Émission 221

Le mardi 24 septembre 2002





Un avocat réputé
fraude ses clients

(PREMIÈRE PARTIE)




Un ex-avocat de Saint-Hyacinthe a été condamné le printemps dernier à trois ans de prison. Cet homme a plaidé coupable à divers chefs d'accusation, dont le détournement de centaines de milliers de dollars qui étaient déposés par ses clients dans son compte
en fidéicommis.

On s'en doute, il a été radié du Barreau de façon permanente.

Mais aurait-on pu intercepter plus rapidement
cet avocat malhonnête ?

Le nombre des victimes est effarant. Deux ans après le méfait, elles attendent toujours d'être indemnisées par le Barreau.
Voici d'abord l'histoire de l'une de ses victimes.


Les faits :
D
urant l'été 1998, un cultivateur prospère a des projets d'expansion pour son entreprise de Verchères. Il fait une offre d'achat pour une terre voisine, offre qui est acceptée. Mais peu de temps après, une mauvaise surprise l'attend : le vendeur renie sa signature et vend la terre à un autre producteur.

Monsieur se tourne alors vers un avocat bien connu de Saint-Hyacinthe. Ils décident d'intenter une poursuite contre le vendeur. L'avocat lui indique qu'il doit, au préalable, effectuer un dépôt équivalent à la vente du terrain, soit 180 mille dollars. L'avocat rassure son client : ce montant sera déposé dans un compte en fidéicommis, au nom de l'avocat, et cet argent servira uniquement à convaincre le juge du sérieux de l'offre d'achat.

Mais la vérité, c'est que l'avocat a besoin de cet argent.

* Son compte en fidéicommis est presque à sec alors qu'il devrait contenir des dizaines de milliers de dollars appartenant
à d'autres clients.

* D'ailleurs, dans les jours suivant ce dépôt, l'homme de loi
retire d'importantes sommes de ce compte.


Une cause qui n'existe pas

L'avocat informe son client que la cause est inscrite à la cour, mais en attente. Pendant deux ans, l'avocat donne l'impression d'être actif dans la cause de son client. Or, il n'en est rien. Il lui demande néanmoins 9000 dollars à titre de frais d'avocat. Pour gagner du temps et profiter de cet argent, l'avocat multiplie les mensonges.

À l'été 2000, la cause doit finalement être entendue.

Le client se rend au palais de justice de Saint-Hyacinthe. Bonne nouvelle : son avocat l'informe que la cause est gagnée, et qu'il ne reste plus qu'à attendre le jugement.

Mais curieusement, le jugement tarde à venir. Puis, à la fin du mois d'octobre, le cultivateur reçoit une copie du jugement. Or, une erreur attire son attention : il manque un numéro de lot sur le jugement. Il décide donc de se rendre au palais de justice de Saint-Hyacinthe, où on lui annonce qu'il n'a pas de jugement !

Son avocat l'informe que son dossier est plutôt enregistré au palais de justice de Sorel. Le client s'y rend donc, pour finalement y apprendre que le jugement est complètement faux ! Il n'y a d'ailleurs jamais eu de cause d'enregistrée. Mais il y a pire : l'argent du cultivateur n'est plus dans le compte en fidéicommis de son avocat.

Monsieur décide alors de porter plainte contre son avocat, au Barreau du Québec à Montréal, et réclame ses 189 000 $ « perdus ».


« C'est une faute extrêmement grave pour un avocat. Dès qu'un avocat se sert de l'argent détenu en fidéicommis à d'autres fins, il contrevient à son code de déontologie et à l'éthique de la profession »
, estime Me Claude Leduc, bâtonnier du Barreau du Québec.


Un avocat au-dessus de tout soupçon

Pourtant, cet avocat connaît très bien ses règles déontologiques : bâtonnier du district de Richelieu en 1988, il est président de l'Association des avocats de province en 1994. Professeur en droit à l'UQAM, il siège à différents comités au Barreau du Québec.

Son client a donc pleinement confiance, surtout qu'il croit son argent bien à l'abri, dans un compte en fidéicommis. Or, il a tort de penser cela.


« Il est possible de sortir ces sommes-là,
il n'y a pas de gel comme tel, au sens où les gens l'entendent généralement […] Effectivement, il n'y a pas plus de protection que cela. Cependant, les ordres professionnels ont des secteurs qui veillent régulièrement à l'inspection des comptes. »

- Edith Fortin, auteure

Compte fidéicommis = compte sécuritaire ?

Edith Fortin, auteure d'un document de référence sur le droit bancaire, nous explique que, contrairement à ce que la plupart des gens peuvent penser, le compte en fidéicommis n'est pas nécessairement sécuritaire. L'avocat peut en fait s'en servir à d'autres fins que celles qui sont prévues.

Le service d'inspection du Barreau

Les ordres professionnels on des services d'inspection des comptes. C'est le cas de l'ordre du Barreau justement, qui possède un service d'inspection professionnelle. Or, chaque bureau d'avocat n'est inspecté qu'une fois tous les trois ans.


Au printemps 1998, l'avocat de notre histoire a été inspecté par le service d'inspection professionnelle du Barreau. À l'époque, l'avocat est déjà pris dans une étrange spirale dont il fait l'étonnante révélation lors de sa comparution devant le tribunal du Barreau, un an après sa démission :

« Pendant plusieurs années, j'ai accepté des mandats que je n'aurais jamais du prendre. Dans la plupart des cas, les gens n'avaient pas de cause ou leurs droits étaient des plus incertains. Après quelques mois, je faisais croire que le client avait gagné sa cause et je lui donnais l'argent qu'il réclamait.

Au début, l'argent provenait de mes économies. Par la suite, j'ai commencé à prendre l'argent dans mon compte “in trust” et, à la fin, j'empruntais pour rembourser tout le monde ainsi que mon compte“ in trust”. »

Aux yeux du Barreau, « quand quelqu'un décide de frauder, on le sait quand il est trop tard ». Mais était-il vraiment trop tard ?

La Facture a mis la main sur la comptabilité du fameux avocat

* Nous avons découvert qu'il a fait trois chèques sans fonds à partir de son compte en fidéicommis en mars 1998, soit deux mois avant le passage de l'inspecteur.

* Or, l'inspecteur a vu ces anomalies, mais on ignore comment il a pu être rassuré par l'avocat.

* Chose certaine, l'homme de loi a pu continuer à mentir à ses clients jusqu'à sa démission, en novembre 2000.



Le Fonds d'indemnisation


Non seulement le Barreau ne reconnaît aucune faille dans son service d'inspection, mais en plus, la seule protection qu'il offre contre les avocats fraudeurs, c'est un fonds d'indemnisation qui a, lui aussi, ses limites : un montant maximal de 250 mille dollars par avocat, et de 50 mille par réclamant. Or, la fraude de l'avocat de notre histoire s'élève à plus de 700 mille dollars !

Malgré cela, le montant maximal demeure fixe à 250 mille dollars. Pire encore, elles sont 30 victimes à se partager cette somme. Selon ce calcul, le client de notre histoire recevra moins que 50 000 dollars !

« Il faut comprendre que c'est un fonds d'indemnisation, ce n'est pas un cautionnement de fidélité. »
- Me Claude Leduc

En conclusion :

Les ex-clients de l'avocat devraient apprendre, vers la fin octobre 2002, combien ils recevront du fonds d'indemnisation.

Entre-temps, d'autres clients de cet avocat ont décidé de poursuivre le Barreau et son fonds d'assurance responsabilité professionnelle. Pourquoi ? Parce qu'ils sont convaincus que le Barreau aurait pu intervenir plus vite et limiter les dégâts.

Dans le reportage qui suit : l'histoire d'une famille elle aussi victime de cet avocat, et qui affronte le Barreau.


Hyperliens pertinents

Service de l'inspection professionnelle du Barreau

Le Fonds d'indemnisation du Barreau


Barreau du Québec




 


 

 

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