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    HEURE DE DIFFUSION
    Mardi 19 h 30

    REDIFFUSION SUR RDI
    Samedi 17 h 30
    Dimanche 2 h 30


    - Les diètes protéinées -
    Le Code de déontologie des médecins est très clair: un médecin n'a pas le droit de vendre un produit ou un traitement à un patient. On veut ainsi s'assurer que le médecin prescrit le meilleur traitement et non pas un traitement dans lequel il aurait un intérêt financier. Certaines cliniques d'amaigrissement iraient-elles à l'encontre de ce Code?

    Journaliste: Claire Frémont
    Réalisatrice: Christine Campestre


    __________


    Annie voulait perdre des kilos. En 2001, elle a consulté un médecin et elle a suivi une diète protéinée. Elle a toutefois dû arrêter, faute d'argent.

    « C'était trop cher pour mes moyens et je me disais que je n'allais quand même pas me nuire en plus, je n'allais quand même pas faire faillite pour perdre du poids. »

    Chaque semaine, Annie consultait un médecin qui lui prescrivait des sachets de protéines. Elle les achetait à l'intérieur même de la clinique. Il s'agit d'une situation courante où commerce et pratique médicale se côtoient.

    « Au Québec, un médecin, pour l'immense majorité, est quelqu'un qui est payé par l'État. Et il est payé par l'État pour donner des soins à des patients, c'est à dire donner des diagnostics et proposer des traitements, soutient le Dr Dominique Garrel, un spécialiste de l'obésité. Il n'est pas sensé être un homme d'affaires qui vend des produits, surtout des produits qui concernent le traitement qu'il recommande, parce que dans ces cas-là, il y a un conflit d'intérêt assez évident. »

    Protéines vendues sur place

    Lorsque ce n'est pas le médecin qui vend les protéines, mais une entreprise à l'intérieur de la clinique, est-ce que l'indépendance du médecin est menacée? Cette situation prévaut dans de nombreuses cliniques. Ce qui est particulier, c'est que les patients font leur épicerie à l'intérieur même de la clinique. Il leur en coûte entre 30 $ et 70 $ par semaine. Ces protéines, ce sont des sachets d'aliments déshydratés: des pâtes, des omelettes, des laits frappés ou des muffins.

    Annie a fréquenté une des cliniques d'un médecin qui est l'un des chefs de file des régimes protéinés. Bien connu du grand public en raison de ses apparitions à la télévision ou de ses infopublicités dans les journaux, il est directeur médical de 16 cliniques où travaillent une trentaine de ses confrères. Ces derniers prescrivent des protéines qui sont vendues uniquement à l'intérieur des cliniques.

    « Quand tu visites cette clinique, tu y achètes systématiquement les protéines », affirme Annie.

    Ce médecin ne vend pas lui-même les protéines. Parce qu'elles sont vendues à l'intérieur de la clinique où il pratique, il fait toutefois l'objet d'une plainte en 2003. Le Collège des médecins l'a alors obligé à changer sa façon de faire.

    « Les produits utilisés pour le jeûne protéiné ne seront plus vendus dans les cliniques d'amaigrissement où exerce [ce médecin] », lui a écrit le Collège dans une lettre.

    La facture a récemment visité quelques-unes de ces cliniques. Malgré la lettre du Collège des médecins, à première vue, rien ne semble avoir changé. Il y a toujours vente de protéines à l'intérieur même de la clinique.

    Un simple changement de local

    Le médecin a accepté de rencontrer La facture pour lui indiquer les modifications qu'il a apportées. Il y a encore vente de protéines dans la clinique, mais dans un bureau clairement identifié au nom d'une compagnie et qui porte un numéro de local différent.

    « Le fait d'avoir indiqué un numéro de local différent sur la porte fait en sorte que le Collège considère que je me conforme au code de déontologie », prétend-il.

    Et c'est vrai! Étonnement, le Collège des médecins se contente d'une simple indication sur une porte.

    « Ces modifications [.] rendent votre exercice conforme à vos obligations déontologiques », écrit en effet le Collège dans une autre lettre. Il fait toutefois une mise en garde au médecin: « Il n'appartient pas aux réceptionnistes de discuter avec vos patients des différents produits offerts ni des frais si rattachant ».

    Pourtant, plusieurs appels téléphoniques et visites de La facture dans ces cliniques démontrent que les réceptionnistes parlent directement des protéines et de leur prix, même si elles auraient dû laisser à la compagnie vendant ces produits le soin de répondre aux questions des patients. Précisons que cette entreprise appartient à la femme du médecin.

    « Je n'ai aucun intérêt dans cette compagnie, se défend le médecin. Ma préoccupation est avant tout de voir au bien-être et à la santé de mes patients. »

    Le Collège s'inquiète

    Dr François Gauthier
    Une compagnie de vente de protéines appartenant au conjoint d'un médecin, ce n'est pas un cas unique au Québec. Et même si ce n'est pas illégal, cette manière de procéder provoque un certain malaise dans le milieu.

    Elle est toutefois encouragée par un vendeur d'un fabricant de protéines. En se faisant passer pour une assistante médicale, La facture lui a demandé si le médecin pouvait vendre lui-même les protéines.

    « Un médecin m'a dit de passer le mot qu'il était préférable que le médecin ait un local à part pour vendre le produit, souligne ce vendeur. Il m'a même dit: ''On peut le mettre au nom du conjoint''. »

    Le Collège des médecins s'inquiète du fait que des compagnies de vente de protéines appartiennent à des sociétés de gestion ou à des membres de la famille des médecins.

    « C'est clair que la question de l'indépendance risque d'en prendre un coup », reconnaît le directeur des enquêtes du Collège, le Dr François Gauthier.

    Dirigisme?

    Annie se faisait systématiquement prescrire des protéines, et elle devait les acheter sur place.

    « On ne nous proposait pas de les acheter ailleurs, on ne nous disait pas qu'on pouvait les obtenir ailleurs, dit-elle. On nous proposait plutôt d'acheter directement à la clinique. »

    « Il y a une question évidente à se poser: celle du dirigisme, ajoute le Dr Gauthier. Il y a une forte présomption d'une tendance à orienter les patients vers un fournisseur de produits à la sortie du cabinet de consultation et ça, ça nous préoccupe. »

    Le patient qui consulte un médecin et qui sort du cabinet de ce dernier avec une prescription ne doit pas être orienté vers un lieu de vente en particulier. Il doit avoir le choix d'acheter ses protéines là où il le veut.

    « Si le patient nous pose la question: ''Est-ce que je peux me procurer les protéines ailleurs?'' à ce moment-là, on lui donne une liste d'endroits où il peut aller les acheter », précise le médecin.

    Cette liste ne comprend que les cliniques d'amaigrissement où il est directeur médical et consultant. Elles appartiennent à sa femme, et on y vend, presque exclusivement, des protéines fabriquées par la compagnie de leur fils. N'y a-t-il pas là apparence de conflit d'intérêts?

    « Je n'ai aucun intérêt dans l'entreprise de mon fils, se défend-il. Je ne m'intéresse absolument pas au commerce. Que mon épouse s'y soit intéressée, c'est son droit. Et que mon fils ait décidé de fabriquer des produits semblables [, c'est aussi son droit]. Tous les médecins, ici au Québec, les utilisent et il les vend dans 20 pays, alors ce sont des protéines qui ont fait leur preuve. »

    Que contiennent les sachets de protéines?

    Que contiennent donc les sachets de protéines qu'Annie se procurait? Des représentants de l'Agence canadienne d'inspection des aliments ont récemment visité l'entreprise du fils du médecin.

    « On n'a pas affaire ici à un supplément alimentaire, souligne Claude Desaulniers. Un substitut de repas ou un supplément nutritif répond à des exigences très particulières au niveau de la réglementation. Ici, on a uniquement affaire à un aliment, à une poudre alimentaire. »

    Pour en savoir plus sur ces aliments déshydratés vendus exclusivement en clinique, La facture a demandé une entrevue au fils du médecin. Il a refusé. La facture est donc allée rencontrer la nutritionniste Nathalie Jobin, qui est également directrice de la nutrition et des affaires scientifiques à Extenso, le Centre de référence sur la nutrition humaine de l'Université de Montréal.

    Le sachet qu'elle a analysé contenait des pâtes avec une sauce au fromage.

    « Pour donner une image aux gens, ça équivaut à une boîte de macaroni au fromage Dîner Kraft. C'est une petite portion de Dîner Kraft dans laquelle on a ajouté des ingrédients, comme de la poudre de lait ou de la poudre d'ouf, pour enrichir le contenu du Dîner Kraft en protéines, indique-t-elle. Mais c'est exactement la même chose. C'est un produit déshydraté que l'on reconstitue. »

    « Les gens ne consentent pas à manger des choses insipides pendant une longue période. Les gens adhèrent beaucoup plus facilement [au régime] en prenant les produits [que l'on trouve dans les cliniques d'amaigrissement], parce qu'il y a une soixante de saveurs », prétend de son côté le médecin.

    Astuce commerciale?

    Le Collège des médecins ne trouve-t-il pas étrange qu'un médecin prescrive, par exemple, des pâtes à la sauce Alfredo?

    « Je pense que poser la question, c'est déjà y répondre. Si c'est de cette façon-là que ça se produit, il y a sûrement des questions à se poser », admet le Dr Gauthier.

    Ces aliments protéinés pourraient donc être vendus en épicerie. Pourtant, les médecins les prescrivent et la compagnie du fils du médecin ne fait affaire qu'avec des cliniques.

    « Honnêtement, ça fait notre affaire. Si c'est en vente libre, ça perd un peu de crédibilité, confie le vendeur que La facture a appelé en se faisant passer pour une assistante médicale. En général, je recommande [à mon client] de doubler ou de tripler le prix qu'il paie, dépendamment du quartier [où il se trouve]. »

    Vente interdite

    Les sachets de protéines sont vendus individuellement dans les cliniques d'amaigrissement. Or, il est interdit de les vendre à l'unité puisqu'on n'y retrouve pas la liste des ingrédients.

    Claude Desaulniers
    « Le client manque d'informations. Il n'a pas de liste d'ingrédients, il ne sait pas qui est le fabricant ou l'importateur du produit, note Claude Desaulniers. On a donc un produit non conforme, qui ne devrait peut-être pas être en vente individuelle. »

    « Je pense que le fait qu'il n'y ait pas de liste d'ingrédients contribue à créer de la confusion chez les gens. Ça laisse croire que c'est un médicament, alors que ce sont simplement des aliments, poursuit Nathalie Jobin. Si les gens voyaient une liste d'ingrédients avec le mot pâtes, ils verraient bien que ce ne sont finalement que des aliments. »

    Non seulement le Collège des médecins ignorait que les sachets de protéines contenaient de simples aliments déshydratés, mais il ne savait pas non plus que, dans certains cas, ce sont les conjoints des médecins qui les vendent.

    « Si vous me décrivez une situation qui existe réellement, c'est évident que nous allons prendre des dispositions pour enquêter sur cette situation et pour la régulariser, affirme le Dr Gauthier. C'est clair. »

    De son côté, Annie a dit adieu aux sachets de protéines. Maintenant, elle fait ses courses dans de vraies épiceries plutôt que dans les cliniques d'amaigrissement.

    En conclusion

    Le Collège des médecins se penchera-t-il sur les pratiques de certains de ses membres? La facture suivra l'évolution de ce dossier et elle y reviendra.

    Encore une fois, le Code de déontologie des médecins est très clair: un médecin doit sauvegarder son indépendance professionnelle et éviter de se placer dans des situations où il serait en conflit d'intérêts.



    Hyperliens
    Code de déontologie des médecins du Québec

    Collège des médecins du Québec

    Agence canadienne d'inspection des aliments

    Extenso - Centre de référence sur la nutrition humaine



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