Les
faits
Juin 2002. Alors
qu'il s'apprête à rentrer chez lui, monsieur a une mauvaise
surprise : la porte de la résidence est percée. À
l'intérieur, tout est à l'envers. « Il
ne me restait plus aucun CD, tout mon matériel audio était
parti. J'ai appelé la police immédiatement. »
Le couple avise sans tarder sa compagnie d'assurance, la Wawanesa.
Au
total, 5000 $ de biens ont été volés.
Mais le couple est rassuré en faisant sa réclamation,
car il a pratiquement toutes les factures d'origine en main.
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Les
semaines passent sans que monsieur et madame n'obtiennent de chèque
d'indemnisation. Après de nombreux appels, ils finissent par
apprendre que l'assureur enquête sur monsieur, le conjoint de
fait de madame. Madame reçoit finalement une lettre de la Wawanesa,
dans laquelle on lui annonce l'annulation immédiate de sa police
d'assurance. De plus, l'assureur refuse de les indemniser, elle et
son conjoint, pour le vol qu'ils ont subi. La Wawanesa rembourse au
couple toutes les primes versées depuis deux ans, soit depuis
la signature du contrat d'assurance.
Pour
quelles raisons ?
Madame
n'a pas indiqué, lors de l'achat de la police, que
son conjoint avait un dossier criminel. Selon la Wawanesa,
cette information aurait dû être divulguée.
Monsieur
a effectivement fait de la prison pour vol qualifié
à l'âge de 18 ans. Il n'a jamais récidivé
depuis. Âgé de 35 ans, il se considère
aujourd'hui complètement réhabilité.
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« Aujourd'hui,
je considère que je suis une personne stable. Cela va faire
12 ans que je travaille pour le même employeur, je paie mon
loyer, je paie mes cartes de crédit, je paie mes comptes. Je
pense que je n'ai pas à payer pour le vol qu'on a eu. Je pense
que je ne mérite pas ça. »
Antécédents criminels : l'assureur doit-il poser
la question lors de l'achat de la police ?
Le
couple prétend que l'assureur ne leur a pas demandé,
lors de l'achat de la police, s'ils avaient des antécédents
judiciaires. André Lacombe, avocat spécialisé
en assurance, estime qu'il revenait à l'assureur de poser
cette question. « L'assureur a juste à poser
les questions et à consigner les réponses dans son dossier.
Il a juste à faire ses devoirs ! »
*
Le Code civil n'est pas clair en ce qui a trait aux obligations
des assureurs vs celles des assurés.
* Au
Bureau d'assurance du Canada (BAC),
un regroupement d'assureurs, on croit que l'assuré est
le seul responsable de la déclaration de tous les faits
: « Avoir des antécédents judiciaires,
ça peut être pertinent à l'évaluation
du risque, surtout quand on parle de vol », affirme
Louis Guay, vice-président adjoint.
Cette affirmation
s'appuie sur la majorité des jugements rendus dans des
causes similaires à celle du couple de notre histoire :
les juges interprètent la loi en faveur des assureurs.
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« Pour
moi, ce n'était pas clair qu'il aurait fallu que je divulgue
cette information-là quand je me suis assurée. »
- Madame
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« Je
ne pense pas que quelqu'un qui a commis un vol en 1986 et qui
n'a jamais récidivé jusqu'en 2002 constitue un
risque aggravant pour un assureur. »
- Me André Lacombe
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« Je
pense qu'ils devraient avoir la responsabilité de poser
la question avant et non après, parce qu'après,
il y a beaucoup de dommage de faits. »
- Monsieur
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De son côté,
le représentant du BAC ne voit pas l'utilité de poser
cette question à l'ensemble des assurés, alors qu'elle
« ne vise en fait qu'une minorité de gens ».
Pourtant,
au Canada, plus de 3 millions de personnes détiennent
un casier judiciaire. Au Québec, c'est au-delà
de 500 000 hommes et femmes.
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Jean-Claude
Bernheim travaille à l'Office des droits des détenus.
Il reçoit de plus en plus de plaintes d'ex- prisonniers qui
ont de la difficulté à s'assurer : « On
est dans une situation où on a un préjugé à
l'effet que toute pesonne qui a un casier judiciaire est une personne
qui va voler, qui va abuser des réclamations, etc. ».
Dans
leur enquête, les policiers ne soupçonnent d'aucune
façon les assurés d'être les auteurs du
vol et d'avoir tenté de frauder la compagnie d'assurance.
Mais pour la Wawanesa, le lien de confiance a été
brisé.
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Toute
la vérité, rien que la vérité
C'est
en fait seulement après le sinistre que la Wawanesa a demandé
à chacun des assurés s'il avait des antécédents
judiciaires. Or, monsieur a répondu, à tort, qu'il n'en
avait pas. Car pour lui, il s'agit d'un incident du passé qu'il
a mis de côté depuis longtemps. Il ne croyait pas que
cela pouvait avoir un impact sur sa réclamation. Du côté
du BAC, on partage l'avis de l'assureur : le lien de confiance
a été brisé. « Il n'a pas répondu
la vérité. Alors quand un assureur est dans cette situation-là,
il se dit : a-t-il d'autre chose à cacher ? »,
explique M. Guay.
Les dirigeants
de Wawanesa ont refusé de nous rencontrer. Ils nous ont toutefois
indiqué que même si monsieur avait révélé
ses antécédents judiciaires lors de l'enquête
après le sinistre, le rejet de la réclamation aurait
été maintenu parce qu'à la base, Wawanesa n'accepte
aucun client ayant un casier judiciaire.
« Le
droit à l'assurance, ça n'existe pas. Alors
les assureurs sont libres de choisir les clients qu'ils veulent
quand même. »
- Louis Guay, vice-président adjoint, BAC
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« On
a tout le discours social qui dit qu'une fois que la peine est
purgée, on a payé notre dette à la société :
on l'a payée ou on ne l'a pas payée ? »
- Jean-Claude Bernheim, Office des droits des détenus
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Les assureurs ne font-ils pas d'enquête préalable ?
Les compagnies
d'assurance ont l'habitude d'enquêter. Par exemple, avec un
code postal, les assureurs déterminent si le client habite
un quartier à risque. Alors, comment se fait-il qu'ils ne le
font pas pour les antécédents criminels ? Pourtant,
tout le monde a accès, via Internet, aux banques de données
criminelles des palais de justice. Rien de plus facile ! Étonnamment,
au Bureau d'assurance du Canada, on semble l'ignorer.
Une
conjointe sans antécédents, qui écope de la même
politique
Tant
et aussi longtemps que madame partagera sa vie avec monsieur, elle
fera les frais des politiques discriminatoires des compagnies d'assurance.
Et ce, sans qu'elle ait commis d'acte criminel. « Finalement,
on criminalise la famille », déplore M. Bernheim.
En
conclusion
La Wawanesa nous
dit maintenant poser la question à tous ses nouveaux clients
en ce qui concerne leurs antécédents judiciaires. Mais
ce ne sont pas tous les assureurs qui le font. Quant au couple, il
a finalement réussi à trouver un nouvel assureur, tout
en divulguant les antécédents de monsieur.
De plus, celui-ci
a déposé une demande de pardon judiciaire. Une bonne
idée, puisque les assureurs membres du BAC ont récemment
décidé de ne plus refuser de clients avec un casier
judiciaire si ces derniers ont obtenu leur pardon. Quant à
la conjointe de monsieur, elle a déposé une plainte.