Un avocat réputé
fraude ses clients
(PREMIÈRE PARTIE)
Un
ex-avocat de Saint-Hyacinthe a été condamné
le printemps dernier à trois ans de prison. Cet homme a
plaidé coupable à divers chefs d'accusation, dont
le détournement de centaines de milliers de dollars qui
étaient déposés par ses clients dans son
compte
en fidéicommis.
On s'en doute, il a été radié du Barreau
de façon permanente.
Mais aurait-on pu intercepter plus rapidement
cet avocat malhonnête ?
Le nombre des victimes est effarant. Deux ans après le
méfait, elles attendent toujours d'être indemnisées
par le Barreau.
Voici d'abord l'histoire de l'une de ses victimes.
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Les
faits :
Durant
l'été 1998, un cultivateur prospère a des projets
d'expansion pour son entreprise de Verchères. Il fait une offre
d'achat pour une terre voisine, offre qui est acceptée. Mais
peu de temps après, une mauvaise surprise l'attend : le
vendeur renie sa signature et vend la terre à un autre producteur.
Monsieur se tourne
alors vers un avocat bien connu de Saint-Hyacinthe. Ils décident
d'intenter une poursuite contre le vendeur. L'avocat lui indique qu'il
doit, au préalable, effectuer un dépôt équivalent
à la vente du terrain, soit 180 mille dollars. L'avocat rassure
son client : ce montant sera déposé dans un compte
en fidéicommis, au nom de l'avocat, et cet argent servira uniquement
à convaincre le juge du sérieux de l'offre d'achat.
Mais
la vérité, c'est que l'avocat a besoin de cet argent.
* Son compte en fidéicommis
est presque à sec alors qu'il devrait contenir des dizaines
de milliers de dollars appartenant
à d'autres clients.
* D'ailleurs, dans les jours suivant ce dépôt, l'homme
de loi
retire d'importantes sommes de ce compte.
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Une cause qui n'existe pas
L'avocat
informe son client que la cause est inscrite à la cour, mais
en attente. Pendant deux ans, l'avocat donne l'impression d'être
actif dans la cause de son client. Or, il n'en est rien. Il lui demande
néanmoins 9000 dollars à titre de frais d'avocat. Pour
gagner du temps et profiter de cet argent, l'avocat multiplie les mensonges.
À
l'été 2000, la cause doit finalement être entendue.
Le client se rend au palais de justice de Saint-Hyacinthe. Bonne nouvelle :
son avocat l'informe que la cause est gagnée, et qu'il ne reste
plus qu'à attendre le jugement.
Mais curieusement, le jugement tarde à venir. Puis, à
la fin du mois d'octobre, le cultivateur reçoit une copie du
jugement. Or, une erreur attire son attention : il manque un numéro
de lot sur le jugement. Il décide donc de se rendre au palais
de justice de Saint-Hyacinthe, où on lui annonce qu'il n'a pas
de jugement !
Son
avocat l'informe que son dossier est plutôt enregistré
au palais de justice de Sorel. Le client s'y rend donc, pour finalement
y apprendre que le jugement est complètement faux ! Il n'y
a d'ailleurs jamais eu de cause d'enregistrée. Mais il y a pire :
l'argent du cultivateur n'est plus dans le compte en fidéicommis
de son avocat.
Monsieur décide alors de porter plainte contre son avocat, au
Barreau du Québec à Montréal, et réclame
ses 189 000 $ « perdus ».
« C'est une faute extrêmement grave pour un avocat.
Dès qu'un avocat se sert de l'argent détenu en fidéicommis
à d'autres fins, il contrevient à son code de déontologie
et à l'éthique de la profession », estime
Me Claude Leduc, bâtonnier du Barreau du Québec.
Un
avocat au-dessus de tout soupçon
Pourtant, cet avocat connaît très bien ses règles
déontologiques : bâtonnier du district de Richelieu
en 1988, il est président de l'Association des avocats
de province en 1994. Professeur en droit à l'UQAM, il siège
à différents comités au Barreau du Québec.
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Son client a donc pleinement
confiance, surtout qu'il croit son argent bien à l'abri, dans un
compte en fidéicommis. Or, il a tort de penser cela.
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« Il est possible de sortir ces sommes-là,
il n'y a pas de gel comme tel, au sens où les gens l'entendent
généralement [
] Effectivement, il n'y a pas
plus de protection que cela. Cependant, les ordres professionnels
ont des secteurs qui veillent régulièrement à
l'inspection des comptes. »
- Edith Fortin, auteure
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Compte
fidéicommis = compte sécuritaire ?
Edith
Fortin, auteure d'un document de référence sur le
droit bancaire, nous explique que, contrairement à ce que la
plupart des gens peuvent penser, le compte en fidéicommis n'est
pas nécessairement sécuritaire. L'avocat peut en fait
s'en servir à d'autres fins que celles qui sont prévues.
Le
service d'inspection du Barreau
Les ordres professionnels
on des services d'inspection des comptes. C'est le cas de l'ordre du
Barreau justement, qui possède un service d'inspection professionnelle.
Or, chaque bureau d'avocat n'est inspecté qu'une fois tous les
trois ans.
Au
printemps 1998, l'avocat de notre histoire a été
inspecté par le service d'inspection professionnelle du
Barreau. À l'époque, l'avocat est déjà
pris dans une étrange spirale dont il fait l'étonnante
révélation lors de sa comparution devant le tribunal
du Barreau, un an après sa démission :
« Pendant plusieurs années,
j'ai accepté des mandats que je n'aurais jamais du prendre.
Dans la plupart des cas, les gens n'avaient pas de cause ou leurs
droits étaient des plus incertains. Après quelques
mois, je faisais croire que le client avait gagné sa cause
et je lui donnais l'argent qu'il réclamait.
Au début, l'argent provenait de mes économies. Par
la suite, j'ai commencé à prendre l'argent dans
mon compte in trust et, à la fin, j'empruntais
pour rembourser tout le monde ainsi que mon compte in trust. »
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Aux yeux du Barreau,
« quand quelqu'un décide de frauder, on le sait
quand il est trop tard ». Mais était-il vraiment
trop tard ?
La
Facture a mis la main sur la comptabilité du fameux
avocat
* Nous avons découvert qu'il a fait trois chèques
sans fonds à partir de son compte en fidéicommis
en mars 1998, soit deux mois avant le passage de l'inspecteur.
* Or, l'inspecteur a vu ces anomalies, mais on ignore comment
il a pu être rassuré par l'avocat.
* Chose certaine, l'homme de loi a pu continuer à mentir
à ses clients jusqu'à sa démission, en novembre
2000.
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Le Fonds d'indemnisation
Non
seulement le Barreau ne reconnaît aucune faille dans son service
d'inspection, mais en plus, la seule protection qu'il offre contre les
avocats fraudeurs, c'est un fonds d'indemnisation qui a, lui aussi,
ses limites : un montant maximal de 250 mille dollars par avocat,
et de 50 mille par réclamant. Or, la fraude de l'avocat de notre
histoire s'élève à plus de 700 mille dollars !
Malgré cela, le montant maximal demeure fixe à 250 mille
dollars. Pire encore, elles sont 30 victimes à se partager cette
somme. Selon ce calcul, le client de notre histoire recevra moins que
50 000 dollars !
« Il
faut comprendre que c'est un fonds d'indemnisation, ce n'est pas un
cautionnement de fidélité. »
- Me Claude Leduc
En conclusion :
Les
ex-clients de l'avocat devraient apprendre, vers la fin octobre 2002,
combien ils recevront du fonds d'indemnisation.
Entre-temps, d'autres clients de cet avocat ont décidé
de poursuivre le Barreau et son fonds d'assurance responsabilité
professionnelle. Pourquoi ? Parce qu'ils sont convaincus que le
Barreau aurait pu intervenir plus vite et limiter les dégâts.
Dans
le reportage qui suit : l'histoire d'une famille elle aussi
victime de cet avocat, et qui affronte le Barreau.
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