Les
faits
Une dame de 79
ans est particulièrement fière de la maison qu'elle
habite depuis environ 50 ans. Dans cette maison du Plateau Mont-Royal,
rien n'a changé au fil des années, sauf que la maison
s'affaisse de plus en plus dans le sol argileux. Les fondations bougent,
les fissures sont en train de vaincre les murs, il faut faire quelque
chose. En septembre 2001, un nouveau locataire entre dans la vie de cette dame. Il vient prendre son café chez elle tous les matins, entre son courrier, se lie d'amitié avec elle. La dame de 80 ans lui parle de sa maison qui s'affaisse et qui nécessite un investissement d'au moins 100 000 $. La Caisse populaire de madame lui a refusé un prêt. Ce qui est surprenant
c'est que, en quelques jours, son nouveau locataire, lui, trouve une
solution. Il lui annonce : « Savez-vous, j'ai
croisé un ami de la Banque nationale. Si vous êtes intéressée,
vous êtes invitée à le rencontrer et vous l'aurez,
votre prêt ». D'après la dame, c'est de cette façon qu'elle a réussi à obtenir 85 000 $ en marge de crédit, appelée la marge « Grande manuvre ». « Une dame seule, une dame âgée de 79 ans, arrive avec un étranger, un gars de 40 ans. Il a la tuque calée jusqu'aux yeux, déjà là, il me semble que ça suscite des doutes. » Ce à quoi
la BNC réplique : « On ne peut pas non
plus porter de jugements de valeur sur les gens qui accompagnent nos
clients... ». Pour la sur de la victime, le gars de 40 ans n'est pas, de toute évidence, un locataire ou un conseiller ordinaire. La sur de la victime dénonce le fait que la banque n'ait rien fait. L'institution bancaire aurait dû, selon elle, faire une enquête. Ils auraient vu, pense-t-elle, que c'était un voleur. Le locataire a déjà plaidé coupable à plusieurs accusations de fraude et d'utilisation de documents contrefaits dans le passé. En quelques semaines, le fraudeur connaît à peu près tout de la vie de la victime. Selon sa sur, elle n'était pas capable de sortir de la maison sans qu'il soit présent. Elle-même aurait voulu le mettre à la porte, mais elle n'aurait pas été capable de lui dire non. La locataire ne manque pas une occasion d'envahir le quotidien de la dame, même lorsqu'elle est malade. Il se rend auprès d'elle à l'hôpital. Il lui propose alors de s'occuper de ses affaires. Il lui dit, selon la sur de la victime : « C'est glissant dehors madame. C'est dangereux. Donnez-moi votre carte et je vais aller faire vos petites commissions à la pharmacie ». En obtenant sa marge de crédit « Grande manuvre », la dame a reçu de la banque deux cartes, les premières de sa vie, une carte de débit et une carte de crédit. Elle fait confiance à son locataire et lui remet d'abord sa carte de crédit. « Quand il me demandait [s'il pouvait] faire mes commissions, je lui donnais la carte plutôt que de prendre du liquide, parce qu'il disait que plus on achetait avec la carte, plus ça donnait des cadeaux. » Le locataire utilise non seulement la carte de crédit, mais surtout la carte de débit de la dame. En plus de faire des courses, il en profitait pour aller au guichet automatique. À titre d'exemple, le 29 mars 2002, le fraudeur est sur la rue Sainte-Catherine, dans l'ouest de la ville, alors qu'il devrait être en train de faire les courses de la dame sur le Plateau Mont-Royal. À 12 h 42, il effectue un retrait de 100 $ au guichet bancaire d'une pharmacie. Quatre minutes plus tard, il fait quelques achats dans une boutique de magazines. À 13 h 18, il achète des devises étrangères pour une valeur de près de 500 $. À 13 h 26, c'est l'heure des machines à sous, d'où est retirée une somme de 220 $. Une minute onze secondes plus tard, un autre retrait de 220 $ est effectué. En moins de cinquante minutes, la dame perd plus de 1000 $ sans le savoir. Le
fiscaliste de la dame de 79 ans fait le point Sylvain Charron est fiscaliste, il a été mandaté pour sauver les meubles dans ce dossier. Le constat est grave. Sylvain Charron annonce que le fraudeur a, en moins de trois mois, vidé la quasi-totalité de la somme qu'il y avait dans le compte « Grande manuvre » de madame. Selon la sur de la victime, la BNC a fait une erreur : « Elle n'aurait jamais dû lui donner une carte de guichet, parce qu'elle ne connaissait pas ça, elle ne savait pas qu'il ne fallait pas prêter ça ». La victime ignorait
tout des cartes de débit. « [Même si]
vous m'aviez demandé : Avez-vous pris un NIP ?
Je ne savais même pas ce que ça voulait dire. »
Le fiscaliste se demande pourquoi la banque n'intervient pas : « Il faut analyser où est-ce qu'on s'en va [en regard des] travaux qu'il y a à faire, qu'est-ce qui se passe dans les déboursés, pourquoi ne sont-ils pas associés à des travaux de rénovation, et ça, la banque [ne l'a pas fait]. [Ma cliente] se sentait très bien protégée par la valeur de la propriété. C'est tout ce qui la sécurisait, du début jusqu'à la fin ».
Le fraudeur ne s'arrête pas là. Il convainc madame qu'elle a besoin d'une autre marge de crédit. Ils obtiennent 15 000 $ à la Citifinancière, à un taux d'intérêt de 25 %. Et pourquoi ne tenterait-il pas d'obtenir une troisième marge de crédit, de 120 000 $ celle-là, dans une autre banque ? La Banque Toronto-Dominion lui accorde, à condition que madame rembourse ses emprunts à la Banque nationale et à la Citifinancière. C'est à ce moment qu'on s'aperçoit que le compte est à sec à la Banque nationale. La sécurité de la TD prévient alors madame qu'elle est victime de fraude. La victime demande au représentant de la banque : « Allez-vous m'aider ? », et on lui répond : « Non, moi je suis ici pour protéger la banque, allez voir la police ». Selon le fiscaliste, la dame de 80 ans est sans ressources financières, elle arrive à peine à payer ses comptes, elle aura de la difficulté à payer ses impôts fonciers. Elle aura également de la difficulté à payer son gaz naturel et elle doit faire des paiements hypothécaires qui engouffrent toutes ses économies. La dame a porté plainte à la police. Maintenant, elle doit faire face à ses obligations financières. L'hiver s'annonce si dur qu'elle risque de devoir vendre sa maison pour rembourser ses dettes. Il y a maintenant peu de chance que son rêve se réalise. La dame est découragée : « Ah ! J'ai été naïve, j'ai honte ! ». En
conclusion
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