n'est pas si compliqué.
N'importe qui peut obtenir toute l'information
sur votre propriété, rien
qu'avec l'adresse. D'abord, il faut trouver
le numéro de lot sur le site Internet
de la Ville de Montréal. Ce numéro
est essentiel pour fouiller dans les banques
de données du Bureau de la publicité
des droits. Le journaliste de La Facture
a retrouvé dans Internet les renseignements
sur la vente (frauduleuse) de la maison
du couple : le prix, la date et le numéro
de l'acte. Une fraude qui apparaît
ici dans un registre officiel, comme un
document légal.
Les fraudeurs cherchent
surtout des maisons libres de toute hypothèque,
comme celle du couple de Montréal.
Il est ainsi plus facile pour eux d'emprunter.
Avec le numéro de cadastre ou de
lot, n'importe qui peut savoir si une maison
est payée ou non. C'est du domaine
public.
Grâce à
ces informations publiques, les fraudeurs
ont pu obtenir non seulement les titres
de propriété, mais également
le contrat de mariage du couple. Tout ce
qu'il faut pour faire bonne impression chez
le notaire. Le sergent Michel Forget : « Ce
propriétaire n'aurait pas pu faire
plus pour se prémunir contre une
telle fraude. Ces habiles fraudeurs ont
pris sa maison et l'ont hypothéquée
à son insu. »
Récupérer
les titres
Toutes les parties
en cause admettent depuis le début
que le couple est bel et bien victime de
fraude. Mais après plus de huit mois,
les titres de propriété frauduleux
ne sont toujours pas radiés. Le propriétaire : « Comment
se fait-il qu'il n'y ait pas un président
de la CIBC qui dise : "Eh! Eh! Il faut
arrêter ça là! Il faut
lui redonner sa maison." Pourquoi ne
font-ils pas ça? Je ne le sais pas. »
David
Dolan
Le notaire David
Dolan se fait rassurant : « C'est
un cas d'exception, mais il n'a pas perdu
sa maison. Il va ravoir ses titres; le plus
vite possible, on le lui souhaite. »
Mais les propriétaires
dorment mal. Ils sont stressés parce
qu'ils ne savent pas quand ça va
se terminer. La dame : « Quand
on est à la retraite, on a d'autres
projets que de se faire du mauvais sang
pour des choses comme ça, dont on
n'est pas responsables et dont personne
ne peut se protéger. »
En conclusion
Enfin, ça
bouge dans le dossier du couple! Un juge
de la Cour supérieure a déclaré
nul l'acte de vente passé devant
le notaire de Saint-Lambert. Il a ordonné
la radiation des inscriptions d'hypothèque
et de vente de la maison au Bureau de la
publicité des droits. De leur côté,
les propriétaires poursuivent la
banque et le notaire devant la Cour des
petites créances pour défrayer
leurs frais judiciaires et obtenir un dédommagement
minimal.
Hyperliens
Vos
papiers SVP Des renseignements
sur l'obligation d'identification officielle
lors de transactions ou autres.
Site de la Chambre des notaires du Québec
L'acte
d'évaluation d'un bien immobilier
L'Ordre explique quelles sont les normes
suivies lors de l'évaluation de biens
immobiliers.
Ordre des évaluateurs agréés
du Québec
Registre
foncier du Québec
Un registre public, où on retrouve
une grande partie des transactions immobilières
réalisées en territoire québécois.
Les citoyens peuvent y avoir accès
et retracer, entre autres, lhistorique
des transactions faites sur un lot depuis
sa création
Registre
des droits personnels et réels mobiliers Le registre RDPRM,
qui a vu le jour en 1994, contient des informations,
entre autres, sur les régimes matrimoniaux,
l'hypothèque sur un véhicule
et les contrats de location sur une maison
mobile.
Vous pouvez revoir l'émission
Place
publique en compagnie de l'animatrice
Madeleine Roy et du journaliste Yvan
Lamontagne.