Les
erreurs d'étiquetage dans les grandes
surfaces
Depuis deux
ans au Québec, la plupart des magasins
à grande surface sont soumis à
une politique d'exactitude des prix. Le
commerçant n'a plus à indiquer
le prix sur chaque article; mais en contrepartie,
il doit afficher ce prix sur chaque tablette.
En cas d'erreur, il doit dédommager
le client. Une consommatrice de la région
de Montréal a décidé
de faire valoir ses droits.
Journaliste : Julie Miville-Dechêne
Réalisateur : André Gariépy
Une consommatrice
vigilante
Cette
consommatrice avertie affirme qu'elle trouve
des erreurs presque chaque fois qu'elle
fait son marché. Elle décortique
tous les dépliants et une fois à
l'épicerie, elle redouble de vigilance
au comptoir des viandes : « Chez
Loblaws à Longueuil, ils ont vendu
des hauts de cuisse de poulet - qui coûtent
normalement 4,10 $ le kilo - dans un
emballage de poitrines de poulet désossées
sans peau à 16,51 $ le kilo.
C'est terrible. Je pense aux gens qui ont
acheté ça. C'est du vol. »
Quand elle fait son
marché, elle note le coût de
chaque article qu'elle met dans son panier
et le compare au prix à la caisse : « J'ai
trouvé beaucoup d'erreurs chez Provigo,
Loblaws, des Maxi à Boucherville
et à Longueuil et aussi Super C.[ ]
Je n'ai jamais vu d'erreurs en faveur du
consommateur. Ce sont toujours des erreurs
en faveur du marchand. »
Pour chaque erreur,
elle invoque la politique d'exactitude des
prix affichée à la caisse.
Le commerçant est obligé de
donner le produit s'il vaut moins de 10 $
ou de lui consentir un rabais de 10 $
si l'article coûte plus cher. En deux
ans, elle a eu gratuitement 94 articles
d'une valeur totale de 662 $. Elle
avoue qu'elle profite des erreurs mais elle
rajoute que les marchands profitent beaucoup
des consommateurs.
« Souvent,
j'ai le sentiment que je dérange
et de plus en plus, on me reconnaît
», dit-elle. Le dimanche
31 août, elle arrive à la caisse
de son Provigo de Longueuil avec encore
une fois, deux paquets de viande mal étiquetés.
Ce soir-là, la responsable refuse
de les lui donner. La consommatrice : « J'ai
insisté. Finalement elle m'a dit
qu'à l'avenir elle avait comme directive
du directeur, Martin Pelletier, de ne plus
m'appliquer la politique. Seulement à
moi. »
Impossible d'interroger
le directeur du supermarché en cause.
Ce dernier a référé
La Facture à la porte-parole
du groupe Provigo, qui chapeaute aussi les
Loblaws et les Maxi. Josée Bédard,
directrice principale aux affaires corporatives
à Provigo : « La
politique s'applique de façon équitable
à tous nos clients. Je dois cependant
vous dire qu'il semble y avoir eu une escalade
verbale de part et d'autre. Et dans une
escalade verbale, on peut entendre toutes
sortes de choses. » Ceci
étant dit, Provigo reconnaît
sa faute. Josée Bédard : « La
caissière aurait dû rembourser
la cliente même dans le doute. C'est
notre politique d'exactitude des prix. »
Des règles
plus ou moins respectées
L'équipe de
La Facture, munie d'une caméra
cachée, a passé au lecteur
optique dans ce même Provigo une cinquantaine
d'articles. Elle a trouvé une seule
erreur : un dentifrice en solde à
79 cents, vendu à 99 cents.
On nous a donné le tube à
la caisse sans discussion.
Les
choses se sont corsées avec le rôti
français, annoncé à
5,49 $ le kilo. Plusieurs rôtis
étaient étiquetés à
7,69 $ le kilo. La caissière
a fait appel au boucher, puis au directeur,
pour expliquer cette différence de
prix. Le directeur a expliqué que
le rabais ne s'appliquait qu'aux rôtis
bardés de gras. Pourtant, juste derrière
l'étiquette « Aubaine
de la semaine », les rôtis
bardés en spécial et les non
bardés étaient mélangés
dans le même bac. Difficile de ne
pas se faire prendre. Finalement, le directeur
a accepté de nous vendre un rôti
non bardé au même prix que
les bardés.
L'Office de protection
du consommateur est chargé de faire
respecter la loi. George-André Levac,
de l'OPC : « Nous
constatons que de nombreux joueurs dans
l'industrie semblent malheureusement se
faire tirer l'oreille pour respecter les
règles. »
Il y a deux volets
à la loi : le prix annoncé
doit être le prix facturé,
mais en plus, le commerçant doit
apposer une étiquette de prix devant
chaque rangée de produits. S'il y
a un oubli, le consommateur n'est pas dédommagé;
mais le commerce lui, s'expose à
une poursuite. En 2002, l'OPC a déposé
300 chefs d'accusation contre onze magasins.
À 2000 $ par étiquette
manquante. Rona, au Carrefour Laval, risque
de recevoir 58 000 $ d'amendes.
Un Loblaws de Saint-Laurent, 52 000 $.
Il manque des étiquettes
La Facture est
allée voir si la situation a changé.
Chez Rona, il manquait 18 étiquettes
sur les tablettes : une rangée
complète d'articles divers sans prix.
Chez Loblaws, nous avons noté qu'il
manquait 20 étiquettes pour des articles
divers, des bols en pyrex au jus de palourdes.
Josée
Bédard, de Provigo : « Nos
enquêtes internes démontrent
que nos taux d'erreur sont vraiment minimes
parce que dans une entreprise où
on a 3 millions d'opérations par
semaine, 150 millions d'opérations
par année, c'est vraiment marginal.
»
Chez Couche-Tard,
la plus grande chaîne de dépanneurs
au pays, les ratés sont encore plus
évidents. On a vu des présentoirs
complets sans étiquettes et surtout,
il n'y avait aucune affiche sur la politique
d'exactitude des prix. La Facture
a eu droit à toutes sortes d'explications
des caissiers. Un caissier n'est pas au
courant de cette histoire d'affiches. Un
autre caissier affirme que les magasins
ne sont pas obligés d'avoir cette
affiche en magasin.
Ce
caissier a tort. Au Québec, le marchand
doit choisir : il met le prix sur chaque
article - un prix unitaire - ou encore il
ne met qu'une seule étiquette de
prix sur la tablette. Dans ce cas, l'affiche
est obligatoire. Couche-Tard prétend
qu'elle indique le prix sur chaque produit
et c'est pour ça qu'il n'y a pas
d'affiche. Un porte-parole de Couche-Tard,
Stéphane Gonthier, affirme que l'étiquetage
des prix est une règle à l'interne : « S'il
y a des magasins qui n'ont pas un prix unitaire,
il y a un problème dans ce magasin,
merci de m'en informer, on va intervenir
tout de suite. On va s'assurer que tous
les prix sont étiquetés. »
Des cas isolés?
Difficile à croire. L'enquête
de La Facture démontre que
tous les Couche-Tard visités au hasard
ont opté pour l'étiquetage
sur les tablettes. Ils devraient donc tous
avoir des affiches. Surtout que la loi l'exige
depuis deux ans. Selon l'OPC, quiconque
a dépassé cette période
est en infraction.
Stéphane Gonthier, de Couche-Tard : « C'est
facile sur papier, en petit comité,
de déterminer les lois. Mais la réalité
sur le terrain, c'est que vous avez des
employés, vous avez un taux de rotation,
vous avez de nombreuses surfaces, vous devez
être en mesure d'imprimer sur place
les étiquettes. »
Couche-Tard a promis de se conformer à
la loi et d'afficher sa politique dans ses
500 dépanneurs dès novembre.
Cette consommatrice
vigilante de la région montréalaise
est l'une des rares qui prend la peine de
porter plainte à l'OPC, en martelant,
facture à l'appui, que son Provigo
a fait 21 erreurs en quatre mois. Georges
André Levac, de l'OPC : « C'est
nettement préoccupant, à tout
le moins inquiétant, qu'une même
entreprise, avec une même cliente,
commette autant d'erreurs. »
En conclusion
Provigo a offert
40 $ en dédommagement à
cette consommatrice de la région
montréalaise, à la suite de
sa plainte à l'OPC. La consommatrice
a refusé ce règlement, le
jugeant insuffisant.
Couche-Tard avait
promis d'afficher la politique d'exactitude
des prix dans tous ses magasins dès
ce mois-ci. La Facture a visité
six dépanneurs le 6 novembre. Aucun
n'affichait la politique d'exactitude des
prix exigée par la loi et il manquait
encore plusieurs étiquettes sur les
tablettes.
Hyperlien
Office
de la protection du consommateur Pour consulter
la fiche pratique de l'OPC sur l'indication
obligatoire des prix et pour porter plainte
contre un commerçant fautif.