Un avocat réputé
fraude ses clients
(DEUXIÈME PARTIE)
Le
Barreau a-t-il une responsabilité dans le dérapage
de cet avocat de Saint-Hyacinthe ? Est-ce que tout a été
fait pour limiter
le nombre des victimes ?
Voici l'histoire d'une famille, une autre des victimes de l'avocat,
et qui poursuit le Barreau. Selon elle, l'ordre professionnel
a fait preuve de négligence.
La Facture a enquêté. De nombreux faits démontrent
que cet homme de loi avait un comportement malhonnête depuis
longtemps. Comment ces faits ont-ils pu passer inaperçus ?
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Les faits :
En
1993, quatre membres d'une famille vendent la terre familiale. Ils ont
alors chacun d'importantes sommes à investir. Au printemps 2000,
ils voient une occasion d'affaires dans l'achat d'une maison de Laval,
sur laquelle deux membres de la famille détiennent une hypothèque
de second rang.
Afin de payer la première hypothèque, les quatre membres
de la famille remettent 157 000 dollars à l'avocat de notre
histoire, qui joue le rôle de l'intermédiaire entre eux
et la banque. Par ce paiement, ils devenaient donc propriétaires
de la maison.
À
la mi-juin 2000, l'avocat reçoit l'argent de la famille, dépose
les chèques dans son compte en fidéicommis, mais ne paie
pas l'hypothèque. En tout, la famille lui remet près d'un
quart de million de dollars.
Cinq mois plus tard, ils découvrent que leur argent a disparu
et qu'ils ont perdu la maison de Laval. La famille, qui considère
la situation inacceptable, réclame que le Barreau les indemnise
à 100 %.
Un
avocat au passé trouble
La famille reproche en fait au Barreau « de ne pas avoir
protégé le public » en faisant fi de plusieurs
plaintes logées à l'endroit du fameux avocat. L'une remonterait
même à 1998.
Or, l'enquête de La Facture révèle que cette
famille a bel et bien raison.
En
1995 et en 1997
Deux clients de l'avocat se
plaignent au syndic du Barreau. Mais leurs plaintes sont rejetées.
En décembre 1998
Un client présente des preuves convaincantes : son
avocat lui a menti et a été négligent à
son endroit. Pour la première fois, le syndic retient
une plainte contre cet avocat. L'enquête dure 15 mois.
Puis, en mars 2000, des accusations de mensonge et de
négligence sont finalement portées contre l'avocat :
on l'accuse d'avoir fait venir son client trois fois au palais
de justice pour lui faire croire qu'il s'occupait de sa cause,
alors qu'il n'en était rien.
*
Le Barreau ne voit pas ce premier signal de fumée
qui provient du bureau de l'avocat. La preuve : le
compteur ne démarre que deux mois
plus tard, soit en mai 2000.
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En
mai 2000
Un autre client dépose à
son tour une plainte contre l'avocat. Il le soupçonne
de s'être approprié ses 20 mille dollars.
*
Le Barreau affirme que le syndic agit très rapidement
dans une telle situation : « Quand un
membre du public se plaint que son avocat ne lui remet
pas son argent, le bureau du syndic agit très très
rapidement parce que, vous savez, la possibilité
d'enquêter et de vérifier est presque immédiate.
On a accès au compte en fidéicommis, on
a accès à l'institution bancaire »,
affirme Me Claude
Leduc, bâtonnier du Barreau du Québec.
*Malgré cet accès direct au compte en fidéicommis,
le syndic attend cinq mois que l'avocat envoie sa comptabilité.
* Bref, pendant que le syndic fait preuve de patience,
l'avocat tente de gagner du temps et multiplie le nombre
de ses victimes.
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En
mai, en juin et à chaque mois jusqu'en novembre
Des dizaines de personnes, dont les membres de la famille
de notre histoire, confient leur argent à cet homme de
loi sans se douter de rien.
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Le syndic est-il ici responsable à l'égard des victimes ?
« Je
ne pense pas, estime Me Leduc. Il faut regarder ce dossier dans
une juste perspective. Vient un temps où l'on peut penser que
c'est peut-être généralisé. Or, il n'est
pas exact de fonctionner avec une plainte et de faire une razzia. »
Cela aura donc pris quatre plaintes de nature déontologique pour
que le syndic convoque l'homme de loi à la maison du Barreau.
Et encore là, l'enquête de La Facture a démontré
que l'avocat se moque bien du Barreau et qu'il ment sur le nombre de
ses victimes.
*
Le
syndic menace alors l'avocat d'une radiation temporaire et lui
suggère de profiter du délai légal de 10
jours pour mettre de l'ordre dans ses affaires.
Pendant ce temps, l'avocat a fait trois autres victimes.
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Et
le Barreau ?
Le
Barreau a-t-il oui ou non une responsabilité dans ce dérapage ?
Négatif, nous dit le bâtonnier : « Je
ne pense pas que le Barreau ait quelque responsabilité dans ce
dossier-là. Malheureusement, il n'existe pas de façon
miraculeuse pour éviter ce genre de situation. C'est arrivé
et ça arrivera encore ».
En
bref
Le Barreau n'a pas vu les multiples indices que l'avocat
a laissés derrière lui.
Le syndic n'a fait aucun recoupement entre les mensonges,
les chèques sans fonds, la négligence, le refus
de collaborer et l'usage illégal de son compte en fidéicommis.
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Faux jugement, fausse signature
Notre enquête
nous démontre que l'avocat a aussi bénéficié
du laxisme de l'appareil judiciaire.
Les
faits :
* En mai 1996, l'avocat rédige son premier faux jugement
et imite pour la première fois la signature d'un juge.
* En octobre 1998, un avocat apprend l'existence du faux jugement.
Une rencontre est alors organisée avec cet avocat, l'avocat
fautif et le juge dont la signature est imitée. L'avocat
fautif dit alors ignorer la provenance de ce faux jugement.
* L'affaire en reste là. Personne ne saisit le Barreau
ni se plaint à la Sûreté du Québec.
La Facture a contacté le juge, qui affirme avoir
dénoncé le crime à la juge en chef de la
Cour supérieure. Or, celle-ci dit n'en garder aucun souvenir.
Quant à l'avocat qui a découvert l'affaire, il
estime avoir fait son devoir en organisant la fameuse réunion.
* L'affaire du faux jugement est tombée dans l'oubli
pendant deux ans. Lorsqu'elle a refait surface, il était
trop tard pour les victimes.
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En conclusion
Respecté
par ses pairs, l'avocat semblait être au-dessus de tout soupçon.
Les nombreuses victimes de ses méfaits ne comprennent toujours
pas comment, malgré ses écarts de conduite, personne du
milieu de la justice ne soit intervenu plus tôt.
Aujourd'hui, ces victimes crient doublement à l'injustice :
elles ont été trompées par leur avocat et se sentent
négligées par le Barreau.
Un
dossier que nous allons suivre !