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Un banc de carangues noires.

Des océans plus chauds forcent des espèces à migrer vers le nord

En plus de mettre en péril plusieurs espèces, le réchauffement des océans force des poissons à changer leurs habitudes et à migrer toujours plus vers le nord, à la recherche de meilleures conditions. De tels déplacements perturbent toute une chaîne alimentaire et risquent de forcer la mise à jour des cartes de l’industrie des pêches.

Sur les quais de Steveston, typique village de pêcheurs du Grand Vancouver, Judy Nguyen a de plus en plus de mal à exercer son métier. Jadis une industrie prospère sur place, la pêche a considérablement changé en une décennie.

Il y a 10 ans, c'était rempli de bateaux collés les uns aux autres sur le quai. Maintenant, il ne reste qu'une poignée de vendeurs. Il ne se passe plus grand-chose, observe-t-elle.

Au fil des années, les stocks se sont amoindris. Faute de poissons ou de crustacés en nombre suffisant dans l’océan, Judy Nguyen et sa famille n’ont eu d’autre choix que d’aller là où la ressource est plus abondante : à plus de 1000 km au nord, à Prince Rupert.

Les courtes sorties que permettait la pêche de proximité du passé ont fait place à des périples de plusieurs jours.

À l'époque, on ne congelait pas les crevettes, parce qu'on les pêchait tout près d’ici. On les vendait fraîches, tous les jours. Mais les quotas ont commencé à diminuer, puis le secteur a été fermé à la pêche, raconte Judy Nguyen.

Judy Nguyen derrière un stand dans un marché, dans le village de Steveston, en Colombie-Britannique, en 2024.

Judy Nguyen fait partie d’une famille de pêcheurs et exerce ce métier depuis plus de 30 ans.

Photo : Radio-Canada / Benoît Livernoche

Ce que vit cette pêcheuse est loin d’être anecdotique. De nombreux pêcheurs disent devoir aller plus loin pour exercer leur gagne-pain.

Comment l’expliquer? Les poissons ont-ils disparu? Se sont-ils déplacés?

La surpêche est une première réponse. Pendant des décennies, elle a lourdement affecté les stocks. Par la suite, des moratoires et des quotas ont permis d’y remédier en offrant une plus grande protection aux espèces.

Une autre explication est celle du réchauffement des océans. Cette nouvelle menace, qui s’est imposée rapidement, bouleverse à son tour la répartition des stocks de poissons et de crustacés.

Des poissons à la recherche de conditions plus appropriées

À ce sujet, une étude (Nouvelle fenêtre) (publiée en anglais) à laquelle ont contribué des chercheurs de l’Université de la Colombie-Britannique (UBC) a montré que le réchauffement climatique force des espèces marines à migrer toujours plus vers les pôles. Une tendance mondiale qui, selon eux, ne fera que s'accélérer dans les prochaines années.

Un poisson va toujours chercher à rester dans sa zone de tolérance thermique. Si l’eau se réchauffe, il va donc migrer vers le nord ou en profondeur pour essayer de rester dans un environnement qui est optimal pour lui, explique Colette Wabnitz, affilée à l’UBC, et scientifique principale à l’Université de Stanford, en Californie.

Portrait de la scientifique marine Colette Wabnitz, en avril 2024.

La scientifique marine Colette Wabnitz étudie l’incidence du réchauffement des océans sur la faune marine.

Photo : Radio-Canada / Benoît Livernoche

Ainsi, les chercheurs ont pu observer dans les eaux de la Colombie-Britannique des espèces marines qu’on n’avait pas l’habitude de voir là.

De façon régulière, des calmars ont été pêchés en abondance parce que, tout d’un coup, il faisait plus chaud et que c’était pour eux une température normale – ou mieux adaptée, indique Colette Wabnitz. Des poissons-lunes et des requins y ont aussi été aperçus, de façon plus sporadique.

Certains des pays au nord du globe ont pêché des espèces qui n'y avaient pas été pêchées auparavant.

Une citation de Colette Wabnitz, scientifique principale à l’Université de Stanford.

D’autres études arrivent aux mêmes résultats. L’Agence américaine de protection de l’environnement a analysé, par exemple, le cas du homard (Nouvelle fenêtre) (en anglais). Sur la côte Atlantique, il s'est déplacé vers le nord d'environ 220 km depuis les années 1980.

Plus encore, au sein même de l'Arctique, des poissons semblent se déplacer toujours plus vers le nord.

Des poissons nagent dans l'océan.

Une étude de Pêches et Océans Canada estime que la répartition du saumon du Pacifique devrait se déplacer vers le nord.

Photo : Radio-Canada

Ingrid Spies, biologiste au Centre de recherche des sciences de la pêche en Alaska de la National Oceanic and Atmospheric Administration (NOAA), a étudié les déplacements de la morue du Pacifique. Selon ses observations, des populations du sud-est de la mer de Béring ont migré à 1000 km au nord de leur habitat traditionnel, là encore à la recherche de meilleures conditions.

Le nord de la mer de Béring, qui était un milieu arctique, ressemble de plus en plus à un milieu subarctique.

Une citation de Ingrid Spies, biologiste au Centre de recherche des sciences de la pêche en Alaska de la NOAA

Une chaîne alimentaire perturbée

Certains poissons quittent donc un habitat pour en peupler un autre. Or de tels changements perturbent la chaîne alimentaire.

Un poisson qui migre en dehors de son habitat traditionnel, c’est en effet une proie de moins pour un prédateur, qui sera, lui, forcé de migrer aussi ou de changer son régime alimentaire.

À Nanaimo, sur l'île de Vancouver, Thomas Doniol-Valcroze, directeur du programme de recherche sur les cétacés de Pêches et Océans Canada, étudie de près le comportement des mammifères marins. Et un constat s’impose : leur bonne santé est intimement liée à la disponibilité de leur nourriture.

Le biologiste cite en exemple le cas de la baleine à bosse. Pourtant sur la voie d’un rétablissement, son parcours a été perturbé.

Une baleine à bosse dont la tête et les nageoires sont hors de l'eau.

Une baleine à bosse dans les eaux côtières de la Colombie-Britannique. (Photo d'archives)

Photo : La Presse canadienne / Jonathan Hayward

Les récentes vagues de chaleur marine en Colombie-Britannique ont affecté la productivité des planctons, dont ils se nourrissent. On a perdu des milliers de baleines. On pense que la population a diminué de 20 %. C’est un impact beaucoup plus important que ce à quoi on s’attendait, déplore Thomas Doniol-Valcroze.

Tout est lié, dans l’océan : toute perturbation dans les écosystèmes marins a un effet boule de neige sur la chaîne alimentaire.

Thomas Doniol-Valcroze sur un bateau, sur l'eau, en avril 2024.

Thomas Doniol-Valcroze observe des changements de migrations chez plusieurs mammifères marins.

Photo : Radio-Canada / Benoît Livernoche

Le cas de la baleine franche de l’Atlantique Nord en est une autre illustration, elle qui montre aussi que la disponibilité de nourriture dicte la migration des mammifères marins.

Récemment, les changements climatiques semblent avoir changé la distribution de leur nourriture préférée : une sorte de plancton.

La baleine franche de l’Atlantique Nord s’est déplacée en dehors de ses eaux habituelles, dans le golfe du Maine et dans la baie de Fundy, pour suivre sa nourriture. Elle est alors arrivée en grand nombre dans le golfe du Saint-Laurent.

Une équipe met une balise sur une carcasse de baleine.

De nombreuses carcasses de baleine franche ont été repérées dans le Saint-Laurent en 2017. (Photo d'archives)

Photo : Pêches et Océans Canada

En soi, ce n’est pas un problème, mais en venant dans des eaux qu'elles connaissaient mal, les baleines ont été exposées à de nouvelles menaces, comme [...] les collisions avec les navires, explique Thomas Doniol-Valcroze.

L’industrie des pêches bouleversée

L’équilibre fragile des océans est bouleversé par le déplacement des poissons et des mammifères marins. Ce phénomène aura sans doute des répercussions importantes sur l’industrie des pêches.

L’étude réalisée par plusieurs chercheurs de l’UBC montre que, d’ici 2030, 78 % des zones économiques exclusives du monde accueilleront au moins une nouvelle espèce transfrontalière.

En d'autres mots, la grande majorité des zones de pêche seront touchées par des migrations de poissons. Certaines zones perdront des espèces, tandis que d'autres en gagneront.

Dans ce contexte, le cas du Mexique, par exemple, soulève des inquiétudes chez les chercheurs.

C’est un pays qui risque de perdre énormément de stocks de poissons dans le futur, car il y a des déplacements aussi bien vers le nord que vers le sud, explique Colette Wabnitz.

En l'occurrence, actuellement, il n'y a pas d'accord pour savoir comment gérer ces pertes ou ces gains, prévient la chercheuse.

Les relations entre pêcheurs vont être encore plus tendues qu'elles le sont déjà. Il y a des enjeux économiques très importants.

Une citation de Colette Wabnitz, scientifique principale à l’Université de Stanford

En réaction à ces déplacements de stocks, les chercheurs appellent à renégocier d’urgence les traités de pêche pour éviter des conflits transfrontaliers.

À l’heure actuelle, le Canada et les États-Unis ont des ententes de pêche ainsi que des commissions de gestion des stocks, comme celle sur le saumon du Pacifique ou encore celle sur le flétan.

Celles-ci veillent à assurer une gestion saine et équitable des stocks entre les deux voisins. Toutefois, que se passerait-il si une population de poissons des eaux américaines venait en grand nombre dans les eaux canadiennes?

La Commission internationale du flétan du Pacifique, qui souligne cette année ses 100 ans d’existence, reconnaît que l’océan est aux prises avec de grands changements. Son rôle est d’y répondre en renégociant les traités ou les quotas de pêche.

La gestion des pêches peut créer des tensions, surtout quand elle implique plusieurs pays. Ça occasionne beaucoup d'inquiétudes partout, signale Allan Hicks, biologiste à la Commission.

Si davantage de flétans restent dans les régions nordiques, ça pourrait avoir un impact sur les négociations au sein de la commission. Alors, chaque année, on établit un seuil de mortalité maximum de poissons, et ça se traduit par des quotas pour les pêcheurs, explique-t-il.

Ainsi, les pouvoirs publics et les autres parties prenantes doivent constamment s’adapter à cette nouvelle donne.

Notre procédure de gestion sera-t-elle robuste face à l'avenir incertain qui nous attend?

Une citation de Allan Hicks, biologiste à la Commission internationale du flétan du Pacifique
Allan Hicks souriant, sur un quai, en avril 2024.

Allan Hicks rencontre des pêcheurs à Seattle pour comprendre leur réalité et leurs préoccupations sur le terrain.

Photo : Radio-Canada / Benoît Livernoche

Tous les chercheurs interrogés s'entendent sur un point : les écosystèmes marins évoluent rapidement, à une vitesse qu’il est parfois difficile de suivre tant les phénomènes sont complexes et nouveaux.

Les changements climatiques apportent un niveau d'imprévisibilité auquel on n'était pas vraiment préparés. C'est difficile pour nous de savoir quels vont être les prochains défis, reconnaît Thomas Doniol-Valcroze.

Sur les quais de Steveston, les pêcheurs sont bien conscients du monde mouvant qui les entoure. Aux premières loges du réchauffement climatique, ils n’auront d’autre choix que de s’adapter à de nouveaux défis, au risque de perdre un métier qu’ils chérissent.

On ne gagne pas assez d'argent. Qu'est-ce qu'on va devenir? Mon fils est pêcheur, mais il a récemment repris ses études d'électricien parce que l'avenir est trop incertain pour lui, déplore Judy Nguyen.

Image sous-marine de morue du Pacifique.

Le reportage d'Alexandre Lepoutre et de Benoît Livernoche à ce sujet présenté à l'émission «La semaine verte»

Photo : Pond5

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