Émission 241

Le mardi 4 mars 2003


Il est possible de pirater des signaux satellites pour capter gratuitement des chaînes de télévision. D'ailleurs, il y a actuellement une guerre contre ces voleurs de signaux. Mais comme dans toute guerre, il y a des dommages collatéraux. Deux citoyennes de la banlieue sud de Montréal sont très attachées à leur pays d'origine, le Maroc et le Liban. Depuis quelques mois, elles ont l'impression d'être témoins et victimes d'une chasse aux sorcières qui a commencé sur le toit de leur maison. Une enquête de La Facture dont les résultats sont étonnants.

 

Accusées de pirater des signaux satellites

En novembre 2002, l'industrie de la télévision convoque les médias et annonce qu'elle part en guerre contre le piratage des ondes. Les utilisateurs de cartes à puces sont dans la mire de la coalition contre le vol de signaux satellites. Faciles d'accès sur Internet, ces cartes à puces permettent aux propriétaires d'une soucoupe et d'un décodeur de capter gratuitement des centaines de chaînes télévisées du Canada et des États-Unis. Pour contrer le phénomène, des saisies sont effectuées dans des commerces et des résidences.

 

À cause de sa télévision qui capte des dizaines de chaînes étrangères, une citoyenne d'origine marocaine va se retrouver en plein cœur de cette guerre au piratage.

« Je suis ici depuis 18 ans. Je veux garder contact avec mes origines, et c'est aussi pour être au courant de ce qui se passe à travers le monde, que ce soit dans le monde arabe ou ailleurs. »

Une autre citoyenne, d'origine libanaise, celle-là, regarde, elle aussi, la télévision du Moyen-Orient. Pour capter ces chaînes, elles se sont acheté un récepteur et un vieux modèle de soucoupe Star Choice vendus légalement au commerce de Fayez Bilal, gérant de la compagnie Star Sat. Elles ont payé l'ensemble près de 700 $, mais elles n'ont pas eu besoin de s'abonner à l'un des distributeurs canadiens de signaux satellites pour capter les émissions du Moyen-Orient.

 

Des antennes disparaissent

Selon Fayez Bilal, il est possible des capter un grand nombre de chaînes avec ces soucoupes. « On peut capter 19 chaînes arabes, 12 à 13 chaînes iraniennes, 2 turques, 7 à 8 chinoises, 1 roumaine et une autre yougoslave. ».

Ces signaux sont envoyés gratuitement par des dizaines de chaînes étrangères. Ils sont relayés par le Telstar V, l'un des 285 satellites de télécommunication en orbite autour de la terre. Pour capter ces signaux en Amérique du Nord, les soucoupes résidentielles doivent pointer précisément en direction de ce satellite. Il y a six mois, une des clientes de M. Bilal recevait clairement les émissions diffusées en langue arabe, jusqu'au jour où on lui a retiré sa soucoupe.

« Le technicien était allé installer un système satellite pour le voisin, et il est parti avec mon antenne. Il est peut-être parti avec l'antenne parce qu'il a vu le nom de son entreprise dessus. […] Il m'a laissé une note comme quoi je devais appeler Star Choice pour être servie à nouveau. ».

Ces téléspectatrices d'origines libanaise et marocaine habitent toutes les deux à Longueuil, mais pas dans le même immeuble à logements. Elles ont toutefois perdu leur antenne dans des circonstances similaires. Un technicien de Star Choice s'est présenté à leur domicile pour brancher un nouveau client. Croyant qu'elles étaient déjà clientes, l'employé a changé leur vieille soucoupe pour y mettre un modèle plus récent, orienté vers le satellite de Star Choice. Mais en faisant cela, elles ont perdu le signal provenant du Telstar V.

La dame d'origine marocaine n'était pas une cliente de Star Choice. Elle avait acheté sa soucoupe ailleurs et ne recevait pas, précise-t-elle, de signaux provenant de Star Choice. Le technicien ignorait que cette dame n'était pas une cliente. Star Choice refuse depuis six mois de lui remettre sa soucoupe.

« Ils m'ont dit : "Est-ce que vous payez un montant mensuel ?" J'ai dit que non, que je n'avais pas d'abonnement. Je ne paie rien mensuellement et, automatiquement, pour eux, c'est illégal, c'est du piratage. Ils ont dit à ma sœur : "Vous n'avez pas le droit, c'est voler, c'est pirater" »

Dans une entrevue téléphonique, un représentant de Star Choice a répété à La Facture ces accusations. « On est allé installer [les soucoupes des résidents d'un] bloc d'appartements à Longueuil, il y avait une vieille antenne Star Choice ronde et il fallait mettre une nouvelle antenne sur le toit pour [d'autres] consommateurs du bloc. Alors, c'est ce que notre équipe d'installateurs a fait. Naturellement, pour bien faire, ils ont dit : "On va enlever la vieille antenne ronde, qui est désuète, on en fait même plus, et on va mettre la nouvelle soucoupe elliptique, celle qui est ovale." Puis, un coup que tout a été branché, réinstallé, pour ne pas faire de nouveaux trous dans le building, on pensait bien faire, on a rebranché la dame, sauf que la dame, elle pirate des signaux satellites. »

Selon la locataire de l'immeuble, son équipement est légal. « Oui, sans problème, absolument, parce que le vendeur, quand je voulais acheter [la soucoupe], m'avait dit que c'était légal et qu'il n'y avait pas de problème. » Selon cette dame, ce qui est illégal, c'est de pirater une chaîne. Mais placer une antenne et un récepteur pour recevoir des chaînes gratuitement, c'est tout à fait légal et c'est le droit de chacun.

 

Selon Industrie Canada, il n'y a pas de piratage

Industrie Canada est le ministère responsable de l'application de la loi sur les signaux satellites. L'article 9-1C de la Loi sur la radiocommunication est clair. Il stipule qu'il est interdit de décoder un signal d'abonnement sans l'autorisation du distributeur. Toutefois :

Michel Clavette d'Industrie Canada : « L'article 9-1C vise simplement les signaux d'abonnement. Il existe une autre catégorie de signaux qui sont disponibles en clair. En anglais on appelle ça "Free to air", ça veut dire qu'ils sont libres de réception, ce sont des signaux dans le monde satellite qui sont similaires à ce que l'on retrouve dans la télé conventionnelle avec des oreilles de lapin, on ne paye pas, on n'est pas obligé de payer un câblodistributeur ou un distributeur de télévision satellite pour recevoir des signaux de télévision conventionnels. […] Si on capte seulement les signaux disponibles en clair, donc sans abonnement, il n'y a pas de piratage. Il n'y a pas d'infraction à la Loi sur la radiocommunication. »

Le représentant de Star Choice voit la chose autrement. «Elle se servait de notre équipement, mais pas tout l'équipement, une partie de notre équipement, pour prendre. On appelle ça du "Free to air", ce sont les postes asiatiques aux États-Unis, des postes piratés. »

La dame d'origine marocaine est outrée. « Ils me faisaient sentir comme quelqu'un qui avait fait quelque chose de mal, comme si je faisais quelque chose d'illégal. Je devais me taire et eux, ils ne feraient rien, c'est-à-dire qu'ils n'iraient pas me dénoncer… Ils m'ont fait sentir ça, moi j'ai dit : "Non, je suis sûre que c'est légal, je ne lâcherai pas". »

Le commerçant d'antennes ajoute. « Même les gens ont peur. Les clients ont peur d'acheter, quand je propose ça. Mon autre commerce a été beaucoup affecté par ces rumeurs parce que les gens ont peur. Chaque fois qu'on me pose la question, ils disent qu'ils ont entendu que les employés de ce distributeur de signaux satellites faisaient la loi. »

 

Star Choice a refusé d'accorder une entrevue à La Facture à la caméra. À la suite de l'appel de La Facture, l'entreprise a décidé de redonner une soucoupe à la dame d'origine marocaine. Malgré cela, Star Choice persiste à voir du piratage dans la captation de signaux non encodés.

« On va lui trouver une antenne, qui n'aura pas le nom de Star Choice dessus, et on va la lui donner, et si elle veut la faire installer, on va couvrir les frais d'installation. On va couvrir [les frais], ne soyez pas inquiet, sauf que le lendemain, la madame, elle va être dénoncée pour piraterie de signaux satellites. On se bat contre ça, on paye des millions aux journaux et à la télévision pour dénoncer ça parce que c'est un vol d'argent pour tous les programmeurs, que ce soit Astral ou Radio-Canada. »

 

S'agit-il de piratage ou de chasse aux sorcières ?

Pour M. Bilal, l'industrie aurait intérêt à refaire ses devoirs avant de poursuivre ses clients. « Moi, ce que j'aimerais, c'est que l'affaire soit plus claire dans la loi canadienne, que ça soit diffusé, que ça soit écrit partout pour que les gens, les citoyens et les installateurs prennent connaissance de ça. Il faut vraiment que ce soit clair. »

Quant à la citoyenne d'origine libanaise, elle attend depuis deux mois que Star Choice lui redonne, à elle aussi, sa soucoupe. Ce qui lui permet, entre-temps, dit-elle, de redécouvrir la télévision locale et d'apprendre le français.

Star Choice a finalement offert à la dame de lui remettre sa soucoupe et de payer les frais d'installation. Quant à M. Bilal, il ne vend plus les vieilles soucoupes d'entreprises connues. Comme il a trouvé l'usine qui les fabrique, il vend maintenant des soucoupes sans nom ! À retenir donc : la captation des signaux satellites étrangers non brouillés est tout à fait légale.

 


 

 

Vos commentaires et suggestions