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AnalyseDes étés enfumés à répétition, la nouvelle réalité?

À la faveur des changements climatiques, les saisons de feux s’étirent, les brasiers ravagent des territoires de plus en plus vastes. La présence de la fumée dans notre quotidien est appelée à augmenter. Un problème de santé publique qui pose de grands défis.

Un pont de New York se perd dans un ciel jaune.

L'intense fumée en provenance des feux de forêt du Québec en juin 2023 donnait des allures de film de science fiction à la ville de New York.

Photo : Reuters / SHANNON STAPLETON

« Est-ce que la fumée des feux dans l’Ouest sera transposée jusqu’ici? En haute altitude seulement. »

À la radio, cette semaine, dans la région de Montréal, l’experte de la météo prend le temps de faire un bulletin sur la qualité de l’air liée aux feux de forêt dans l’ouest du pays. Elle explique les risques de voir la fumée de ces feux atteindre le Québec et l’est du pays.

Avec les bouleversements du climat, se pourrait-il que les informations concernant la mauvaise qualité de l’air reliée aux incendies de forêt s’imposent dans nos bulletins météo quotidiens?

En tout cas, c’est ce à quoi se prépare la Direction générale de la santé publique du Québec. En cas de pollution de l’air par la fumée de feux, elle publiera désormais des recommandations pour aider les écoles, les centres pour personnes âgées, les services de garde ou les camps de jour à décider des activités qu’ils peuvent tenir si la qualité de l’air se détériore.

L’information sera rendue publique sous forme de codes de couleurs, en fonction de la concentration des particules fines dans l’air : bleu (bonne qualité), jaune (mauvaise pour les personnes à risque), orange (mauvaise), rouge (très mauvaise) et mauve (dangereuse).

Feux de forêt au Canada

Consulter le dossier complet

Un incendie ravage une vallée proche d'un lac.

Cette annonce des autorités québécoises de santé publique est un bon exemple d’une adaptation nécessaire aux changements climatiques.

En 2023, l’été de tous les records, le territoire brûlé était si vaste que le feu qui a ravagé le pays d'un océan à l'autre a envoyé d'épaisses couches de fumée dans les grands centres urbains du pays, de Vancouver à Montréal, jusqu’aux États-Unis et même jusqu'au nord de l'Europe.

Un brouillard plane sur les édifices.

Le smog causé par les feux de forêt s'est abattu sur Montréal en juin 2023, dissimulant les tours du centre-ville.

Photo : La Presse canadienne / Graham Hughes

Le phénomène de la détérioration de la qualité de l’air relié aux feux de forêt ne devrait pas s’estomper.

Selon un rapport du Programme des Nations unies sur l’environnement publié en 2022, la fréquence des feux incontrôlés devrait augmenter de près de 15 % d’ici 2030. Une tendance qui inquiète les experts en santé publique. Car la fumée des feux de forêt peut être un véritable cocktail chimique dont les effets sur la santé humaine sont encore assez mal connus.

Plus qu’une simple pollution de l’air

Le problème des feux de forêt, c’est qu’il n’y a pas que du bois qui brûle. Outre la biomasse (les arbres, les herbes ou les animaux), d’autres combustibles peuvent rendre la fumée encore plus toxique (des bâtiments où sont entreposées différentes matières, des usines, du combustible, des véhicules, des matériaux de construction, etc.).

La fumée des feux est au minimum composée de plusieurs gaz et de polluants, comme du dioxyde de soufre, du dioxyde d’azote, du monoxyde de carbone, du méthane, des composés organiques volatils (COV) ou des hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP).

Elle contient aussi des particules fines, les fameuses PM2.5, dont le diamètre est égal ou inférieur à 2,5 micromètres, environ trente fois plus petites que le diamètre d’un cheveu.

Pourquoi insister sur leur dimension? C'est qu'en raison de leur allure microscopique, ces particules peuvent se déposer profondément dans les poumons ou sur les muqueuses. Et bien que le cerveau soit en général mieux protégé que d’autres organes grâce à la fameuse barrière hématoencéphalique, qui agit un peu comme le garde du corps du cerveau, les particules fines peuvent y trouver leur chemin.

Des pompiers dans une forêt.

Des pompiers à l'œuvre dans le nord du Québec à l'été 2023.

Photo : La Presse canadienne / Audrey Marcoux

Mais il y a plus. Pour les scientifiques, la fumée des feux de forêt est plus difficile à comprendre que la pollution atmosphérique classique, parce que son contenu change continuellement, selon le contexte.

Sa composition peut varier selon de nombreux facteurs, comme la nature du combustible, la température de combustion ou les conditions météorologiques autour de l’incendie, explique en entrevue à CBC Sarah Henderson, la directrice du département de santé environnementale au Centre de contrôle et de prévention des maladies de la Colombie-Britannique.

Cette particularité rend les recherches sur les effets persistants de la fumée sur la santé humaine plus complexes. Nous ne disposons pas encore de beaucoup d'informations sur l'impact de ces tendances à long terme sur la santé, avoue Sarah Henderson.

De fait, une grande partie des données existantes proviennent toujours d’études sur le gaz d’échappement des voitures ou sur la fumée des cuisinières à bois.

Une science qui avance à petits pas

Les chercheurs en savent davantage sur les conséquences de la pollution atmosphérique habituelle des villes, et peuvent parfois se permettre d’extrapoler certaines de ces connaissances aux effets de la fumée de feux de forêt, mais il y a des limites.

On sait par exemple que, comme la pollution dans les villes, la fumée des incendies de forêt peut exacerber les maladies comme l’asthme ou les insuffisances respiratoires chroniques, nuire à la santé cardiaque, augmenter le risque d’accident vasculaire cérébral ou encore provoquer des inflammations dans des organes comme les poumons, les reins ou le foie.

Mais la dynamique entre les différents éléments polluants qui se retrouvent dans la fumée des feux est complexe et peut s’opérer différemment que la simple pollution atmosphérique.

Un feu de forêt avec d'immenses nuages de fumée.

Feu de forêt en 2023 dans les Territoires du Nord-Ouest.

Photo : Reuters / Alberta Wildfire

On connaît depuis un certain temps l’impact général de la pollution atmosphérique sur les personnes, mais on commence à peine à comprendre la dangerosité de la fumée des feux de forêt sur la santé humaine, explique Anthony White (Nouvelle fenêtre), neuroscientifique à l’Université du Queensland, en Australie, interviewé par le magazine National Geographic.

Ce problème est amplifié par le fait qu’il peut être difficile de distinguer les effets de la pollution atmosphérique de ceux de la fumée des feux de forêt sur la santé, en particulier lorsque cette pollution se produit de manière sporadique et imprévisible.

Le degré d’exposition des citoyens à ces feux de forêt est en effet un autre obstacle à surmonter pour les chercheurs. S’agit-il d’étudier les effets d’une fumée très dense qui enveloppe un village une fois tous les 20 ans, ou d’une fumée moins dense, mais que les habitants respirent tous les étés ou presque?

Cancers et effets sur le cerveau

Dans leur quête pour mieux comprendre les effets de la fumée des feux sur la santé humaine, les scientifiques tentent de savoir si l’exposition à ce cocktail toxique peut causer le cancer et avoir des conséquences sur le cerveau.

L’étude la plus exhaustive à cet effet a été menée par des chercheurs canadiens, dont les résultats ont été publiés dans la revue médicale The Lancet Planetary Health (Nouvelle fenêtre) en 2022.

Menée auprès de 2 millions de Canadiens sur une période de 20 ans, l’étude montre que le fait d’habiter près d’une forêt qui a brûlé peut augmenter de 5 % les probabilités de contracter un cancer du poumon et de 10 % une tumeur au cerveau, par rapport à une personne vivant loin de ce genre de brasier.

Il s'agit d'un risque assez faible. Par comparaison, la probabilité de souffrir d’un tel cancer est 2000 % plus élevée pour un fumeur, par rapport à une personne non fumeuse.

Mais pour les chercheurs, ce n’est pas suffisant pour tirer une conclusion claire. Ils précisent que le risque est toujours multifactoriel (génétique, habitudes de vie, homme ou femme, environnement, etc.), et que même le stress de vivre l'incendie pourrait peut-être jouer un rôle dans les résultats. Ils expliquent qu'il est donc difficile d’isoler un facteur en particulier (la fumée des feux de forêt).

Il faut plus de travaux pour élaborer des estimations à long terme de l'exposition aux incendies de forêt qui tiennent compte du mélange complexe de polluants environnementaux libérés lors de ces événements, concluent les chercheurs.

Un incendie ravage une vallée proche d'un lac.

Un feu de forêt en Colombie-Britannique s'approche d'un lac, à l'été 2023.

Photo : Getty Images / AFP / Darren Hull

Chose certaine, l’aggravation potentielle du phénomène des feux de forêt – et la dégradation de la qualité de l’air qui y est associée – pose un défi de taille auquel les responsables politiques devront s’attaquer de front. Dans une entrevue qu’elle nous accordait en marge de la COP28 en décembre dernier, la grande patronne du dossier du climat à l’Organisation mondiale de la santé, Maria Neira, nous confiait que la pollution de l’air est l’effet climatique qui menace le plus la santé des populations.

Il n’y a pas grand-chose de plus fondamental que l’air qu’on respire et l’air que respirent nos enfants ou nos vieux parents.

Si on veut minimiser les dégâts et mieux comprendre les conséquences de la fumée, les experts s’entendent pour dire qu’il faudra faire plusieurs choses en même temps.

Premièrement, il faudra améliorer la gestion des forêts afin de réduire au maximum le combustible qui nourrit les feux si longtemps. Deuxièmement, il faudra s’adapter à ce phénomène grandissant en utilisant les nouvelles connaissances et les nouvelles technologies qui nous permettent de mieux comprendre la dynamique des incendies. Et troisièmement, il faudra soutenir les recherches qui nous permettront d’avoir des réponses plus précises sur les effets de la fumée sur notre santé à court et à long terme.

Des actions qui nous permettront d’y voir plus clair.

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