Émission 234

Le mardi 14 janvier 2003


Casier judiciaire = pas assuré ?




Si tout le monde est égal devant la loi, tout le monde ne semble pas égal face aux compagnies d'assurances. Il y a des clients dont les assureurs ne veulent pas, notamment ceux qui ont un casier judiciaire. Qu'ils aient fait de la prison ou non. Simplement un casier judiciaire, même pour une offense commise il y a plus de quinze ans. Un couple a appris, au moment de présenter une réclamation, que sa compagnie d'assurance, la Wawanesa, ne les voulait plus comme clients.



Les faits

Juin 2002. Alors qu'il s'apprête à rentrer chez lui, monsieur a une mauvaise surprise : la porte de la résidence est percée. À l'intérieur, tout est à l'envers. « Il ne me restait plus aucun CD, tout mon matériel audio était parti. J'ai appelé la police immédiatement. » Le couple avise sans tarder sa compagnie d'assurance, la Wawanesa.

Au total, 5000 $ de biens ont été volés. Mais le couple est rassuré en faisant sa réclamation, car il a pratiquement toutes les factures d'origine en main.

Les semaines passent sans que monsieur et madame n'obtiennent de chèque d'indemnisation. Après de nombreux appels, ils finissent par apprendre que l'assureur enquête sur monsieur, le conjoint de fait de madame. Madame reçoit finalement une lettre de la Wawanesa, dans laquelle on lui annonce l'annulation immédiate de sa police d'assurance. De plus, l'assureur refuse de les indemniser, elle et son conjoint, pour le vol qu'ils ont subi. La Wawanesa rembourse au couple toutes les primes versées depuis deux ans, soit depuis la signature du contrat d'assurance.

Pour quelles raisons ?

Madame n'a pas indiqué, lors de l'achat de la police, que son conjoint avait un dossier criminel. Selon la Wawanesa, cette information aurait dû être divulguée.

Monsieur a effectivement fait de la prison pour vol qualifié à l'âge de 18 ans. Il n'a jamais récidivé depuis. Âgé de 35 ans, il se considère aujourd'hui complètement réhabilité.



« Aujourd'hui, je considère que je suis une personne stable. Cela va faire 12 ans que je travaille pour le même employeur, je paie mon loyer, je paie mes cartes de crédit, je paie mes comptes. Je pense que je n'ai pas à payer pour le vol qu'on a eu. Je pense que je ne mérite pas ça. »



Antécédents criminels : l'assureur doit-il poser la question lors de l'achat de la police ?

Le couple prétend que l'assureur ne leur a pas demandé, lors de l'achat de la police, s'ils avaient des antécédents judiciaires. André Lacombe, avocat spécialisé en assurance, estime qu'il revenait à l'assureur de poser cette question. « L'assureur a juste à poser les questions et à consigner les réponses dans son dossier. Il a juste à faire ses devoirs ! »


* Le Code civil n'est pas clair en ce qui a trait aux obligations des assureurs vs celles des assurés.

* Au Bureau d'assurance du Canada (BAC), un regroupement d'assureurs, on croit que l'assuré est le seul responsable de la déclaration de tous les faits : « Avoir des antécédents judiciaires, ça peut être pertinent à l'évaluation du risque, surtout quand on parle de vol », affirme Louis Guay, vice-président adjoint.

Cette affirmation s'appuie sur la majorité des jugements rendus dans des causes similaires à celle du couple de notre histoire : les juges interprètent la loi en faveur des assureurs.


« Pour moi, ce n'était pas clair qu'il aurait fallu que je divulgue cette information-là quand je me suis assurée. »
- Madame

« Je ne pense pas que quelqu'un qui a commis un vol en 1986 et qui n'a jamais récidivé jusqu'en 2002 constitue un risque aggravant pour un assureur. »
- Me André Lacombe

« Je pense qu'ils devraient avoir la responsabilité de poser la question avant et non après, parce qu'après, il y a beaucoup de dommage de faits. »
-
Monsieur

De son côté, le représentant du BAC ne voit pas l'utilité de poser cette question à l'ensemble des assurés, alors qu'elle « ne vise en fait qu'une minorité de gens ».

Pourtant, au Canada, plus de 3 millions de personnes détiennent un casier judiciaire. Au Québec, c'est au-delà de 500 000 hommes et femmes.

Jean-Claude Bernheim travaille à l'Office des droits des détenus. Il reçoit de plus en plus de plaintes d'ex- prisonniers qui ont de la difficulté à s'assurer : « On est dans une situation où on a un préjugé à l'effet que toute pesonne qui a un casier judiciaire est une personne qui va voler, qui va abuser des réclamations, etc. ».


Dans leur enquête, les policiers ne soupçonnent d'aucune façon les assurés d'être les auteurs du vol et d'avoir tenté de frauder la compagnie d'assurance. Mais pour la Wawanesa, le lien de confiance a été brisé.


Toute la vérité, rien que la vérité…

C'est en fait seulement après le sinistre que la Wawanesa a demandé à chacun des assurés s'il avait des antécédents judiciaires. Or, monsieur a répondu, à tort, qu'il n'en avait pas. Car pour lui, il s'agit d'un incident du passé qu'il a mis de côté depuis longtemps. Il ne croyait pas que cela pouvait avoir un impact sur sa réclamation. Du côté du BAC, on partage l'avis de l'assureur : le lien de confiance a été brisé. « Il n'a pas répondu la vérité. Alors quand un assureur est dans cette situation-là, il se dit : a-t-il d'autre chose à cacher ? », explique M. Guay.

Les dirigeants de Wawanesa ont refusé de nous rencontrer. Ils nous ont toutefois indiqué que même si monsieur avait révélé ses antécédents judiciaires lors de l'enquête après le sinistre, le rejet de la réclamation aurait été maintenu parce qu'à la base, Wawanesa n'accepte aucun client ayant un casier judiciaire.

« Le droit à l'assurance, ça n'existe pas. Alors les assureurs sont libres de choisir les clients qu'ils veulent quand même. »
- Louis Guay, vice-président adjoint, BAC

« On a tout le discours social qui dit qu'une fois que la peine est purgée, on a payé notre dette à la société : on l'a payée ou on ne l'a pas payée ? »
- Jean-Claude Bernheim, Office des droits des détenus


Les assureurs ne font-ils pas d'enquête préalable ?

Les compagnies d'assurance ont l'habitude d'enquêter. Par exemple, avec un code postal, les assureurs déterminent si le client habite un quartier à risque. Alors, comment se fait-il qu'ils ne le font pas pour les antécédents criminels ? Pourtant, tout le monde a accès, via Internet, aux banques de données criminelles des palais de justice. Rien de plus facile ! Étonnamment, au Bureau d'assurance du Canada, on semble l'ignorer.

Une conjointe sans antécédents, qui écope de la même politique

Tant et aussi longtemps que madame partagera sa vie avec monsieur, elle fera les frais des politiques discriminatoires des compagnies d'assurance. Et ce, sans qu'elle ait commis d'acte criminel. « Finalement, on criminalise la famille », déplore M. Bernheim.

En conclusion

La Wawanesa nous dit maintenant poser la question à tous ses nouveaux clients en ce qui concerne leurs antécédents judiciaires. Mais ce ne sont pas tous les assureurs qui le font. Quant au couple, il a finalement réussi à trouver un nouvel assureur, tout en divulguant les antécédents de monsieur.

De plus, celui-ci a déposé une demande de pardon judiciaire. Une bonne idée, puisque les assureurs membres du BAC ont récemment décidé de ne plus refuser de clients avec un casier judiciaire si ces derniers ont obtenu leur pardon. Quant à la conjointe de monsieur, elle a déposé une plainte.

 



 


 

 

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