ACCUEIL



  • REPORTAGES
  • CAPSULES
  • VRAI OU FAUX
  • QUESTION DE LA SEMAINE

  • ÉQUIPE

    RECHERCHE

    Recherche par date >>

    ARCHIVES
    2002 à 2004
    2001 à 2002
    2000 à 2001


    NOS COORDONNÉES

    Adresse postale:
    La Facture
    Société Radio-Canada
    1400 René-Lévesque Est,
    3e étage
    Montréal (Québec)
    H2L 2M2

    Téléphone:
    514 790-2636 ou
    1 800 790-2636

    Télécopieur:
    514 597-7972


    HEURE DE DIFFUSION
    Mardi 19 h 30

    REDIFFUSION SUR RDI
    Samedi 17 h 30
    Dimanche 2 h 30


    - Un homonyme criminel -
    Les sciences juridiques et médico-légales offrent maintenant aux policiers des outils ultramodernes. Par exemple, l'utilisation des tests d'ADN a permis que justice soit faite dans plusieurs affaires qui seraient restées insolubles avant l'arrivée de cet outil légal. Mais si, dans certains domaines, la police est à la fine pointe de la technologie, dans d'autres, on dirait que ses méthodes datent de l'âge de pierre.

    Journaliste: Michel Senécal
    Réalisatrice: Christine Gautrin


    __________


    Sébastien et sa copine Nancy rentraient tout juste de la République dominicaine. Ils sont entrés dans l'aéroport et ils ont fait leurs déclarations de douane. Au premier poste de contrôle, le douanier a inscrit quelque chose sur leurs déclarations. Le couple a continué vers le carrousel à bagages.

    « [Le douanier] a commencé à fouiller, puis il a pris nos passeports, raconte Sébastien. Je sentais qu'il y avait quelque chose d'étrange parce qu'il a ramené le passeport [de Nancy] et qu'il avait toujours le mien. Et ça a pris du temps, je dirais un bon 15-20 minutes. »

    C'est alors que les ennuis de Sébastien ont commencé.

    « [Le douanier] m'a dit: ''Suivez-moi. Je vous mets en état d'arrestation pour bris de probation. Vous êtes recherché par la police. Vous avez le droit de garder le silence''. Je cherchais des caméras, je me suis dit que c'était peut-être une émission d'humour qui essayait de me prendre au piège. Ce n'était pas ça pantoute. Et le douanier n'entendait pas à rire. »

    Le douanier a passé les menottes à Sébastien. Il lui a ensuite dit qu'il l'emmenait en cellule, et que les policiers de Montréal l'amèneraient ensuite au poste de police. « J'ai passé deux heures en cellule. Ils m'ont enlevé mes lacets pour que je ne commette pas de crime, j'imagine », se souvient le jeune homme.

    Le bénéfice du doute

    Un Sébastien portant le même nom de famille et ayant la même date de naissance que celui que les policiers avaient devant eux était activement recherché.

    « Je leur ai dit: ''Êtes-vous sûrs que je suis la bonne personne? J'ai eu des problèmes comme ça dans le passé''. Ils m'ont répondu: ''D'après les recherches que nous faisons, tu corresponds''. »

    Mais à quoi Sébastien correspondait-il exactement? Selon les bases de données des policiers, il correspondait à l'individu recherché. L'ennui, c'est que ces bases de données sont rudimentaires et qu'elles offrent peu d'éléments pour comparer hors de tout doute raisonnable deux personnes portant le même nom et ayant la même date de naissance.

    Finalement, les policiers n'ont pas été en mesure d'identifier clairement Sébastien comme étant l'individu recherché.

    « Ils ont ouvert la cellule et ils m'ont dit: ''On s'excuse. On ne peut pas prouver que c'est vous, et on ne peut pas prouver que ce n'est pas vous. Pour ce soir, on vous accorde le bénéfice du doute''. »

    Un banal contrôle routier devient un cauchemar

    Éric, un chauffeur d'autobus, ne pensait pas lui non plus qu'il allait passer un aussi mauvais quart d'heure avec les policiers quand il a été intercepté pour un banal contrôle routier, tout près de Shawinigan.

    Il revenait de faire son parcours d'autobus et le policier qui l'a arrêté lui a demandé de lui donner ses papiers. Il est ensuite allé faire les vérifications de routine pour tous les conducteurs de véhicules lourds et d'autobus.

    « J'ai vu quelques voitures de police arriver, se rappelle Éric. J'étais en état d'arrestation. »

    Il y avait un mandat d'émis contre un Éric qui avait le même nom de famille et la même date de naissance que lui, et dont la description était semblable.

    « C'est stressant de se faire dire qu'il y a un mandat [d'arrestation] contre toi et que tu sais qu'il n'y en a pas », soutient-il.

    Encore une fois, les policiers avaient peu de renseignements sur l'individu qu'ils recherchaient. Sur les documents de cour, il n'y avait ni numéro de permis de conduire ni adresse.

    « Ça a duré deux heures, ajoute Éric. À un moment donné, il a fini par trouver un seul et unique détail qui pouvait nous différencier assez pour qu'il me permette de repartir, sans pour autant être sur à 100 %. Il s'est rendu compte que l'autre personne avait un tatouage, et pas moi. »

    Des lacunes dans le système d'identification

    Ancien policier devenu avocat, Denis Boucher enseigne aujourd'hui les techniques policières au cégep Ahuntsic, à Montréal. C'est un spécialiste des questions concernant les pouvoirs et les devoirs des policiers. Il reconnaît les lacunes du système d'identification.

    « Les banques de données qui nous sont accessibles ou les informations qu'on peut contrôler ne peuvent pas toujours être consultées sur place, affirme-t-il. À ce moment-là, ça implique que ça se fasse plutôt au poste de police, qu'on y emmène l'individu, qu'on le mette en état d'arrestation. »

    Le problème, c'est que les banques de données en question fournissent des informations très limitées. Par exemple, il est impossible d'y trouver le deuxième prénom d'un individu ou, ce qui serait encore mieux, sa photographie.

    « Tout ce que le policier a comme renseignements, c'est une adresse, la date de naissance. Il va avoir une description physique sommaire, telle qu'elle apparaît sur notre permis de conduire, poursuit Denis Boucher. Il pourrait aller voir les véhicules que [la personne recherchée] avait auparavant, mais ça s'arrête là. »

    Selon lui, la photo est un élément très important du système d'identification, et c'est la solution vers laquelle on devrait tendre. Cela ne réglerait peut-être pas tous les problèmes, mais ça pourrait en régler un bon nombre.

    Préjudice et ennuis

    Le cafouillage d'identité cause un grave préjudice et bien des ennuis à ceux qui ont un homonyme recherché.

    « On ne peut pas voyager, se plaint Sébastien. On avait le projet d'aller en vacances en Alberta cet été, mais on ne peut pas y aller parce que je suis recherché. Enfin, l'autre est recherché. »

    « Ça m'empêche d'aller faire des voyages à l'extérieur, prétend Éric. C'est moins payant pour moi, parce que je ne peux pas aller à Montréal ou à Québec, ou encore faire des voyages avec l'autobus plein de personnes. »

    La situation crée même des ennuis à sa patronne.

    « C'est sûr que je n'ose pas l'envoyer à l'extérieur, à Montréal ou à Québec, admet-elle. Quand il part en voyage, s'il se fait arrêter par la police pour une vérification ou autre chose, ça dure des heures. Ils ne veulent plus le laisser partir, alors moi, je ne suis pas tranquille. »

    « Si je me fais arrêter et que le policier ne réussit pas à faire tout de suite la différence entre nous deux, je serais obligé de laisser toutes les personnes dans l'autobus et puis de m'en aller avec lui, renchérit Éric. Ce n'est pas logique. »

    Des démarches compliquées

    Des démarches pour clarifier une telle situation auraient dû être simples, mais elles se sont avérées extrêmement compliquées.

    Les policiers de Montréal ont conseillé à Sébastien de se rendre à un poste de la Sûreté du Québec (SQ) de sa région pour faire mettre une note à son dossier, pour aller chercher un papier disant qu'il n'a aucun antécédent criminel.

    « Tout ce qu'ils font c'est de se renvoyer la balle les uns aux autres: ''Va là. Va à tel endroit, à tel endroit''. »

    Éric a fait les mêmes démarches que Sébastien auprès de la SQ. Elles ont aussi été infructueuses. Ce que les deux hommes voudraient, c'est avoir entre les mains une attestation qui expliquerait qu'ils n'ont pas d'antécédents judiciaires.

    Aux postes de police de la SQ en région, tout comme au quartier général de la SQ à Montréal, on a refusé d'accorder une entrevue à La facture. Cependant, contrairement aux postes en région où se sont adressés Éric et Sébastien, au quartier général, on a affirmé que tous les postes de police du Québec peuvent fournir rapidement un document appelé recherche négative d'antécédents criminels.

    Payer pour prouver son innocence

    Denis Boucher
    « On devrait faire des démarches pour remettre au moins un document, même s'il ne représente pas encore l'enquête complète faite par la GRC avec empreintes et tout, un document à l'effet que l'individu est sans antécédents judiciaires, qu'il ne correspond pas à la personne recherchée », croit Denis Boucher.

    Éric et Sébastien ont tenté une autre démarche pour clarifier leur situation. Ils ont décidé de se rendre au quartier général de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) pour une prise d'empreintes digitales afin de prouver hors de tout doute qu'ils ne sont pas recherchés. Coût de l'opération? Cinquante dollars, sans compter les frais de déplacement.

    « Je ne viens pas de la région de Montréal. Il a fallu que j'aille au bureau de la GRC pour aller faire prendre mes empreintes et je me suis fait dire ensuite que ça va prendre cinq à six mois avant que j'aie des résultats concrets! fulmine Sébastien. Je ne trouve pas ça normal, d'autant plus qu'il a fallu que je paie pour ça! Je ne suis pas sûr qu'un criminel qui se fait arrêter paierait pour faire prendre ses empreintes. »

    « Une chose est sûre, c'est que je demanderais à être remboursé. À mon avis, avoir à payer 50 $, dans des circonstances semblables, pour attendre dans certains cas 150 jours, ça ne fait qu'ajouter à ce qui vient de se passer », pense Denis Boucher.

    Changer de nom?

    Les policiers de la SQ avaient même suggéré une étonnante solution à Éric et à Sébastien.

    « La seule et unique chose de supposément pratique qu'ils ont réussi à me proposer, c'est de changer mon nom, soutient Éric. Ça coûte environ 300 $, faire un changement de nom. »

    « J'ai rencontré un jeune policier qui est allé s'informer auprès de son supérieur. Ce dernier m'a dit que la seule chose qu'il y avait à faire, c'était de changer de nom, de contacter le directeur de l'état civil et ça, ça coûte cher, ajoute Sébastien. Toutes mes cartes, toutes mes démarches, qui va payer pour ça? Il m'a dit: ''C'est vous monsieur''. »

    Ces conseils des policiers font bondir Denis Boucher.

    « C'est inadmissible! C'est le genre de remarques qu'on devrait totalement s'abstenir de faire! Voyons donc, le nom, c'est quelque chose qui nous caractérise comme individu, qui nous est propre! C'est totalement loufoque de proposer ce genre de choses. »

    « Je me dis que ça serait plate, après avoir eu le même nom pendant 33 ans, de le changer, souligne Éric. Et tout ça, pour m'éviter des problèmes avec les policiers. Ce n'est même pas de ma faute finalement. »

    « J'ai juste 23 ans. Il me reste encore bien des années devant moi. Je n'ai pas envie d'avoir des problèmes avec ça toute ma vie », termine Sébastien.

    En conclusion

    Éric n'est pas au bout de ses peines. Il a reçu une amende de 447 $ par la poste pour une infraction qu'il n'a évidemment jamais commise, un bris de probation. Une fois de plus, il devra prouver qu'il n'est pas le Éric qu'on recherche, cette fois auprès du service de perception des amendes du Québec.

    Par contre, bonne nouvelle pour Sébastien. Après six mois d'attente, il a enfin reçu le certificat de la GRC attestant qu'il n'a pas de casier judiciaire. Il doit l'avoir sur lui chaque fois qu'il se déplace.



    Haut de la page



    * Radio-Canada n'est aucunement responsable du contenu des sites externes