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Émission
240 |
Le
mardi 25 février 2003
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Depuis des années,
La Facture reçoit des appels de téléspectateurs
dénonçant des fraudeurs qui agissent à partir du
Nigeria, en Afrique. À l'origine, les gens recevaient la sollicitation
par lettres, puis par télécopies. Maintenant, ce sont
des courriels qui servent d'appâts aux futures victimes. Jusqu'à
maintenant, personne n'avait voulu parler de son cas à la caméra.
Finalement, un jeune homme de la région de Bellechasse, au sud
de Québec, a accepté de raconter son histoire à
La Facture.
Une
arnaque de 25 000 $
Un homme de 26 ans,
habitant le village de Saint-Philémon près de Québec,
reçoit dans son courrier électronique une proposition
d'affaires d'un inconnu du Nigeria.
« Au
début septembre, j'ai reçu un courriel qui venait d'un
docteur nigérian qui demandait de l'assistance pour transférer
18,5 millions de dollars de la Banque centrale du Nigeria à un
compte qu'une personne était prête à fournir. [
]
J'ai mordu à l'hameçon. J'ai envoyé mon numéro
de compte et je croyais que ça allait marcher, mais ça
n'a pas marché. Tout ce que j'ai eu, ce sont des problèmes. »
Son expérience
avec ce docteur l'entraînera dans une saga qui va lui coûter
très cher. Des cas comme le sien, la Gendarmerie royale du Canada
en voit tellement qu'elle a dû créer une section spéciale
à Montréal pour lutter contre ce qu'il est maintenant
convenu d'appeler la « Fraude nigériane ».
La
GRC rapporte qu'il y a eu, l'année dernière au Québec,
23 victimes de fraude, qui ont perdu pour près de neuf millions
de dollars. Au Canada, l'année dernière, au moins 33
millions de dollars se sont envolés en fumée. À
l'échelle de la planète, les pertes en dollars se comptent
par milliards. L'enquêteur de la GRC, Sylvain L'Heureux, précise :
« Il y a des millions de personnes dans le monde
qui reçoivent ces messages-là chaque jour. [
]
C'est un peu comme aller à la pêche. On tire le filet,
puis quand on le remonte, on va voir combien on a de poissons dedans ».
Règle
générale, la fraude débute par un simple courrier
électronique. Dans ce cas-ci, il part de Lagos, au Nigeria,
et il est envoyé au Québec, à Saint-Philémon.
Le contact nigérian explique au résident de Saint-Philémon
que son compte à la Caisse populaire servira à faire
transiter 18,5 millions de dollars, qui doivent être blanchis
à l'extérieur du Nigeria. Pour le remercier de ses services,
il pourra garder 25 % de cette somme, soit plus de quatre millions
de dollars.
Le
docteur nigérian lui raconte que ce sont des têtes dirigeantes
de la Nigerian National Petroleum Corporation qui ont détourné
cette fortune dans un compte à la Banque centrale du Nigeria.
Avec le jeune homme de Saint-Philémon comme prête-nom,
l'argent subtilisé à la compagnie pétrolière
pourra légalement être expédié à
l'étranger. Tout cela est faux, mais le complice québécois
ne le sait pas encore.
Confiant, il veut aller de l'avant avec cette transaction : « Je
n'avais rien à perdre, j'avais besoin d'argent. Je voyais peut-être
là le moyen rapide d'en faire ».
Pour
s'assurer que le poisson est bien accroché, les fraudeurs envoient
des documents officiels avec sceaux et signatures. Ils prétendent
même avoir créé une compagnie pétrolière
au nom de l'homme de 26 ans. Selon
la GRC, les victimes sont, pour la plupart, des gens de milieux professionnels
reconnus comme des médecins, des avocats et des hommes d'affaires.
Le
complice de Saint-Philémon est justement copropriétaire
d'une petite entreprise. « La
compagnie que je possède avec deux autres personnes est en
difficulté financièrement, et on avait absolument besoin
d'argent. Et c'est encore le cas. C'est ce qui m'a fait avancer. »
Si la combine
fonctionne, ce résident de Saint-Philémon sera le plus
riche de son village avec ses quatre millions de dollars de commission.
Une opération sans risque, lui a-t-on promis. Il n'aura rien
à payer de sa poche pour que la Banque centrale du Nigeria
procède au transfert dans son compte.
« La
Banque centrale du Nigeria m'a envoyé un papier comme quoi
le paiement avait été approuvé, et il restait
juste à payer certains frais pour que l'argent soit viré
dans mon compte. »
Le
piège se referme
Des frais non
prévus apparaissent tout à coup. Mais pas de problème,
lui dit-on. Pour payer ces frais, le complice québécois
n'a qu'à communiquer avec un complice de la filière
nigériane à Toronto. Ce contact a trouvé un investisseur
canadien et un chèque est alors expédié à
Saint-Philémon. Le jeune homme demeure le prête-nom et
n'a, comme prévu, rien à débourser.
« Le
samedi matin, je vais au bureau de poste ramasser l'enveloppe et il
y avait un chèque de 25 500 $ d'une compagnie du
Québec. [
] Je vais voir sur Internet si la compagnie
existe. Je vois que la compagnie existe. »
L'investisseur,
cette compagnie du Québec, existe vraiment, et son siège
social est situé à Boucherville, près de Montréal.
« J'ai
un chèque de 25 500 $, ça va marcher mon affaire. »
Ce chèque
de 25 500 $ servira donc à payer les frais à
la Banque centrale du Nigeria et permettra de faire avancer la transaction.
« Le
lundi matin, en m'en allant travailler, je passe au guichet pour déposer
le chèque. »
Quelques
jours plus tard, il retourne à la caisse et l'argent est disponible
dans son compte. Il a reçu la directive de transférer
électroniquement 23 000 $ vers un compte à
l'étranger, afin, pense-t-il toujours, de payer les frais.
Les employés de la caisse l'informent que cette transaction
est risquée. Le complice québécois préfère
écouter ses interlocuteurs du Nigeria. L'argent
quitte alors Saint-Philémon pour une banque de l'autre côté
de l'Atlantique, à Riga en Lettonie, au bord de la mer Baltique.
Le bénéficiaire de cette transaction est une compagnie
qui a sa succursale sur l'île de Tortola, dans l'archipel des
îles Vierges britanniques, dans la mer des Antilles.
Début
des problèmes pour le jeune homme de Saint-Philémon
L'entreprise de
Boucherville, qui devait prétendument payer les frais, n'a
jamais accepté de participer à une telle histoire. Elle
est victime des fraudeurs du Nigeria. « Ce chèque
a été envoyé à une entreprise d'Etobicoke
en Ontario. [
] Et le montant qu'on retrouvait dessus était
6722 $. »
C'est
après le vol d'un sac de courrier dans un camion de Postes
Canada à Toronto que le chèque de l'entreprise de Boucherville
se retrouve entre les mains des fraudeurs nigérians. Ils le
falsifient habilement et l'expédient au jeune homme de Saint-Philémon,
qui le dépose dans son compte. Aujourd'hui, le jeune homme
est responsable d'avoir déposé un faux chèque
et il veut savoir pourquoi la caisse l'a accepté. Il s'attendait
à ce que la Caisse populaire s'assure de l'authenticité
du chèque.
L'argent du faux
chèque est maintenant entre les mains des fraudeurs et Desjardins
réclame au complice québécois les 25 500 $.
La caisse affirme qu'elle a avancé l'argent au jeune homme
parce qu'il est un membre connu et reconnu de l'institution, et que,
sur la foi de sa valeur financière, la Caisse a rendu disponible
le montant demandé. Desjardins n'a pas vérifié
le chèque au moment du dépôt. Mais cette façon
de faire est conforme aux règles, qui prévoient que
les institutions financières ont 90 jours pour vérifier
l'authenticité d'un chèque, annuler une transaction
et récupérer l'argent auprès de l'endosseur si
nécessaire.
En désespoir
de cause, le complice québécois a téléphoné
au Nigeria pour tenter de récupérer son argent. On lui
a répondu : « Oui, bien sûr, sans
problème », mais il attend toujours.
« Je
me suis fait avoir royalement, et je me disais que je ne me ferais
jamais avoir dans ce genre d'affaires, et j'ai été le
premier à me faire prendre. »
Dénouement
incroyable
Le jeune homme
a été très chanceux. Peu de temps après
l'entrevue accordé à La Facture, après
de nombreux efforts, Desjardins a réussi à retrouver
l'argent. Les 25 500 $ étaient restés gelés
dans un compte en Lettonie, et ils ont pu être rapatriés
au Québec. Ce résident de Saint-Philémon ne doit
plus rien à sa caisse, et il ne rêve surtout pas de prendre
des vacances au Nigeria !
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