Émission 233

Le mardi 7 janvier 2003


Bactérie du fer :
un ennemi insoupçonné





Un couple de Sept-Îles vit un problème assez exceptionnel. Pourtant, à première vue, son histoire semble plutôt banale : le drain agricole, servant à évacuer l'eau autour de la maison, se bouche constamment et cause des dommages à la propriété. Mais ce qui est à l'origine du problème est loin d'être banal : il s'agit d'un problème caché, auquel bien des citoyens pourraient être confrontés.



Les faits


« 
On s'aperçoit qu'en enlevant le sable, l'eau rougit. »

À Sept-Îles sur la Côte-Nord, de l'eau et du fer, on en retrouve partout, mais pas toujours sous la forme qu'on pense. Pour le constater, il faut se rendre à quelques kilomètres du port, au 42, rue Nicolas, dans un nouveau développement résidentiel.

Acheter une maison neuve. Tel était le rêve du couple de notre histoire. Un rêve qui s'est vite transformé en cauchemar en 1999, soit seulement deux ans après leur achat.


Le couple constate que l'eau entre par le solage et par une fissure dans le plancher. Inquiet, ils téléphonent à l'entrepreneur qui leur a vendu la maison et lui demandent de venir inspecter les lieux. Ce dernier accepte et propose au couple d'installer une membrane étanche sur les fondations. Insatisfait de la solution proposée, le couple décide de faire appel aux services d'un ingénieur.

L'ingénieur conclut que la maison a été construite trop basse, à proximité de la nappe phréatique. À ses yeux, il n'y a qu'une seule solution : la maison doit être rehaussée. Le coût ? 80 000 $. Une somme fort importante pour une résidence de 138 000 $.

L'entrepreneur tente de corriger la situation

Après discussion avec les propriétaires, l'entrepreneur et ses experts choisissent une autre solution pour mettre fin à l'infiltration : retirer l'ancien drain agricole bouché pour le remplacer par deux nouveaux drains. Peu de temps après le début des travaux, le commerçant constate que le drain n'est pas simplement bouché au fond du trou : il est aussi recouvert d'une étrange substance rougeâtre.

Inquiet, le couple demande alors à l'entrepreneur de garantir les travaux de correction exécutés et de faire analyser un échantillon du drain afin de connaître l'origine du problème. L'entrepreneur refuse d'offrir toute garantie et n'informe pas ses clients des résultats de l'analyse.

Monsieur et madame se tournent alors vers l'Association provinciale des constructeurs d'habitations du Québec (APCHQ), avec qui ils ont une garantie de protection pour leur maison neuve. Mais encore une fois, le couple demeure sans réponse : « On n'a jamais été capables de faire ouvrir le dossier avec eux. Ils ont toujours répondu […] qu'il s'agissait d'un problème mineur. […] En quoi ils peuvent dire ça ? Ils ne sont jamais venus voir ! »

Puis, la découverte de la bactérie du fer...

À l'été 2001, exaspérés et voulant connaître une fois pour toutes la cause du problème, les propriétaires décident de creuser une deuxième fois le long de la maison et de faire analyser, par des spécialistes, l'eau et le sol autour des drains. Une autre mauvaise surprise les attend, mais pire cette fois-ci : l'analyse révèle que la bactérie du fer est présente dans l'eau. Un ennemi que personne ne soupçonnait et qui s’attaquerait à leur propriété. Un phénomène encore peu connu au Québec, mais qui peut faire des ravages autour d'une résidence.

La Facture enquête

Pour vérifier si cette hypothèse est plausible, nous avons demandé au correspondant de Radio-Canada à Sept-Îles d'aller prélever des échantillons. Nous les avons ensuite envoyés à l'Institut national de la recherche scientifique (INRS), à Québec.

Les résultats

« Des concentrations très importantes de fer, tant en solution que déposées sur la membrane […] qui pourraient causer le colmatage de la membrane. »
- Jean-François Blais, INRS.

* Il y a donc du fer en quantité importante autour de la maison, comme un peu partout dans la terre sablonneuse de la Côte-Nord.

* Ajoutez à cela une nappe phréatique élevée et la présence d'air dans les drains; voilà le mélange idéal pour qu'il y ait prolifération de bactéries.

* Des résultats confirmés par Rémi Asselin, ingénieur au ministère de l'Agriculture du Québec (MAPAQ), qui a étudié ce phénomène durant plusieurs années.

* Cette bactérie qui se nourrit de fer va donc se fixer à la membrane et aux drains et les rendre, à la longue, inefficaces.


Un problème qui se répète

Le problème de la bactérie de fer n'étant pas résolu, les nouveaux drains installés en 1999 ne résisteront pas plus que les anciens, estiment les experts engagés par le couple. Monsieur et madame revivront donc inévitablement les mêmes problèmes.

Une histoire qui se poursuivra en cour ?

L'entrepreneur a refusé de rencontrer La Facture. Au téléphone, il affirme que le travail a été fait selon les règles de l'art et qu'il n'est pas question de soulever la maison. Pour lui, cette histoire ne se réglera que devant les tribunaux. Ce qui est loin d'effrayer le couple de notre histoire : « On est capables d'aller jusqu'au bout. On a ce qu'il faut pour appuyer ce que l'on dit », affirme madame.

Devant un juge, le couple pourrait exiger que les travaux soient refaits même si l'eau n'entre pas actuellement dans le sous-sol, estime Me Rodrigue Bergeron, avocat spécialisé en droit de la construction :
« Puisque les experts affirment […] que le même problème a réapparu et que dans un laps de temps relativement court […] les infiltrations d'eau recommenceront. »


La Ville est-elle responsable ?

Aurait-on pu empêcher que cela se produise ? La Ville de Sept-Îles, qui a inspecté les lieux en 1996 et autorisé les travaux de construction, refuse d'assumer toute responsabilité, estimant qu'il était impossible de prévoir, à l'époque, la présence de la bactérie du fer.

Les autres maisons du quartier ont-elle le même problème ?

Dans le quartier, le 42, rue Nicolas est la seule maison touchée pour l'instant. Pourquoi ? L'hypothèse la plus sérieuse est que la maison aurait été construite plus bas que ses voisines. Ce que nous confirme une source à l'Hôtel de ville, qui préfère cependant ne pas le dire ouvertement.

Qu'en pense l'APCHQ ?

À l'APCHQ, on ne commente pas le cas du couple puisqu'il va se retrouver devant les tribunaux. La bactérie du fer est bien connue à l'APCHQ. Depuis des années, l'association essaie de la combattre par tous les moyens possibles. Mais pour l'instant, une seule solution semble régler définitivement le problème, la même que celle proposée par l'inspecteur engagé par le couple : soulever la maison. Or, cette solution a coûté très cher à l'APCHQ au cours des dernières années. À un point tel que celle-ci a finalement décidé, par mesure de protection, d'exclure des contrats de garantie les problèmes liés à l'hydroxyde de fer, et par conséquent, aux bactéries qui s'en nourrissent. La garantie ne s'appliquerait donc pas au cas du couple de notre histoire.

Garantie sur les problèmes liés à l'hydroxyde de fer :
Ces dernières années, l'APCHQ a déboursé près d'un million de dollars pour régler une dizaine de réclamations provenant des quatre coins du Québec.


En conclusion

Après notre entrevue, l'APCHQ a finalement envoyé un inspecteur pour évaluer l'état des drains. Quant à monsieur et madame, ils poursuivent l'entrepreneur et l'APCHQ. À ce jour, ils ont déjà dépensé 25 000 $ en frais d'experts et d'avocats. Des cas similaires ont été rapportés au Cap-de-la-Madeleine, à Sorel, à Joliette et dans la banlieue sud de Québec.


Hyperlien pertinent :

Association provinciale des constructeurs
d'habitations du Québec



 



 


 

 

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