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Poussières de toiles : l’univers créatif de Frank Polson

Poussières de toiles : l’univers créatif de Frank Polson

Un texte de Lise Millette

Publié le 24 mars 2021

Des œuvres colorées, au rythme porteur de sens. Des décors vifs et des contrastes aussi puissants que les mots associés aux symboles couchés sur la toile. La signature de Frank Polson est unique. Ses toiles sont devenues emblématiques de la culture anichinabée. Dans un style qui lui est propre, il peint en perpétuant les valeurs des récits millénaires, autrefois relayés par la tradition orale.

Une œuvre de la série Grand-mère lune de Frank Polson. Photo : Avec l'autorisation de Frank Polson

La démarche artistique de Frank Polson est d’abord introspective. Le dessin prolonge la toile intérieure qui s’est tissée au fil des années, au gré des combats parfois violents qu’il a dû mener, souvent contre lui-même. Peindre comme si sa vie en dépendait, comme s’il s’agissait de la seule manière de revenir de loin tout en évitant de dériver encore.

Il n’a plus besoin de présentation en Abitibi-Témiscamingue. Malgré sa notoriété et une réputation qui le précède, Frank Polson demeure affable, humble. L’artiste n’est pas que peintre, il incarne à la fois les traditions, la mémoire symbolique des récits de sa culture et ce pont nécessaire qui se bâtit pour que l’autre devienne soi.

Sur l’îlot de la cuisine, un immense orignal noir au ventre peint de bleu, d’orange et de vert trône avec un œil immense fait de cercles concentriques jaune et orangé. Frank Polson apporte la touche finale à cette toile qui prendra le chemin de Toronto, lieu d’expédition de sa plus récente commande.

Perché sur son tabouret, vêtu d’une simple camisole marine, Frank Polson semble réfléchir au milieu de ses pinceaux et de ses tubes multicolores. Cette simplicité est un trait de caractère reconnu par tous ceux et celles qui ont pu travailler avec lui.

L'une des 13 toiles de la série Grand-mère lune de Frank Polson. Photo : Avec l'autorisation de Frank Polson

Enraciné dans un territoire à définir
Enraciné dans un territoire à définir

Enraciné dans un territoire à définir
Enraciné dans un territoire à définir

Frank a été une découverte humaine. Il est très incarné dans son œuvre pleine de symbolisme par rapport à sa culture, mais en même temps, il est très ouvert au partage. C'est quelqu'un qui est drôle, simple et d’une grande humanité, souligne Émilie Villeneuve, directrice générale du Festival du cinéma international en Abitibi-Témiscamingue.

Depuis quelques années déjà, Frank Polson signe les affiches du festival.

On voulait mettre de l'avant notre orignal, c'est notre logo et c'est ce qui fait aussi notre distinction parmi les autres festivals de cinéma. C'est un animal qui est fort, qui représente l'Abitibi-Témiscamingue et qui n'est pas que le symbole de la chasse. C'est un symbole qu'on lie au territoire, poursuit Mme Villeneuve.

Une affiche de festival.
L'affiche du 37e Festival du cinéma international en Abitibi-Témiscamingue est une réalisation de Frank Polson, artiste de Winneway. Photo : Avec l'autorisation du Festival du cinéma international

Ce qui m’inspire, ce sont les choses simples… Le soleil qui se lève, le soleil qui se couche. C'est ce que m'a appris à apprécier mon père lorsqu'il m'emmenait dans les bois. Tout forme un cercle ici. Le jaune est la couleur de la vie, c'est la couleur du soleil. Tout est connecté dans la vie, la vie est un cercle, explique Frank Polson, dans sa maison de la rue Naneweak, à Winneway.

Des gens posent devant un tipi.
Frank Polson pose ici devant un immense tipi aménagé sur le site culturel, dans la forêt près de la communauté de Winneway. Photo : Avec l'autorisation de Frank Polson

Ce village d’environ 300 personnes est situé au creux des terres, à une centaine de kilomètres de Ville-Marie, au Témiscamingue, à plus d’une heure de toutes commodités commerciales, des épiceries comme de l’hôpital. Winneway a néanmoins deux écoles, une primaire et une secondaire, un gymnase, une radio et un poste d’essence. Et la nature englobe tout le reste.

Pour s’y rendre, il faut emprunter un trajet routier qui serpente entre les épinettes noires et les chemins forestiers. Le village de Winneway se dresse au bout du chemin, en contrebas de la route. Cette petite communauté n’est pas une réserve autochtone, elle n’en a pas le statut; Winneway est plutôt désigné comme un établissement autochtone.

Si la vie y est modeste, on y trouve l’esprit de cercle qui imprègne la culture anichinabée. Cette figure géométrique se retrouve dans chacune de ses toiles et se veut une manière de relier tout le reste, de former un tout, de s’enraciner aussi dans un monde qui dépasse les frontières. 

Le territoire? Pour Frank Polson, ce concept est très simple : Le territoire, c’est partout, mais je ne suis pas un activiste, je ne suis pas un militant. Je suis par contre concerné et préoccupé, nuance-t-il.

Les animaux sont souvent représentés dans les œuvres de Frank Polson. Photo : Avec l'autorisation de Frank Polson

La reconnaissance et l’humilité
La reconnaissance et l’humilité

La reconnaissance et l’humilité
La reconnaissance et l’humilité

La réputation de Frank Polson n’est plus à faire. Ses œuvres rayonnent aux quatre coins de l’Abitibi-Témiscamingue, dans le nord de l’Ontario, dans des galeries de Montréal, d’Ottawa, de Toronto et de Winnipeg, au Manitoba.

Les commandes arrivent de partout, parfois de l’extérieur du Canada. Frank Polson sourit à cette idée, ainsi qu’à celle d’avoir à emballer tout ça pour expédier, en toute sécurité et protection, ses œuvres par Postes Canada.

N’empêche, dans sa petite maison au revêtement de bois, rien ne filtre de cette notoriété.

Frank Polson est derrière sa fenêtre et il montre une de ses oeuvres.
De sa fenêtre, Frank Polson montre une récente création. Au temps de la COVID-19, cette vitrine devient un lieu d'exposition pour qui se promène dans les rues de Winneway. Photo : Radio-Canada / Tanya Neveu

En 1983, j’ai été emprisonné. Ironiquement, c'est peut-être la meilleure place où je devais être pour être à l'écart de certaines personnes, des drogues et de l'alcool, mentionne-t-il.

Cette déclaration est faite sans détour. Sans revenir sur les faits, Frank Polson ne cherche pas non plus à éluder cette période trouble de sa vie. Il ajoute, peu après : L'art m'aide à maintenir ma sobriété. Je ne suis pas un chaman, je ne suis pas médecin, je suis un artiste qui attend et aspire à vivre une vie meilleure. Si je peux aider ne serait-ce qu'une seule personne, alors je serai content.

Ainsi, l’artiste ne fait pas que peindre : il pense et vit dans chaque coup de pinceau, dans chaque pixel de couleur accroché aux poils qu’il glisse ensuite sur la toile. Peindre devient une chorégraphie méditative, une mécanique inspirée pour une création qui le garde sur le chemin de la guérison.

Frank Polson est assis à sa table de travail, entouré de pinceaux et de tubes de peinture.
Tout est toujours laissé en plan, prêt à être utilisé lorsque l'inspiration se manifeste. Photo : Radio-Canada / Tanya Neveu

Son art, Frank Polson l’a d’ailleurs apprivoisé dans un pénitencier fédéral, où il purgeait une peine d’emprisonnement de cinq ans. Derrière les murs, Frank Polson a vu une fenêtre s’ouvrir devant lui quand il a fait la rencontre d’un autre artiste, Steve Toulouse. Il a commencé à peindre.

Il s'est aussi inspiré de Norval Morrisseau et des fresques rupestres sur les sites anichinabés; du mouvement haïda également, qui fait référence au style des Premières Nations de la côte ouest, résume Caroline Lemire, ancienne consultante pour le développement culturel autochtone à Tourisme Abitibi-Témiscamingue et aujourd’hui directrice de Minwashin, un organisme qui a pour objectif de stimuler et de promouvoir la culture et les arts anichinabés.

Frank Polson était toujours incarcéré quand il a connu ses premiers acheteurs : des gardiens de prison et des visiteurs venus voir d’autres prisonniers.

Son passé est bien connu des intervenants qui travaillent avec lui. Loin de s’en formaliser, ceux-ci y voient, au contraire, une inspiration.

Il a eu un passé un peu trouble, il nous en avait parlé, et c'est vraiment avec l'art qu'il a pris un autre envol. On sent qu'il a envie de partager sa culture et son art, ce qui est assez universel. Je dirais aussi qu’il a une façon de venir nous [toucher]; peut-être qu'il y a une certaine magie là-dedans. Il y a tellement d'amour dans ce qu'il fait, mentionne Émilie Villeneuve.

Caroline Lemire abonde dans le même sens.

Chez lui, c’est pleinement assumé. Frank Polson, c'est une vie remplie d'histoires et d'émotions, à l'image de ses frères, de ses pairs. Il a eu des embûches, mais maintenant, on est à l'heure de la valorisation, du partage. Frank n'hésite pas à [parler de] son parcours de vie pour en inspirer d'autres, et il le répète régulièrement, c'est important pour sa transformation personnelle, souligne-t-elle.

Une œuvre de Frank Polson représentant un aigle. Photo : Avec l'autorisation de Frank Polson

Un pont au creux de la main
Un pont au creux de la main

Un pont au creux de la main
Un pont au creux de la main

En 2018, la Monnaie royale canadienne a dévoilé une toute nouvelle série qui mettait à l’honneur la culture des peuples autochtones. Trois artistes canadiens avaient été approchés pour développer un ensemble de tableaux. Ce sont ceux de Frank Polson qui ont été retenus afin de présenter une thématique inspirée du cycle lunaire et du symbolisme qui y est associé.

Chef de produit à la Monnaie royale canadienne, Melanie Luis souhaitait présenter une collection qui viendrait raconter un pan de la culture anichinabée. Inspiré du cycle lunaire, le personnage de Grand-mère Lune vient périodiquement prodiguer des conseils empreints de sagesse. La Monnaie royale canadienne présente ainsi la série :

Chez les Anichinabés, Grand-mère Lune est omniprésente, se manifestant 13 fois par année pour veiller sur les enfants de mère Nature et éclairer leur chemin. Elle apporte chaque fois un nouvel enseignement, illustré au revers de la pièce correspondante, pour favoriser la compréhension et le respect de toutes les créatures de la Terre.

Les 13 pièces de monnaie réalisées à partir des œuvres de Frank Polson.
La Monnaie royale canadienne a produit une série de 13 pièces de monnaie présentant les œuvres de Frank Polson. Photo : Monnaie royale canadienne

Le mandat consistait à raconter une histoire à travers une petite pièce de 27 mm de diamètre. La série de pièces de Frank Polson était la plus représentative du thème des 13 lunes, et sa série incarnait une cohésion, une continuité dans l'art , précise Mme Luis.

Alexandre Reeves, chef principal des affaires publiques à la Monnaie royale canadienne, estime que c’est la mission de son organisation de permettre à la population de découvrir une partie de l’identité canadienne par les croyances et les traditions artistiques qui s’incarnent sur le territoire.

C'est une plateforme idéale pour mettre en valeur des thèmes importants qui représentent le Canada. C'est important de mettre en valeur la grandeur du paysage artistique du Canada en incluant des traditions artistiques autochtones, comme l'art anichinabé. On célèbre des artistes, et c'est un avantage unique qu'on a de produire des pièces qui ont le pouvoir d'immortaliser différents sujets et traditions, soutient M. Reeves.

Retenir Frank Polson pour véhiculer cette culture constitue un choix clair et sans équivoque pour Caroline Lemire. Elle considère que, par son enracinement culturel, mais aussi par sa volonté de partager, il s’agit d’un ambassadeur naturel.

Frank Polson entouré de membres de la communauté de Lac-Simon.
Frank Polson pose ici devant une murale aménagée dans une école de Lac-Simon, une communauté anichinabée près de Val-d'Or. Photo : Tourisme Abitibi-Témiscamingue

Frank a compris dès le départ comment l'art et la culture pouvaient être une belle façon de faciliter le rapprochement des peuples. Il est aussi une grande source d'inspiration pour plusieurs allochtones, jeunes ou artistes anichinabés. Il a la fibre d’entrepreneur en plus d'être très fier de son identité et de ses racines, et il le partage très bien. C’est impossible de ne pas admirer une de ses murales dans chaque communauté de l'Abitibi-Témiscamingue, souligne Caroline Lemire.

Les œuvres de Frank Polson représentent des animaux qui véhiculent différentes valeurs. Photo : Avec l'autorisation de Frank Polson

Les pas de la guérison
Les pas de la guérison

Les pas de la guérison
Les pas de la guérison

Dans l’imaginaire anichinabé, que Frank Polson a décliné dans sa série Les sept grands-pères, l’orignal est l’incarnation du respect. Le loup représente plutôt l’humilité, alors que l’aigle réfère à l’amour, et l’ours au courage. La tortue illustre quant à elle la vérité, une créature humanoïde, l'honnêteté, et le castor la sagesse.

Par ces animaux se véhiculent des valeurs qui s’inscrivent dans le cours de la vie, qui font partie d’un cycle qui se répète. Il a lui-même puisé dans ces enseignements fondamentaux pour trouver des réponses et un sens à sa vie.

Il existe une fascination pour cet art un peu naïf. On comprend, dans l'art de Frank Polson, que c'est différent de nous. C'est une proposition de valeurs, de symboles, de codes qui amènent une fascination et une grande curiosité, qui nous interpelle, fait remarquer Caroline Lemire.

Aujourd’hui, Frank Polson, l’artiste, est présent en Abitibi-Témiscamingue tant dans les communautés autochtones que dans les milieux plus urbains. Dans les écoles primaires, des ateliers culturels sont organisés pour aborder les enseignements des sept grands-pères et aussi pour peindre à la façon de Frank Polson.

Avec les plus jeunes, il n’aborde pas les questions de consommation d’alcool ou de drogues, mais avec les adolescents, il parle de ses démons.

La première chose qui importe, c'est d'être honnête avec soi-même. Aujourd'hui, je veux redonner. Quand je suis devenu un artiste, mes buts étaient d'être accepté, j'avais un besoin d'égalité, de me rebâtir, mais surtout, mon art m'a conduit et gardé sur le chemin de la sobriété et de la guérison , dit-il.

Des rechutes, il y en a eu, bien sûr, mais Frank Polson ne s’est jamais laissé glisser. Ses pinceaux sont toujours dans la cuisine, les tubes de peinture aux éclats vifs et clairs ne sont jamais bien loin. Tout est là, pour capter son attention.

Des pinceaux en avant-plan et Frank Polson derrière
Frank Polson est entouré de ses pinceaux et de ses tubes de peinture quand il se met au travail dans son atelier. Photo : Radio-Canada / Tanya Neveu
Une œuvre de la série des Grands-Mères Lune de Frank Polson. Photo : Avec l'autorisation de Frank Polson

Au son de la musique rock, des mélodies parfois très pop des années 1980, il s’installe sur son tabouret, entre la fenêtre, qui lui permet de jeter un œil dehors, et les murs de sa petite cuisine blanche. Il peut ainsi s’évader ou, au contraire, se recentrer. 

Est-ce que ce sera, cette fois, l’esprit humble du loup, le courage de l’ours ou l’amour de l’aigle qui viendra se faire capter pour aller poser, sur le canevas, des poussières de toile?

Frank Polson est assis devant une toile.
L'univers créatif de Frank Polson est peuplé de plusieurs éléments de sa culture. Photo : Radio-Canada / Tanya Neveu

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