Les crimes du futur : le devenir du monde selon Cronenberg
L’immense cinéaste jette un regard passionnant sur une société en crise où l’on ne ressent plus rien.
En 2022, lorsque David Cronenberg présente au monde Crimes du futur, le grand cinéaste n’avait plus donné de ses nouvelles depuis son fascinant Maps to the Stars en 2014.
Huit longues années d’attente qui auront pourtant valu le coup tant Crimes du futur lui fait renouer avec sa veine la plus prolifique et la plus étrange, celle du body horror, celle de la science-fiction organique, celle de ses plus grands films (il en avait d’ailleurs écrit le scénario dans les années 90, juste après ExistenZ).
Compléments:
Sans se transformer en compilation de ses obsessions, heureusement, Les crimes du futur lui fait donc retrouver ses intenses questionnements sur le corps et l’avenir du monde en suivant deux artistes conceptuels adeptes de la création de nouveaux organes qu’il et elle doivent néanmoins faire tatouer et enregistrer auprès d’un bureau national, tandis qu’en parallèle, la police enquête sur un nouveau groupe inquiétant de mangeurs de plastique
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Tourné en Grèce, là où la crise économique a fourni un décor décrépi dont Cronenberg accentue encore la tristesse par un éclairage vert-de-gris créant une atmosphère rétrofuturiste glaçante, Les crimes du futur multiplie les enjeux. Fascination du public pour les œuvres de plus en plus extrêmes, intensité des artistes qui cherchent toujours comment provoquer sens et émotion (et, pourquoi pas, à travers leurs propres corps, sur lesquels les cicatrices peuvent générer plaisir et douleur), peur de l’obsolescence : l’art et son impossible définition deviennent alors pour Cronenberg le point de départ d’une réflexion passionnante sur notre avenir.
Car dans un monde qui encadre, police et exclut de plus en plus, dans un monde où le simple fait de ressentir quelque chose devient une rareté… comment rester humain?
Accompagné par son fidèle Viggo Mortensen (imaginé cette fois en alter ego mal en point), Léa Seydoux et Kristen Stewart (que l’on aura rarement vue aussi drôle en pimbêche fébrile), comptant sur un univers visuel d’une grande beauté (en particulier le sarcophage utilisé par les artistes, qui n’est pas sans rappeler l’esthétique mécanique du vaisseau d’Alien) et une imagerie religieuse étonnante (notamment dans un dernier plan convoquant la Jeanne d’Arc de Dreyer),
Cronenberg, à 81 ans, prouve non seulement qu’il n’a rien perdu de sa fougue de jeune homme, mais encore qu’il porte une vision de cinéaste nous incitant à mieux penser notre futur. C’est bien ce qui en fait un de nos cinéastes les plus importants.
La bande-annonce (source : YouTube)