Émission 236

Le mardi 28 janvier 2003


Escroc profitant de la bonne foi et de la fragilité des gens âgés




L'histoire qui suit est presque irréelle. Une dame d'une grande générosité, célibataire et qui a près de 80 ans, vit dans l'est de Montréal. Comme beaucoup de personnes de sa génération, elle a été la cible d'un de ces escrocs qui ne cherchent qu'à profiter de la bonne foi et de la fragilité des gens âgés. Lorsqu'elle a loué un de ses logements à un nouveau locataire, elle ignorait qu'elle faisait confiance à un fraudeur en libération conditionnelle. Un homme qui, dorénavant, va hanter cette dame pour le reste de ses jours.



Les faits

La dame a un rêve, celui de solidifier sa maison. Elle veut refaire les fondations parce qu'elle aime sa maison et veut demeurer dans le quartier.

Une dame de 79 ans est particulièrement fière de la maison qu'elle habite depuis environ 50 ans. Dans cette maison du Plateau Mont-Royal, rien n'a changé au fil des années, sauf que la maison s'affaisse de plus en plus dans le sol argileux. Les fondations bougent, les fissures sont en train de vaincre les murs, il faut faire quelque chose.

En septembre 2001, un nouveau locataire entre dans la vie de cette dame. Il vient prendre son café chez elle tous les matins, entre son courrier, se lie d'amitié avec elle. La dame de 80 ans lui parle de sa maison qui s'affaisse et qui nécessite un investissement d'au moins 100 000 $. La Caisse populaire de madame lui a refusé un prêt.

Ce qui est surprenant c'est que, en quelques jours, son nouveau locataire, lui, trouve une solution. Il lui annonce : « Savez-vous, j'ai croisé un ami de la Banque nationale. Si vous êtes intéressée, vous êtes invitée à le rencontrer et vous l'aurez, votre prêt ».
Le locataire se présente à la banque comme étant le conseiller de la dame. Ensemble, ils se rendent à la succursale de la place d'Armes de la Banque nationale du Canada. « Je ne sais pas quelle pomme il leur chantait, mais ils t'expliquaient un petit peu vite fait, et tu signais. »

D'après la dame, c'est de cette façon qu'elle a réussi à obtenir 85 000 $ en marge de crédit, appelée la marge « Grande manœuvre ». « Une dame seule, une dame âgée de 79 ans, arrive avec un étranger, un gars de 40 ans. Il a la tuque calée jusqu'aux yeux, déjà là, il me semble que ça suscite des doutes. »

Ce à quoi la BNC réplique : « On ne peut pas non plus porter de jugements de valeur sur les gens qui accompagnent nos clients... ».

Pour la sœur de la victime, le gars de 40 ans n'est pas, de toute évidence, un locataire ou un conseiller ordinaire. La sœur de la victime dénonce le fait que la banque n'ait rien fait. L'institution bancaire aurait dû, selon elle, faire une enquête. Ils auraient vu, pense-t-elle, que c'était un voleur. Le locataire a déjà plaidé coupable à plusieurs accusations de fraude et d'utilisation de documents contrefaits dans le passé.

En quelques semaines, le fraudeur connaît à peu près tout de la vie de la victime. Selon sa sœur, elle n'était pas capable de sortir de la maison sans qu'il soit présent. Elle-même aurait voulu le mettre à la porte, mais elle n'aurait pas été capable de lui dire non. La locataire ne manque pas une occasion d'envahir le quotidien de la dame, même lorsqu'elle est malade. Il se rend auprès d'elle à l'hôpital. Il lui propose alors de s'occuper de ses affaires. Il lui dit, selon la sœur de la victime : « C'est glissant dehors madame. C'est dangereux. Donnez-moi votre carte et je vais aller faire vos petites commissions à la pharmacie ».

En obtenant sa marge de crédit « Grande manœuvre », la dame a reçu de la banque deux cartes, les premières de sa vie, une carte de débit et une carte de crédit. Elle fait confiance à son locataire et lui remet d'abord sa carte de crédit. « Quand il me demandait [s'il pouvait] faire mes commissions, je lui donnais la carte plutôt que de prendre du liquide, parce qu'il disait que plus on achetait avec la carte, plus ça donnait des cadeaux. »

Le locataire utilise non seulement la carte de crédit, mais surtout la carte de débit de la dame. En plus de faire des courses, il en profitait pour aller au guichet automatique. À titre d'exemple, le 29 mars 2002, le fraudeur est sur la rue Sainte-Catherine, dans l'ouest de la ville, alors qu'il devrait être en train de faire les courses de la dame sur le Plateau Mont-Royal. À 12 h 42, il effectue un retrait de 100 $ au guichet bancaire d'une pharmacie. Quatre minutes plus tard, il fait quelques achats dans une boutique de magazines. À 13 h 18, il achète des devises étrangères pour une valeur de près de 500 $. À 13 h 26, c'est l'heure des machines à sous, d'où est retirée une somme de 220 $. Une minute onze secondes plus tard, un autre retrait de 220 $ est effectué. En moins de cinquante minutes, la dame perd plus de 1000 $ sans le savoir.

Le fiscaliste de la dame de 79 ans fait le point

Sylvain Charron est fiscaliste, il a été mandaté pour sauver les meubles dans ce dossier. Le constat est grave. Sylvain Charron annonce que le fraudeur a, en moins de trois mois, vidé la quasi-totalité de la somme qu'il y avait dans le compte « Grande manœuvre » de madame. Selon la sœur de la victime, la BNC a fait une erreur : « Elle n'aurait jamais dû lui donner une carte de guichet, parce qu'elle ne connaissait pas ça, elle ne savait pas qu'il ne fallait pas prêter ça ».

La victime ignorait tout des cartes de débit. « [Même si] vous m'aviez demandé : “Avez-vous pris un NIP ?” Je ne savais même pas ce que ça voulait dire. »

La Banque nationale et ses responsabilités ?

La Banque nationale du Canada se dégage de toute responsabilité parce que la dame a divulgué à son locataire son numéro d'identification personnelle. Le représentant de la banque, Denis Dubé, affirme qu'à partir du moment où un client donne accès à son compte à quelqu'un, il est responsable.

La dame de 80 ans : « Je ne lui donnais pas ma carte pour aller vider mon [compte] de banque. Je n'ai jamais donné l'autorisation à personne de retirer de l'argent ».

La dame a peut-être mal agi, mais le fiscaliste Sylvain Charron croit que la banque n'a pas fait mieux. Il précise que, compte tenu de la nature des travaux de rénovation, soit la solidification des fondations de l'édifice, un simple carnet de chèques aurait comblé les besoins de sa cliente. Il estime que 80 % du prêt auraient servi à payer l'entrepreneur.

Denis Dubé, de la Banque nationale, affirme que ces cartes correspondaient aux besoins de la dame : « On lui a offert ces produits, elle avait aussi la possibilité, cette cliente-là, de refuser la carte de crédit, de refuser la carte de débit également ».


Pendant ce temps, le locataire dilapide la marge de crédit de la dame en moins de cinq mois. D'après le relevé des transactions, il dépense parfois près de 5000 $ en une seule journée, sans aucune intervention de la banque. La dame précise qu'on ne lui a jamais demandé si l'argent était dépensé pour ses rénovations.

Le fiscaliste se demande pourquoi la banque n'intervient pas : « Il faut analyser où est-ce qu'on s'en va [en regard des] travaux qu'il y a à faire, qu'est-ce qui se passe dans les déboursés, pourquoi ne sont-ils pas associés à des travaux de rénovation, et ça, la banque [ne l'a pas fait]. [Ma cliente] se sentait très bien protégée par la valeur de la propriété. C'est tout ce qui la sécurisait, du début jusqu'à la fin ».

L'appétit du fraudeur grandit

Le fraudeur ne s'arrête pas là. Il convainc madame qu'elle a besoin d'une autre marge de crédit. Ils obtiennent 15 000 $ à la Citifinancière, à un taux d'intérêt de 25 %. Et pourquoi ne tenterait-il pas d'obtenir une troisième marge de crédit, de 120 000 $ celle-là, dans une autre banque ? La Banque Toronto-Dominion lui accorde, à condition que madame rembourse ses emprunts à la Banque nationale et à la Citifinancière. C'est à ce moment qu'on s'aperçoit que le compte est à sec à la Banque nationale. La sécurité de la TD prévient alors madame qu'elle est victime de fraude.

La victime demande au représentant de la banque : « Allez-vous m'aider ? », et on lui répond : « Non, moi je suis ici pour protéger la banque, allez voir la police ».

Selon le fiscaliste, la dame de 80 ans est sans ressources financières, elle arrive à peine à payer ses comptes, elle aura de la difficulté à payer ses impôts fonciers. Elle aura également de la difficulté à payer son gaz naturel et elle doit faire des paiements hypothécaires qui engouffrent toutes ses économies. La dame a porté plainte à la police. Maintenant, elle doit faire face à ses obligations financières. L'hiver s'annonce si dur qu'elle risque de devoir vendre sa maison pour rembourser ses dettes. Il y a maintenant peu de chance que son rêve se réalise.

La dame est découragée : « Ah ! J'ai été naïve, j'ai honte ! ».

En conclusion

Le fraudeur est détenu depuis novembre dernier. Il a plaidé coupable à une accusation de fraude. Il recevra sa sentence le 7 février prochain. Quant à la dame, son fiscaliste, Sylvain Charron, a porté plainte à l'ombudsman de la Banque nationale, qui aurait dû, selon lui, être plus vigilante. Rien n'a bougé. Son dossier est maintenant devant l'ombudsman des Services bancaires et d'investissement. Une décision finale est attendue au cours des prochaines semaines sur la responsabilité de la banque dans cette histoire.

Hyperliens pertinents :

Banque nationale du Canada

Code de pratique canadien des services de cartes de débit

L'ombudsman des services bancaires et d'investissement

 


 


 

 

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