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Femmes autochtones en prison : l’essayiste Cyndy Wylde veut dire les « vraies affaires »

Le taux d’incarcération des Autochtones au pays est environ neuf fois plus élevé que celui des allochtones, selon les derniers chiffres de Statistique Canada.

Un couloir de prison et des cellules.

Les femmes autochtones sont très nombreuses dans les prisons canadiennes, alors qu'elles ne représentent qu'une faible partie de la population globale.

Photo : getty images/istockphoto / MoreISO

Cyndy Wylde a œuvré pendant 25 ans comme intervenante dans le milieu carcéral au Québec. L’Anishinabe et Atikamekw, originaire de Pikogan, publie cette semaine un essai percutant dans lequel elle aborde diverses préoccupations, notamment la condition des femmes autochtones surreprésentées dans les prisons du pays.

L’essai s’ouvre sur une expérience personnelle qui en dit long sur la réalité d’être une Autochtone au Canada. En 2018, après avoir donné un cours à l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue, Cyndy Wylde se retrouve la nuit à attendre un taxi pour retourner à son hôtel. Un agent de sécurité lui demande alors d’aller patienter à l’extérieur du campus.

J’ai refusé parce que nous, les femmes autochtones, on vit encore avec cette peur au ventre de se retrouver toute seule le soir, lance en entrevue l'auteure. L’agent de sécurité a compris mes craintes, mais au fond de moi, j’ai saisi que nos angoisses sont connues de tout le monde, mais nous payons [le prix du] silence collectif.

Le regard de l’autre, parfois empli de préjugés, fait partie de la vie de Cyndy Wylde. Plusieurs expériences et confrontations racistes qu’elle a subies plus jeune lui ont fait prendre conscience qu’elle n’était peut-être pas sur un même pied d’égalité que ses concitoyens non autochtones.

Je ne l’ai pas réalisé sur le coup, mais avec les années, j’ai compris dans quel monde je vivais et qu’il n’était pas toujours bienveillant, lâche-t-elle la voix grave.

Quand tu es une femme autochtone dans cette province, tu ne peux pas te défaire de ton identité, surtout quand, physiquement, on te rappelle que tu es d’une catégorie inférieure.

Une citation de Cyndy Wylde

Son livre joliment intitulé Émergence insoumise est d’ailleurs le résultat de cette longue réflexion entamée par l’auteure dès les années 1990 avec la crise de Kanehsatà:ke (plus souvent appelée crise d'Oka). Durant cette période tendue, elle explique avoir été arrêtée une multitude de fois par la police pour des vérifications.

C’était évidemment du profilage racial, mais j’ai gardé le sourire même si je bouillonnais de l’intérieur. J’étais dans la vingtaine. Je sais que si j’avais réagi, ils n’auraient pas hésité à me mettre les menottes aux poignets.

Ces événements ont agi comme un catalyseur, se souvient Cyndy Wylde, aujourd’hui professeure à l’École de travail social de l’Université d’Ottawa. Elle s’est alors mise à observer ses proches, les membres de sa communauté et sa famille.

C’est là que j’ai commencé à faire des liens avec le silence de la génération qui m’a précédée, tout ce que l’on savait sur le système des pensionnats et les maltraitances.

Une personne posant sa tête sur l'une de ses mains.

Cyndy Wylde partage ses réflexions et anecdotes dans nous premier essai.

Photo : Cyndy Wylde

Une ouverture vers un dialogue

L’auteure a réalisé très tôt, comme beaucoup personnes issues des communautés autochtones, qu’elle est le fruit des traumas intergénérationnels, mais il lui a fallu du temps pour qu’elle puisse mettre des mots sur ce vécu.

Quand je regarde mes choix de carrière, c’était évident que j’essayais d’aller chercher un moyen de guérison. J’avais besoin d’avoir des réponses, de faire des petits pas pour tenter de changer les choses.

Elle mentionne sa carrière en tant qu’intervenante au sein du service correctionnel du Canada. Son ouvrage, qu’elle veut avant tout comme une ouverture vers un dialogue, aborde d’une manière frontale la situation des femmes autochtones dans les prisons de la province qu’elle qualifie de véritable tragédie nationale.

Le service correctionnel est un système très hermétique où règne une quasi-omerta. L'essai est l’occasion d’expliquer à travers mes expériences ce qui se passe à l’intérieur des murs, sans clouer personne au pilori, mais en disant les vraies affaires.

Elle dénonce, entre autres, une situation carcérale qui empire pour les Autochtones, mentionnant qu’une femme sur deux emprisonnée au fédéral est autochtone. Je suis partie du service correctionnel en colère après 25 ans de travail, admet-elle. C’est un gros bateau presque impossible à bouger et, quand il bouge, ce n’est malheureusement pas vers la bonne direction.

Les femmes autochtones incarcérées sont invisibilisées. Leur sort n’intéresse pas la société, alors que leur présence en prison est souvent le résultat d’injustices qui perdurent.

Une citation de Cyndy Wylde

Celle qui prépare sa thèse de doctorat sur la surreprésentation carcérale des femmes autochtones au Québec rappelle les chiffres de Statistique Canada qui indiquaient en 2023 que le taux d’incarcération des Autochtones au pays est environ neuf fois plus élevé que celui des allochtones.

Pour elle, le système est un créateur de discrimination systémique qui prend ses racines dans une longue histoire remontant jusqu’à la colonisation. Les Autochtones ont été traités comme des "sous-peuples", dont les femmes ont été les premières victimes, reléguées au bas de l’échelle, dit-elle.

À 52 ans, Cyndy Wylde est loin d’avoir mis au placard ses objectifs de changer les choses. En se tournant vers le milieu universitaire, elle poursuit toujours son but de sensibiliser la population sur les questions autochtones.

L’éducation me permet d’être en contact avec la relève. Les jeunes, qu’ils soient autochtones ou pas, s’expriment ouvertement et sont plus au fait des réalités sur les Premières Nations, se réjouit-elle.

L’essai Émergence insoumise de Cyndy Wylde – qui a également été chroniqueuse pour Espaces Autochtones – est publié par les éditions Hannenorak.

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