Une
erreur de son agent bloque la vente de sa
maison
Lorsque
vient le temps de vendre sa maison, on se
dit, la mort dans l'âme, qu'il va
falloir payer une commission plutôt
salée à son agent immobilier.
Et les commissions suivent bien sûr
la valeur des maisons, qui n'arrête
pas de grimper. Des commissions de 10 000
à 20 000 $, ça mange
sérieusement un gain de capital!
À ce prix-là, il est difficile
d'accepter qu'une faute de votre agent mette
en péril la vente de votre maison.
Mais il y a pire : votre maison peut littéralement
être prise en otage, comme cela est
arrivé à un résident
de Gatineau.
Journaliste : Julie-Miville-Dechêne
Réalisateur : André Gariépy
L'offre
d'un premier acheteur
En
avril dernier, ce résident de Gatineau
reçoit une offre d'achat pour sa
maison. L'acheteur, qui a eu un coup de
foudre pour la maison, offre le prix demandé : 164 900 $.
La promesse d'achat est acceptée
à une condition : l'acheteur doit
obtenir un prêt hypothécaire
d'ici 15 jours. Le quinzième jour,
l'acheteur reçoit de ING Direct une
approbation de financement, assortie de
six conditions, notamment celle de fournir
une preuve qu'il a payé ses dettes.
L'acheteur envoie la lettre d'ING Direct
à son agente immobilière.
Cette dernière fait suivre le document
à l'agente du vendeur, en mentionnant
que tout est en règle, qu'il reste
des détails à régler
avec la banque, mais que « tout
est terminé ». Erreur!
Au Québec, l'acheteur doit obtenir
un prêt hypothécaire sans aucune
condition. Ce que cet acheteur n'avait pas
obtenu. Cependant, un financement conditionnel
n'élimine pas automatiquement l'offre,
selon l'Association des courtiers et agents
immobiliers du Québec - ACAIQ. François
Pigeon, de l'ACAI : « L'agent
immobilier qui reçoit ce document
devrait dire à son acheteur qu'il
faut un financement non conditionnel, qu'il
faut prévoir des délais. »
Donc, l'agente de ce premier acheteur n'a
pas suivi cette procédure. Mais ce
n'est pas tout. L'agente du vendeur n'aurait
pas pris la peine d'informer l'acheteur
qu'elle mettait à la poubelle sa
promesse d'achat.
Un manque de communication étonnant,
surtout quand on sait que les deux agentes
sont à l'emploi du même bureau
de Royal Lepage. L'agente du vendeur n'aurait
même pas cru bon de tenir son client
au courant. Le vendeur : « Je
suis très fâché contre
mon agente. Elle nous a dit carrément
qu'elle n'avait pas de nouvelles du premier
acheteur, que rien n'avait été
fait du côté du financement. »
Le code de déontologie des agents
leur interdit pourtant de dissimuler des
faits pertinents à leur client. L'ACAIQ
ne peut se prononcer sur ce cas, mais condamne
en principe ce genre de conduite. François
Pigeon : « Moi,
j'appelle ça de l'incompétence.
On n'a pas bien travaillé »
Un deuxième
acheteur entre en jeu
Dès le lendemain, l'agente du vendeur
trouve un deuxième acheteur et le
pousse à faire au plus vite une offre
d'achat au même prix de 164 900 $.
L'offre est acceptée. Le deuxième
acheteur : « On
a senti la pression. Il fallait prendre
une décision le jour même si
on voulait la maison. Finalement, on a accepté
de présenter une offre le samedi
soir. »
L'agente
du vendeur commence dans le métier.
Elle n'a que trois mois d'expérience.
Comme elle est l'agente à la fois
du vendeur et de ce deuxième acheteur,
elle n'a pas à partager la commission
de 10 700 $. Aurait-elle cherché
à empocher plus d'argent? Son patron
juge la question mesquine. Richard Beaulieu,
directeur-propriétaire de Royal Lepage
dans la vallée de l'Outaouais : « Toucher
toute la commission, pour cette agente,
ce n'est pas illégal; c'est même
plaisant. »
Aux yeux de l'ACAIQ, cette situation est
très risquée. François
Pigeon : « Cet
agente doit faire preuve d'une extrême
prudence, car elle est en conflit d'intérêt.
Elle a le droit de l'être, mais lorsqu'elle
l'est, elle doit être extrêmement
prudente. »
Et c'est l'imbroglio
Dimanche, l'agente
du premier acheteur, ignorant toujours qu'un
deuxième acheteur avait fait une
offre, finit par rappeler l'agente du vendeur.
C'est à ce moment qu'elle apprend
que la propriété est déjà
vendue : « J'étais
abasourdie. Je me disais qu'elle n'avait
pas pu revendre la maison, puisque mon client
l'avait déjà achetée. »
Quant au premier acheteur, il est furieux.
Il trouve cela d'autant plus injuste que,
le lendemain, il obtient son fameux prêt
hypothécaire sans condition.
La Facture a tenté d'obtenir
la version de l'agente du vendeur : « Je
ne suis qu'un intermédiaire. Je prends
les documents, je les soumets aux parties.
On décide ensemble quoi faire. »
Sur les conseils de l'avocat de Royal Lepage,
elle a refusé de répondre
à des questions plus précises
au sujet de cette affaire.
Autre
mystère : l'agente du vendeur a fait
signer la deuxième offre d'achat,
et ce n'est que 48 heures plus tard qu'elle
a fait annuler la première promesse
d'achat. Selon François Pigeon, de
l'ACAIQ, il s'agit d'une faute professionnelle
sérieuse : « Et
le risque, c'est que les deux acheteurs
réclament des droits sur la propriété
et qu'ils décident de bloquer la
vente de la maison. » C'est
exactement ce qui est arrivé.
Emprisonné
dans sa propre maison
Le jeudi soir, le vendeur recevait la visite
de l'huissier : « Je
reçois un document disant que le
premier acheteur voulait avoir la maison,
qu'il fallait que je la lui vende dans les
48 heures. » Le premier
acheteur a déposé en cour
un avis de préinscription. Cela revient
à bloquer la vente de la maison.
Le deuxième acheteur fait aussi valoir
ses droits de propriété : « On
a un contrat de vente. C'est fait. C'est
légal. On a suivi toutes les règles,
alors on veut cette maison. »
Le
vendeur se sent pris au piège. Il
ne peut plus vendre sa maison: « Pour
l'instant, nous sommes prisonniers. Nous
sommes obligés de recourir aux avocats. »
Les mois passent. C'est interminable
pour le vendeur, qui doit financer la construction
de sa nouvelle maison, où une aile
sera réservée à sa
belle-mère malade.
Une simple vente de maison est devenue
un imbroglio judiciaire incroyable. Aujourd'hui,
tout le monde se retrouve en cour. Quatre
avocats négocient en coulisse. Un
règlement partiel intervient juste
avant d'aller devant le juge. Le vendeur
s'est résigné à verser
une compensation de 11 000 $ au
deuxième acheteur pour qu'il lâche
prise. Pour l'instant, Royal Lepage s'en
tire. La facture est salée pour le
vendeur. Mais il pourra finalement vendre
sa maison au premier acheteur. Il n'est
plus prisonnier de sa maison, mais il trouve
injuste de devoir payer pour ce qu'il considère
comme les erreurs de son agente : « J'aurais
mieux fait de vendre moi-même. Je
pense que j'aurais fait mieux qu'eux. Ils
ont commis des erreurs. Ils ne veulent rien
faire pour les corriger. »
En
conclusion
Le bureau local de Royal Lepage semble
faire bien peu de cas des problèmes
de son client et de la perte financière
subie par le vendeur. Ce dernier a décidé
de s'adresser directement au président
de l'agence immobilière, à
Toronto. Il n'a reçu aucune réponse
de l'entreprise, qui n'a même pas
envoyé d'accusé de réception.
Le vendeur et le deuxième acheteur
poursuivent maintenant Royal Lepage. Une
plainte a aussi été déposée
à l'Association des courtiers et
agents immobiliers du Québec.
Hyperliens
Le
Consommateur est protégé
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Association des courtiers et agents immobiliers
du Québec
L'achat
d'une maison étape par étape
Société
canadienne d'hypothèque et de logement
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