Émission 237

Le mardi 4 février 2003



Étudiants policiers sans-emplois



Si vous recevez un prêt ou des bourses du gouvernement du Québec, vous en déduisez que c'est parce que le cours auquel vous êtes inscrit est reconnu par les institutions québécoises. Et que, donc, vous pourrez exercer votre métier au Québec. Détrompez-vous!

Étienne Lachaîne, de Blainville, et plusieurs autres étudiants, croyaient bien pouvoir devenir policier lorsqu'ils ont suivi un cours en techniques policières à Ottawa. Aujourd'hui, ils se retrouvent dans un cul-de-sac aussi aberrant qu'insoluble.


Les faits :

«C'est un rêve de jeunesse, j'ai toujours voulu être policier.»

Étienne Lachaîne est agent des services correctionnels mais ce n'est pas son premier choix de carrière.

Depuis cinq ans, Étienne Lachaîne essuie refus après refus chaque fois qu'il pose sa candidature comme policier au Québec. Il a réussi une formation en techniques policières, mais ses études ne sont pas reconnues au Québec.

À défaut d'être admis au cégep de Hull en raison du manque de places, Étienne Lachaîne s'inscrit, en 1995, à la Cité collégiale d'Ottawa, au nouveau programme Administration de la loi et de la sécurité.

«J'étais autorisé à aller étudier à Ottawa tout en bénéficiant des prêts et bourses du gouvernement du Québec, du ministère de l'Éducation du Québec.»

Il décide de quitter son emploi de cadre et tente sa chance à Ottawa. En 1997, à quelques mois de la fin de sa formation, une rumeur commence à circuler dans l'école. Des étudiants postulent des emplois et leur formation ne semble pas être reconnue.

En 1995, Étienne Lachaîne avait pourtant assisté à une journée d'information préalable à son admission à la Cité collégiale d'Ottawa. M. Lachaîne affirme que le chargé de programme lui avait dit de ne pas s'inquiéter parce qu'il était financé par des prêts et bourses du gouvernement du Québec. La direction de la Cité collégiale aurait tenté de mettre les étudiants en confiance.

«Ils nous disaient, précise Étienne Lachaîne, "sous peu ça va être reconnu, il y a des démarches de faites, il y a des pourparlers avec le Québec".»

Étienne Lachaîne n'est pas seul à vivre cette angoisse. Stéphane Bell, un confrère de classe, se contente, lui aussi, depuis la fin de ses études d'un emploi connexe au travail de policier. Il est constable spécial dans un palais de justice.

«Je viens de perdre deux ans de ma vie.»

Stéphane Bell a fait signer une pétition par plus d'une cinquantaine de confrères de classe québécois. Ils sont tous confrontés à la non-reconnaissance de leur formation. Manifestement, le milieu de l'éducation et le milieu policier ne se sont pas concertés dans ce dossier. Le gouvernement du Québec aurait accordé des prêts et bourses en s'appuyant simplement sur le fait que la Cité collégiale est un établissement francophone et voisin du Québec.

De la confusion parmi les étudiants

Bernard Frenette, porte-parole de l'aide financière aux étudiants du ministère de l'Éducation : «Notre mandat à nous, c'est d'aider les étudiants qui font des études, point!»

Étienne Lachaîne : «J'ai parlé une fois à la personne chargée des plaintes au MEQ et elle m'a répondu qu'ils ont fait une erreur dans ce dossier-là, qu'ils n'auraient pas dû financer mes études.»

La Cité collégiale aurait aussi entretenu la confusion chez ses étudiants. Jacques Surprenant, le nouveau coordonnateur du programme Technique des services policiers à la Cité collégiale d'Ottawa, n'est pas d'accord. Selon lui, les candidats au programme étaient mis au courant, lors des séances d'information, que la formation à la Cité collégiale n'était pas reconnue.

Cette information, qui est de la plus haute importance selon M. Surprenant, n'est pourtant pas détaillée dans la description du programme.

M. Surprenant : «Ce n'est peut-être pas tout à fait clair, écrit noir sur blanc, mais normalement, une personne qui lit bien le document comprend que son cours n'est pas reconnu au Québec.»

Pourtant, dans le document remis aux étudiants lors de leur inscription en 1995, les débouchés se lisaient comme suit : police fédérale, provinciale, municipale et régionale. Stéphane Bell est estomaqué : «Je ne verrais pas l'intérêt de s'embarquer avec un prêt étudiant, de tout lâcher, d'arriver très serré financièrement et de m'en aller là-bas à l'aventure, d'aller suivre un cours et que le cours ne soit pas reconnu.»

À lui seul, Étienne Lachaîne a reçu plus de 7500 $ en prêts, qu'il doit aujourd'hui rembourser. Le trésor public lui a aussi versé 14 000 $ en bourses.

Étienne Lachaîne était convaincu qu'il pourrait devenir policier puisque lui et son groupe ont tous fait un stage dans différents corps de police québécois! Et il possède d'autres atouts qui rendent, selon lui, sa candidature intéressante pour les corps policiers. Il maîtrise les techniques d'orientation en forêt et il possède les qualifications pour pratiquer la plongée sous-marine. Mais il lui manque le diplôme de l'École nationale de police du Québec.

L'École de police de Nicolet est la clé pour devenir policier au Québec.

Pour être accepté à l'école, il faut détenir un diplôme d'études collégiales en techniques policières du Québec ou être admis sur la foi d'une promesse d'embauche d'un corps policier. M. Lachaîne n'a pas de DEC et il lui a été impossible d'obtenir une promesse d'embauche parce qu'il n'a pas de DEC en techniques policières du Québec.

«C'est comme un cercle dans lequel je suis pris. Je ne peux aller nulle part avec ça. C'est une roue sans fin.»

Quand Étienne Lachaîne a obtenu son diplôme à la Cité collégiale en 1997, il n'était pas obligatoire de détenir un DEC en techniques policières du Québec pour devenir policier dans la province. Le criminologue André Normandeau de l'Université de Montréal est directeur d'un groupe de recherche sur la formation des policiers. «Auparavant, donc, pendant un siècle, c'était simplement une neuvième année, ensuite une onzième année, et en 1997, c'était toujours strictement comme base une 11e année.»

Pourquoi Étienne Lachaîne n'a-t-il jamais pu se faire engager, si le DEC québécois en techniques policières n'était pas obligatoire? Il est écrit dans une directive interne du ministère de la Sécurité publique qu'on exige des directeurs de police qu'ils n'embauchent que des finissants en techniques policières du Québec. Il s'agit d'un véritable boycottage du programme de la Cité collégiale. La direction de Nicolet voit la chose autrement.

Claude Champagne Blais, registraire à l'École nationale de police du Québec : «Cette lettre-là a été écrite à la suite des discussions qu'il y a eu entre les différents intervenants. C'était pour spécifier le profil qu'on souhaitait avoir à titre de policier.»

La même année qu'Étienne Lachaîne a obtenu son diplôme, le gouvernement du Québec a cessé de financer en prêts et bourses tous les nouveaux étudiants inscrits en techniques policières à Ottawa. Selon Bernard Frenette, de l'aide financière aux étudiants, il aurait été plus simple de ne pas leur donner d'aide.

Pour satisfaire aux exigences de l'École nationale de police du Québec à Nicolet, Étienne Lachaîne est encore prêt à retourner aux études collégiales pour une période de six mois où se donnent les techniques policières. Il est également prêt à faire les 13 semaines requises à Nicolet. Mme Blais : «Ce n'est pas parce qu'on a suivi deux ans de formation à l'extérieur qu'une simple année de formation va compenser.»

Le criminologue André Normandeau croit que ces étudiants devraient être acceptés par l'École nationale de police en priorité puisqu'ils ont attendu plusieurs années avant d'obtenir justice.

Mme Blais : «Il doit refaire des études collégiales.»

Étienne Lachaîne est face à une impasse. Il ne sait plus quoi faire.

En conclusion

Depuis juin 2000, les normes ont été modifiées. Pour devenir policier au Québec, il est maintenent obligatoire de détenir un diplôme d'études collégiales en techniques policières. Il n'en reste pas moins que le ministère de l'Éducation du Québec a versé pas moins de 700 000 $ en prêts et bourses au groupe d'étudiants québécois dont faisait partie Étienne Lachaîne, qui se cherche toujours un emploi.

Hyperliens pertinents :

École nationale de police du Québec

Cité collégiale d'Ottawa

 




 


 

 

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