Les
couvreurs sans licence
Il
faut se méfier lorsqu'un entrepreneur frappe
à votre porte et vous offre de refaire votre
toit. Il pourrait bien vous faire plutôt
les poches. De nombreux propriétaires de
maison du Québec ont déjà été victimes de
ce type de fraude. Les consommateurs sont-ils
protégés contre ces escroqueries? La Régie
du bâtiment du Québec a le mandat de contrôler
les arnaqueurs de ce genre, mais est-elle
vraiment efficace?
Journaliste
: Yvan Lamontagne
Réalisateur : Claudine Blais
Une
dame est propriétaire d'un duplex à Montréal.
À l'automne 2002, le toit coule. Le travail
doit être fait rapidement. Un entrepreneur
lui offre alors de refaire le toit pour
3900 $, taxes incluses. Il demande
un acompte de 1000 $ pour acheter du
matériel. Il propose de revenir quelques
jours plus tard pour faire le travail. Le
supposé couvreur n'est jamais revenu.
Cette propriétaire fait partie d'un trop
grand nombre de personnes flouées par un
couvreur fraudeur qui ne détient pas de
licence de la Régie du bâtiment du Québec.
Elle lui a fait confiance sans vérifier
sa compétence et lui a donné 1000 $
en acompte.
« Une
vingtaine de fois, je suis restée à la maison
parce qu'il devait venir. [...] Je n'ai
jamais plus entendu parler de cet homme. »
- La propriétaire
Le fraudeur en question
a son annonce dans les Pages jaunes. Mais
à la Régie du bâtiment du Québec, il n'y
a aucun numéro de licence à son nom. Il
donne plusieurs adresses à ses clients,
mais elles sont toutes fausses.
« Ce
n'est pas quelque chose qu'on admet facilement,
se faire rouler. [...] J'ai eu confiance.
Il y avait le père, la mère, le fils, toute
une famille. Je pensais que c'était une
famille honnête. »
- La propriétaire
La Facture
a trouvé les parents du couvreur fraudeur.
Ils prétendent n'avoir rien à voir avec
les couvertures de toit et ajoutent qu'ils
ne veulent pas entendre parler de leur fils.
Le fraudeur est introuvable. Mais selon
les sources de La Facture, il
travaillerait toujours illégalement comme
couvreur.
La Facture
a voulu connaître l'ampleur de ce phénomène
d'illégalité chez les couvreurs. Sur l'île
de Montréal, La Facture a découvert
que 23 couvreurs répertoriés
dans les Superpages de Telus ne possèdent
pas la licence de la Régie du bâtiment du
Québec. Cela signifie qu'un couvreur sur
quatre travaille illégalement. Dans les
Pages jaunes de la région de Québec, on
répertorie 11 couvreurs, soit
presque 1 sur 5, qui fonctionnent sans licence
ou avec une licence expirée.
La
propriétaire du duplex a bien demandé au
couvreur s'il avait sa licence de la Régie.
Le fraudeur lui a répondu que oui et qu'il
allait lui montrer sa carte lorsqu'il reviendrait.
En fait, tout couvreur est obligé d'afficher
son numéro de licence. Que ce soit sur ses
contrats, sur ses véhicules ou dans les
annonces publicitaires qui paraissent dans
les annuaires téléphoniques.
Quelles sont les
responsabilités des annuaires téléphoniques
dans tout cela? Pierre Carrière, du Groupe
Pages jaunes, donne la réponse suivante :
« On a quelques centaines
de milliers d'annonceurs. Quand on rencontre
un client, on agit de bonne foi et on présume
que le client aussi agit de bonne foi. […]
Nos représentants rencontrent nos clients
et les informent de l'importance de bien
s'annoncer, mais aussi des sanctions qui
pourraient leur être imposées [par la Régie]
s'ils ne suivaient pas les règles du jeu. »
La Régie du bâtiment
du Québec est le seul organisme mandaté
pour intervenir dans la rénovation résidentielle.
Michel Lebuis, de la RBQ : « L'objectif
ultime, ce n'est pas de poursuivre les entrepreneurs,
c'est de les amener à régulariser leur situation.
Mais c'est sûr que si des gens commettent
des infractions, la Régie prend ses responsabilités
et les poursuit ».
L'an dernier, la
Régie du bâtiment a engagé plus de 130 poursuites
contre des couvreurs. L'un d'entre eux fait
de la publicité pour ses deux compagnies
dans les Pages jaunes. Deux compagnies sans
licence, aux pratiques parfois douteuses.
En janvier dernier, La Facture en
parlait dans un de ses reportages. Le couvreur
en question faisait alors face à deux poursuites
de la Régie du bâtiment du Québec :
l'une pour avoir agi sans licence, et l'autre
pour avoir utilisé le nom de quelqu'un d'autre
en vue d'obtenir un contrat.
Ces
poursuites n'ont jamais empêché le couvreur
en question d'obtenir de nouveaux contrats.
La Facture a filmé une de ses équipes
au travail en mai dernier, à Montréal. Il
n'y avait aucune identification sur le camion
de la compagnie, mais le propriétaire des
lieux nous a confirmé qu'il a bel et bien
fait affaire avec ce couvreur. Celui-ci
refuse de nous accorder une entrevue, mais
affirme ne plus faire de couverture.
Comment se
fait-il qu'un si grand nombre de couvreurs
travaillent dans l'illégalité, sans être
dérangés par la Régie du bâtiment du Québec?
Un autre entrepreneur-couvreur
répond aux questions de La Facture.
Il tient à rester anonyme. Il explique pourquoi
il travaille illégalement depuis
trois ans : « Si notre
bilan ne présente pas un fond de roulement
de 10 000 $, il n'est pas possible
pour nous d'avoir une licence. Ce n'est
pas parce que j'ai perdu de l'argent dans
les années passées que ça fait de moi un
mauvais entrepreneur. Alors à mes yeux,
j'ai toujours une licence ».
Selon ce couvreur,
les risques de se faire prendre par la Régie
sont minimes. Même sans permis, il s'annonce
dans les Pages jaunes. Il y affiche le numéro
de sa licence expirée. Il prétend gagner
entre 300 000 $ et 500 000 $
par année.
La Régie du bâtiment
a 150 inspecteurs et 40 enquêteurs
spéciaux dans toute la province. Mais ces
derniers ciblent-ils les bons chantiers?
La Régie établit ses priorités d'intervention
en tenant compte des déclarations de travaux
des municipalités. Avec les permis municipaux,
la Régie obtient de l'information sur les
contrats et les entrepreneurs. Mais il y
a un problème. Dans bien des villes, les
propriétaires n'ont pas besoin de permis
pour faire refaire leur toit.
De toute évidence,
la Régie passe à côté d'un grand nombre
de couvreurs fraudeurs en se basant sur
les demandes de permis municipaux. Lorsqu'elle
attrape un couvreur au travail sans licence,
il est passible d'une amende allant de 700 $
à 2800 $.
« Vous
avez beau donner l'amende à qui vous voudrez.
Si le gars n'est pas identifiable ni facile
à retracer, il va continuer à travailler
et vous ne pourrez rien faire contre lui »,
ajoute l'entrepreneur-couvreur, qui a tenu
à rester anonyme.
C'est exactement
ce que vit la propriétaire du duplex, qui
veut poursuivre le couvreur. Celui-ci est
introuvable. « La première
lettre, je l'ai écrite le 14 décembre
2002; la deuxième, le 19 décembre;
la troisième, c'était le 21 février.
Et [ainsi de suite], je les ai toutes. »
La dame a tout de
même fait refaire le toit par un professionnel
ayant une licence, qui lui garantit son
travail. Il lui a fait signer un contrat,
portant la mention « Payable
à la fin des travaux ».
Si la Régie du bâtiment
du Québec était plus efficace dans ses interventions,
peut-être que cette propriétaire n'aurait
pas perdu son acompte de 1000 $. L'entrepreneur-couvreur
consulté a même quelques suggestions pour
la RBQ. « Pour les entrepreneurs
sans permis [...], les mauvais entrepreneurs,
je pense [qu'on pourrait saisir] leurs biens,
leur équipement. Faire en sorte d'empêcher
les véhicules de circuler. Il y a plein
de moyens [de les arrêter]. »
Peut-on parler d'actions
« frileuses » de la
part de la Régie du bâtiment du Québec?
« Non, ce ne sont pas des actions
frileuses, ce sont tout simplement des priorités
d'action qu'on se donne en fonction de nos
ressources, des moyens du bord »,
répond Michel Lebuis.
« Je
me suis fait avoir, encore à mon âge, et
je ne l'admets pas. Je me suis fait avoir
sur toute la ligne »,
conclut la propriétaire.
En
conclusion, si quelqu'un sonne à votre porte
et vous offre de refaire votre toit, demandez-lui
s'il a son permis de vendeur itinérant de
l'Office de la protection du consommateur.
La loi l'exige. Dans tous les cas, ne faites
affaire qu'avec les couvreurs qui ont un
numéro de licence émis par la Régie du bâtiment
du Québec, et prenez la peine de vérifier
la validité de ce numéro auprès de
la Régie. De plus, exigez un contrat détaillé,
et si on vous demande un acompte, versez
le plus bas montant possible. Enfin, ne
faites surtout jamais de paiement final
avant que les travaux ne soient terminés.
Hyperliens
Office
de la protection du consommateur
Régie
du bâtiment
« Pensez-y :
le travail au noir, c'est toujours trop
cher! »
Un document
de la Régie du bâtiment du
Québec
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