Les
faits :
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«C'est
un rêve de jeunesse, j'ai toujours voulu être policier.»
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Étienne
Lachaîne est agent des services correctionnels mais ce n'est
pas son premier choix de carrière.
Depuis cinq ans,
Étienne Lachaîne essuie refus après refus chaque
fois qu'il pose sa candidature comme policier au Québec. Il
a réussi une formation en techniques policières, mais
ses études ne sont pas reconnues au Québec.
À défaut
d'être admis au cégep de Hull en raison du manque de
places, Étienne Lachaîne s'inscrit, en 1995, à
la Cité collégiale d'Ottawa, au nouveau programme Administration
de la loi et de la sécurité.
«J'étais
autorisé à aller étudier à Ottawa tout
en bénéficiant des prêts et bourses du gouvernement
du Québec, du ministère de l'Éducation du Québec.»
Il décide
de quitter son emploi de cadre et tente sa chance à Ottawa.
En 1997, à quelques mois de la fin de sa formation, une rumeur
commence à circuler dans l'école. Des étudiants
postulent des emplois et leur formation ne semble pas être reconnue.
En
1995, Étienne Lachaîne avait pourtant assisté
à une journée d'information préalable à
son admission à la Cité collégiale d'Ottawa.
M. Lachaîne affirme que le chargé de programme lui avait
dit de ne pas s'inquiéter parce qu'il était financé
par des prêts et bourses du gouvernement du Québec. La
direction de la Cité collégiale aurait tenté
de mettre les étudiants en confiance.
«Ils
nous disaient, précise Étienne Lachaîne, "sous
peu ça va être reconnu, il y a des démarches de
faites, il y a des pourparlers avec le Québec".»
Étienne
Lachaîne n'est pas seul à vivre cette angoisse. Stéphane
Bell, un confrère de classe, se contente, lui aussi, depuis
la fin de ses études d'un emploi connexe au travail de policier.
Il est constable spécial dans un palais de justice.
«Je
viens de perdre deux ans de ma vie.»
Stéphane
Bell a fait signer une pétition par plus d'une cinquantaine
de confrères de classe québécois. Ils sont tous
confrontés à la non-reconnaissance de leur formation.
Manifestement, le milieu de l'éducation et le milieu policier
ne se sont pas concertés dans ce dossier. Le gouvernement du
Québec aurait accordé des prêts et bourses en
s'appuyant simplement sur le fait que la Cité collégiale
est un établissement francophone et voisin du Québec.
De
la confusion parmi les étudiants
Bernard Frenette,
porte-parole de l'aide financière aux étudiants du ministère
de l'Éducation : «Notre mandat à nous, c'est
d'aider les étudiants qui font des études, point!»
Étienne
Lachaîne : «J'ai parlé une fois à
la personne chargée des plaintes au MEQ et elle m'a répondu
qu'ils ont fait une erreur dans ce dossier-là, qu'ils n'auraient
pas dû financer mes études.»
La
Cité collégiale aurait aussi entretenu la confusion
chez ses étudiants. Jacques Surprenant, le nouveau coordonnateur
du programme Technique des services policiers à la Cité
collégiale d'Ottawa, n'est pas d'accord. Selon lui, les candidats
au programme étaient mis au courant, lors des séances
d'information, que la formation à la Cité collégiale
n'était pas reconnue.
Cette information,
qui est de la plus haute importance selon M. Surprenant, n'est pourtant
pas détaillée dans la description du programme.
M. Surprenant
: «Ce n'est peut-être pas tout à fait clair,
écrit noir sur blanc, mais normalement, une personne qui lit
bien le document comprend que son cours n'est pas reconnu au Québec.»
Pourtant,
dans le document remis aux étudiants lors de leur inscription
en 1995, les débouchés se lisaient comme suit : police
fédérale, provinciale, municipale et régionale.
Stéphane
Bell est estomaqué : «Je ne verrais pas l'intérêt
de s'embarquer avec un prêt étudiant, de tout lâcher,
d'arriver très serré financièrement et de m'en
aller là-bas à l'aventure, d'aller suivre un cours et
que le cours ne soit pas reconnu.»
À lui seul,
Étienne Lachaîne a reçu plus de 7500 $ en prêts,
qu'il doit aujourd'hui rembourser. Le trésor public lui a aussi
versé 14 000 $ en bourses.
Étienne
Lachaîne était convaincu qu'il pourrait devenir policier
puisque lui et son groupe ont tous fait un stage dans différents
corps de police québécois! Et il possède d'autres
atouts qui rendent, selon lui, sa candidature intéressante
pour les corps policiers. Il maîtrise les techniques d'orientation
en forêt et il possède les qualifications pour pratiquer
la plongée sous-marine. Mais il lui manque le diplôme
de l'École nationale de police du Québec.
L'École
de police de Nicolet est la clé pour devenir policier au Québec.
Pour être
accepté à l'école, il faut détenir un
diplôme d'études collégiales en techniques policières
du Québec ou être admis sur la foi d'une promesse d'embauche
d'un corps policier. M. Lachaîne n'a pas de DEC et il lui a
été impossible d'obtenir une promesse d'embauche parce
qu'il n'a pas de DEC en techniques policières du Québec.
«C'est
comme un cercle dans lequel je suis pris. Je ne peux aller nulle part
avec ça. C'est une roue sans fin.»
Quand
Étienne Lachaîne a obtenu son diplôme à
la Cité collégiale en 1997, il n'était pas obligatoire
de détenir un DEC en techniques policières du Québec
pour devenir policier dans la province. Le
criminologue André Normandeau de l'Université de Montréal
est directeur d'un groupe de recherche sur la formation des policiers.
«Auparavant,
donc, pendant un siècle, c'était simplement une neuvième
année, ensuite une onzième année, et en 1997,
c'était toujours strictement comme base une 11e année.»
Pourquoi Étienne
Lachaîne n'a-t-il jamais pu se faire engager, si le DEC québécois
en techniques policières n'était pas obligatoire? Il
est écrit dans une directive interne du ministère de
la Sécurité publique qu'on exige des directeurs de police
qu'ils n'embauchent que des finissants en techniques policières
du Québec. Il s'agit d'un véritable boycottage du programme
de la Cité collégiale. La direction de Nicolet voit
la chose autrement.
Claude Champagne
Blais, registraire à l'École nationale de police du
Québec : «Cette lettre-là a été
écrite à la suite des discussions qu'il y a eu entre
les différents intervenants. C'était pour spécifier
le profil qu'on souhaitait avoir à titre de policier.»
La même
année qu'Étienne Lachaîne a obtenu son diplôme,
le gouvernement du Québec a cessé de financer en prêts
et bourses tous les nouveaux étudiants inscrits en techniques
policières à Ottawa. Selon Bernard Frenette, de l'aide
financière aux étudiants, il aurait été
plus simple de ne pas leur donner d'aide.
Pour
satisfaire aux exigences de l'École nationale de police du
Québec à Nicolet, Étienne Lachaîne est
encore prêt à retourner aux études collégiales
pour une période de six mois où se donnent les techniques
policières. Il est également prêt à faire
les 13 semaines requises à Nicolet. Mme
Blais : «Ce n'est pas parce qu'on a suivi deux ans de
formation à l'extérieur qu'une simple année de
formation va compenser.»
Le criminologue
André Normandeau croit que ces étudiants devraient être
acceptés par l'École nationale de police en priorité
puisqu'ils ont attendu plusieurs années avant d'obtenir justice.
Mme Blais : «Il
doit refaire des études collégiales.»
Étienne
Lachaîne est face à une impasse. Il ne sait plus quoi
faire.
En
conclusion
Depuis juin 2000, les normes ont été modifiées.
Pour devenir policier au Québec, il est maintenent obligatoire
de détenir un diplôme d'études collégiales
en techniques policières. Il n'en reste pas moins que le ministère
de l'Éducation du Québec a versé pas moins de
700 000 $ en prêts et bourses au groupe d'étudiants québécois
dont faisait partie Étienne Lachaîne, qui se cherche
toujours un emploi.