Émission 244

Le mardi 25 mars 2003


Une des conséquences de la menace d'une guerre a été de faire grimper le prix du pétrole à des sommets jamais atteints. On s'en est aperçu autant à la pompe des stations-service que dans les livraisons de mazout, ce qu'on appelle couramment « l'huile à chauffage ». Mais certains consommateurs avaient profité, l'automne dernier, d'une offre de certains vendeurs de mazout pour signer un contrat avec un prix plafond. Ils se croyaient protégés, jusqu'au jour où le plafond leur est tombé sur la tête.

 

Le prix du mazout augmente, le fournisseur refuse de respecter le prix plafond

Une dame, qui a pris un contrat de livraison de mazout du mois d'août au mois de mai 2003 au taux de 41,9 cents le litre, est à couteaux tirés avec son fournisseur de mazout. L'entreprise refuse de respecter le contrat signé l'automne dernier. On garantissait à cette cliente un prix maximum de 41,9 cents pour chacun des litres de mazout achetés, et si les prix baissaient, l'entreprise allait livrer le mazout au prix du marché.

Un autre client, qui a lui aussi signé un contrat de livraison de mazout avec un autre fournisseur, vit la même situation. L'accord prévoit que le prix du mazout variera selon les fluctuations du marché, jusqu'à un prix maximum de 41,9 cents le litre. « Je trouvais que c'était probablement une assurance d'avoir un prix maximum avec tout ce qui se passe présentement sur le marché en regard de l'huile ».

Ces consommateurs ont eu du flair. Peu de temps après la signature de leur contrat, la grève générale au Venezuela et la menace de guerre en Irak ont fait grimper le prix du baril de pétrole. Ils ont eu quelques livraisons où le prix maximum s'est appliqué, mais la situation a changé au mois de février 2003.

Un des clients reçoit un appel de son fournisseur, qui lui affirme qu'il ne livre plus à 41,9 cents le litre, qu'il n'y a plus aucune compagnie qui respecte ce tarif, parce qu'on est en temps de guerre et que c'est impossible de livrer à ce prix. « Et là, je lui ai dit : “Écoute, on a un contrat signé, il me semble qu'il faut que tu le respectes”. »

Le fournisseur de mazout est catégorique, il n'avait plus le choix. Il invoque les prix du marché et la situation exceptionnelle. Ce fournisseur a finalement livré du mazout à son client au tarif de 56,9 cents le litre. « J'ai payé la facture, mais j'ai payé la facture au prix du contrat, qui était de 41,9 cents maximum. »

 

Les fluctuations du marché

Pour mettre fin à ce prix maximum auquel il s'était engagé, le fournisseur invoque une autre clause contradictoire qui stipule que le prix est sujet aux fluctuations du marché.

L'Association québécoise des indépendants du pétrole appuie son membre. René Blouin, pdg de l'Association : « Il fallait, bien sûr, pour déroger à ce prix maximum, que les conditions du marché soient exceptionnelles, or les conditions sont cette année exceptionnelles, c'est du jamais vu ». Il n'est toutefois pas écrit dans le contrat du client que, pour déroger au contrat en regard du prix, il faut que les conditions du marché soient exceptionnelles.

Le client s'accroche à sa clause de prix maximum de 41,9 cents le litre, alors que le fournisseur s'appuie sur sa clause de fluctuation du marché. Qui a raison? La Facture a soumis la question à Pauline Roy, professeure de droit à l'Université de Montréal.

« Je pense que, dans le contexte des dernières années, la fluctuation n'est pas quelque chose qui est imprévisible. À ce moment-là, c'est à eux (les fournisseurs) de ne pas mettre de prix plafond. […] Dans la mesure où on met une clause disant qu'il va y avoir un maximum, en toute situation, c'est cette clause-là qui prévaut. Parce que cette clause, qu'est-ce qu'elle a comme effet? Elle a comme effet d'attirer le consommateur qui veut se prémunir contre les fluctuations. » Selon Mme Roy, les contrats de consommation ou d'adhésion sont interprétés en faveur du consommateur. « C'est prévu au Code civil et c'est prévu dans la Loi sur la protection du consommateur. »

 

Les fournisseurs refusent de livrer le mazout

Malgré un contrat qui stipule que le prix du mazout sera égal au prix du marché jusqu'à concurrence de 41,9 cents le litre, le fournisseur veut tout de même facturer le mazout au-delà du prix plafond. Ce fournisseur aurait demandé, selon la cliente, une lettre signée dans laquelle elle s'engage à payer 52,9 cents le litre si elle veut obtenir une livraison. Ce qu'elle a refusé.

Contre toute attente, le fournisseur achemine la marchandise au prix convenu, mais ce sera sa dernière livraison.

Par la suite, la cliente a reçu une lettre de l'entreprise annonçant qu'elle mettait un terme à son contrat. L'entreprise précise que les conditions exceptionnelles du marché pétrolier ne lui permettent plus d'offrir du mazout au tarif de 41,9 cents le litre. Le fournisseur allègue la flambée des prix du pétrole pour rompre le contrat. Mais il n'y aurait pas que les conditions du marché pour mettre fin au contrat. Selon le fournisseur, c'est la cliente elle-même qui aurait modifié les termes du contrat, puisqu'elle a demandé que sa livraison ne se fasse plus en mode automatique mais sur demande. Le fournisseur précise qu'à partir de ce moment, le contrat n'était plus valable.

Pourtant, lorsque cette cliente a demandé une livraison à la demande, le fournisseur a accepté de lui livrer du mazout, tout en respectant le prix plafond inscrit au contrat. C'est au moment où le prix du pétrole connaît une flambée que l'entreprise se ravise. « C'était un privilège qu'on lui accordait. À un moment donné, des privilèges, on a le droit d'arrêter d'en donner. Quand c'est trop, c'est trop! »

Pauline Roy, de l'Université de Montréal, dénonce la façon de faire du fournisseur. « S'il ne voulait pas accepter de livrer sur appel parce qu'il ne pouvait plus respecter le prix plafond, c'était à lui de le dire au point de départ, mais il ne peut pas, en cours de route, changer les règles du jeu. »

Dans le cas de l'autre client, le fournisseur lui a fait parvenir une lettre lui disant qu'il ne pourra poursuivre les livraisons de mazout et qu'il devra prendre des arrangements pour s'approvisionner ailleurs. Ce client s'est approvisionné auprès d'une autre entreprise. Il a payé son mazout 64,9 cents le litre. En payant 64,9 cents le litre au lieu des 41,9 prévus au contrat, ce client calcule qu'il lui en coûte presque 200 $ de plus par livraison. Il compte bien poursuivre le fournisseur à la Division des petites créances de la Cour du Québec pour ce surplus.

L'expérience de la hausse vertigineuse des prix du pétrole conjuguée à des contrats à prix plafond pourrait bien, la saison prochaine, dissuader les petits détaillants de signer ce genre d'entente.

Pauline Roy, professeure de droit à l'Université de Montréal, affirme qu'on ne peut pas avoir le beurre, l'argent du beurre et le sourire de la fermière. « Alors, si on veut mettre une clause maximum et attirer la clientèle avec la clause maximum, on doit la respecter et non pas mettre une clause maximum pour attirer la clientèle, l'oublier et, quand ça va mal, prendre la clause en tout petits caractères qui nous dit qu'on peut faire ce qu'on veut! »

Après le passage de La Facture, un des deux fournisseurs de ce reportage a offert à son client de lui vendre son mazout à 48 cents le litre. Le client a refusé et il a l'intention, lui aussi, de faire valoir ses droits à la Division des petites créances. Quant aux consommateurs qui avaient signé des ententes fermes avec les grandes pétrolières, ces grosses compagnies auraient moins de difficulté à respecter les contrats, puisqu'elles ont une capacité d'achat plus grande, et donc les reins plus solides.

 


 

 

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