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Émission
243 |
Le
mardi 18 mars 2003
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Le chiffre est impressionnant.
Chaque année au Québec, on dénombre près
de 30 000 délits de fuite. Lorsqu'on est victime d'un chauffard
et que notre assurance privée ne nous couvre pas pour nos propres
dommages, on peut demander une indemnisation à la Société
d'assurance automobile du Québec. C'est ce qu'a tenté
de faire une résidente de Laval. À sa grande surprise,
elle a constaté que la SAAQ a une conception plutôt particulière
de ce qu'est un délit de fuite.
Victime
d'un délit de fuite
À
22 ans, Karine s'offre la voiture de ses rêves. Une Cavalier Z-24,
décapotable, 1992. Le 29 juillet 2002, Karine se rend dans un
centre commercial de Laval. Alors qu'elle s'apprête à stationner,
un autre véhicule heurte sa voiture. La conductrice fautive sort
de son véhicule et discute avec Karine. Quand Karine décide
de faire le 911 pour prévenir le service de la police, l'autre
conductrice remonte à bord de son véhicule et quitte le
stationnement à toute vitesse.
Karine
devient, à partir de ce moment, victime d'un délit de
fuite. « Quand elle s'est sauvée, on a réussi
à prendre les trois premières lettres de la plaque, mais
le reste, avec le mouvement du véhicule et la vitesse, on n'a
pas eu le temps. »
À première
vue, les dommages semblent mineurs, mais ils s'élèvent
tout de même à plus de 2000 $. Karine ne peut débourser
ce montant. Elle contacte alors Desjardins, sa compagnie d'assurances.
Même si elle n'est pas assurée pour ses propres dommages,
Karine aurait pu être indemnisée par Desjardins.
La
règle veut que tout automobiliste qui n'est pas responsable de
l'accident et qui est assuré d'un seul côté soit
indemnisé par sa compagnie d'assurances, à condition de
fournir l'identité de l'autre véhicule impliqué
dans l'accident. Cette dernière condition manque à Karine
pour que Desjardins puisse l'indemniser.
L'autre solution
pour Karine est de contacter la Société de l'assurance
automobile du Québec. La SAAQ peut verser aux victimes de délits
de fuite des indemnités pour les dommages matériels. Tout
automobiliste y a droit, à condition d'être victime d'un
délit de fuite et de ne pas être assuré pour ces
dommages, donc d'être assuré d'un seul côté.
Mais, alors que les assureurs privés exigent l'identité
du responsable de l'accident, il faut, pour être indemnisé
par la SAAQ, avoir été dans l'impossibilité de
découvrir l'identité de l'automobiliste fuyard. Parce
qu'elle répond à toutes ces conditions, Karine envoie
sa réclamation à la SAAQ.
La
SAAQ refuse de l'indemniser
Peu
de temps après, elle reçoit une première lettre
dans laquelle la SAAQ refuse sa demande d'indemnisation. La SAAQ précise
qu'elle a omis d'identifier la partie responsable de l'accident lorsqu'elle
avait la possibilité de le faire.
Aidée
par son père, Karine en appelle de la décision de la
SAAQ. Elle essuie un deuxième refus. Elle s'adresse alors au
bureau des plaintes de l'organisme. Elle obtient encore un refus.
Selon le père de la jeune femme, sa fille est victime d'une
injustice. « Karine est victime. Personne ne l'a
nié, c'est une victime. On la fait presque sentir coupable
parce qu'elle n'a pas eu le temps de prendre le numéro de la
plaque. »
Claude
Gélinas, directeur des services juridiques à la SAAQ,
explique ce qui a motivé le rejet de la demande de Karine.
« Elle avait la possibilité de parler
[à l'autre
automobiliste], elle avait la possibilité également
d'identifier la plaque d'immatriculation. Elle a eu le temps de le
faire, elle ne l'a pas fait, c'est son choix. »
La
SAAQ reproche à Karine de ne pas s'être déplacée
à l'arrière du véhicule fautif, après
la collision. Selon M. Gélinas, quand il y a un accident d'automobile,
la première chose à laquelle on pense, c'est de prendre
le numéro d'immatriculation de la personne qui nous a frappé.
Michel
Cyr, avocat spécialisé dans la défense des accidentés
de la route, ne partage pas cette opinion. « Un citoyen
raisonnable, qui dans l'énervement va sortir de son véhicule,
tenter de regarder les dégâts et de [se demander] si
lui-même ou des passagers ont été blessés,
ensuite discuter avec le conducteur de l'autre véhicule... »
En plus du problème
d'identité du chauffard, la SAAQ semble avoir de la difficulté
à déterminer la nature de l'accident dont Karine a été
victime. À la question de savoir s'il s'agit d'un délit
de fuite si la tierce personne quitte les lieux d'un accident, le
représentant de la SAAQ affirme que, normalement, quand une
personne quitte les lieux d'un accident, il s'agit d'un délit
de fuite. La SAAQ reconnaît donc que l'accident de Karine est
bel et bien un délit de fuite. Toutefois, si Karine fournit
l'identité de la tierce partie, la SAAQ confirme qu'elle ne
l'indemnisera pas parce qu'il ne s'agira plus d'un délit de
fuite.
Y
a-t-il eu délit de fuite dans cette affaire?
La SAAQ reproche
à Karine de ne pas lui fournir l'identité de la personne
qui a embouti son véhicule, mais si elle la fournit, la SAAQ
ne l'indemnisera pas davantage. Selon M. Gélinas, de la SAAQ,
« c'est elle qui a le fardeau de nous démontrer
qu'il s'agit réellement d'un délit de fuite; ce n'est
pas à nous ».
Karine
s'étonne que la SAAQ ne reconnaisse pas qu'elle est victime
d'un délit de fuite. D'autant plus que le Service de police
de Laval traite le dossier comme un délit de fuite. Voici ce
que l'agent Guy Lajeunesse en dit : « L'autre
conductrice a fui les lieux, a fui ses responsabilités de conductrice,
à savoir s'identifier avec un permis de conduire valide, preuve
d'immatriculation valide, certificat d'assurance valide. Alors, à
ce moment-là, c'est un délit de fuite pour la police
de Laval ».
L'avocat Michel
Cyr croit que la SAAQ refuse d'indemniser Karine pour des motifs de
gestion. « La Société de l'assurance
automobile est un organisme qui force souvent les accidentés,
que ce soit pour des dommages corporels, et donc matériels,
comme en l'espèce, à poursuivre. »
En
attendant, le Service de police de Laval poursuit son enquête.
Si le véhicule de la fuyarde est retrouvé, et parce
que Karine n'est pas responsable de l'accident, les Assurances Desjardins
l'indemniseront. Toutefois, avec uniquement une brève description
du véhicule et les trois premières lettres de la plaque,
ce ne sera pas chose facile. Les policiers de Laval ont répertorié
112 plaques d'immatriculation possibles.
Karine trouve
la situation ridicule. « Je trouve que ça
n'a aucun bon sens d'avoir à se battre comme ça. Les
preuves sont là, je ne comprends pas comment ils peuvent rendre
des verdicts comme ça. »
Tout cela est
complètement absurde. Le Service de la police de Laval reconnaît
qu'il s'agit d'un délit de fuite. L'assureur également.
La SAAQ ne peut pas nier qu'elle ait été victime d'un
délit de fuite, mais considère qu'elle a été
négligente en ne faisant pas tout pour identifier la fuyarde.
Résultat : personne ne paye. C'est donc un juge qui va
décider. Karine inscrira une requête contre la SAAQ à
la Division des petites créances de la Cour du Québec.
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