Les
faits
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« On
s'aperçoit qu'en enlevant le sable, l'eau rougit. »
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À Sept-Îles
sur la Côte-Nord, de l'eau et du fer, on en retrouve partout,
mais pas toujours sous la forme qu'on pense. Pour le constater, il
faut se rendre à quelques kilomètres du port, au 42,
rue Nicolas, dans un nouveau développement résidentiel.
Acheter une maison neuve. Tel était le rêve du couple
de notre histoire. Un rêve qui s'est vite transformé
en cauchemar en 1999, soit seulement deux ans après leur achat.
Le
couple constate que l'eau entre par le solage et par une fissure dans
le plancher. Inquiet, ils téléphonent à l'entrepreneur
qui leur a vendu la maison et lui demandent de venir inspecter les
lieux. Ce dernier accepte et propose au couple d'installer une membrane
étanche sur les fondations. Insatisfait de la solution proposée,
le couple décide de faire appel aux services d'un ingénieur.
L'ingénieur
conclut que la maison a été construite trop basse,
à proximité de la nappe phréatique. À
ses yeux, il n'y a qu'une seule solution : la maison doit
être rehaussée. Le coût ? 80 000 $.
Une somme fort importante pour une résidence de 138 000 $.
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L'entrepreneur
tente de corriger la situation
Après
discussion avec les propriétaires, l'entrepreneur et ses experts
choisissent une autre solution pour mettre fin à l'infiltration
: retirer l'ancien drain agricole bouché pour le remplacer
par deux nouveaux drains. Peu de temps après le début
des travaux, le commerçant constate que le drain n'est pas
simplement bouché au fond du trou : il est aussi recouvert
d'une étrange substance rougeâtre.
Inquiet, le couple
demande alors à l'entrepreneur de garantir les travaux de correction
exécutés et de faire analyser un échantillon
du drain afin de connaître l'origine du problème. L'entrepreneur
refuse d'offrir toute garantie et n'informe pas ses clients des résultats
de l'analyse.
Monsieur
et madame se tournent alors vers l'Association provinciale des
constructeurs d'habitations du Québec (APCHQ), avec qui
ils ont une garantie de protection pour leur maison neuve. Mais encore
une fois, le couple demeure sans réponse : « On
n'a jamais été capables de faire ouvrir le dossier avec
eux. Ils ont toujours répondu [
] qu'il s'agissait d'un
problème mineur. [
] En quoi ils peuvent dire ça ?
Ils ne sont jamais venus voir ! »
Puis,
la découverte de la bactérie du fer...
À
l'été 2001, exaspérés et voulant connaître
une fois pour toutes la cause du problème, les propriétaires
décident de creuser une deuxième fois le long de la
maison et de faire analyser, par des spécialistes, l'eau et
le sol autour des drains. Une autre mauvaise surprise les attend,
mais pire cette fois-ci : l'analyse révèle que la
bactérie du fer est présente dans l'eau. Un ennemi
que personne ne soupçonnait et qui sattaquerait à
leur propriété. Un
phénomène encore peu connu au Québec, mais qui
peut faire des ravages autour d'une résidence.
La
Facture enquête
Pour vérifier
si cette hypothèse est plausible, nous avons demandé
au correspondant de Radio-Canada à Sept-Îles d'aller
prélever des échantillons. Nous les avons ensuite envoyés
à l'Institut national de la recherche scientifique (INRS),
à Québec.
Les
résultats
« Des
concentrations très importantes de fer, tant en solution
que déposées sur la membrane [
] qui pourraient
causer le colmatage de la membrane. »
- Jean-François Blais, INRS.
*
Il y a donc du fer en quantité importante autour de
la maison, comme un peu partout dans la terre sablonneuse
de la Côte-Nord.
*
Ajoutez à cela une nappe phréatique élevée
et la présence d'air dans les drains; voilà
le mélange idéal pour qu'il y ait prolifération
de bactéries.
*
Des résultats confirmés par Rémi Asselin,
ingénieur au ministère de l'Agriculture du
Québec (MAPAQ), qui a étudié ce phénomène
durant plusieurs années.
*
Cette bactérie qui se nourrit de fer va donc se fixer
à la membrane et aux drains et les rendre, à
la longue, inefficaces.
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Un problème qui se répète
Le problème
de la bactérie de fer n'étant pas résolu, les
nouveaux drains installés en 1999 ne résisteront pas
plus que les anciens, estiment les experts engagés par le couple.
Monsieur et madame revivront donc inévitablement les mêmes
problèmes.
Une histoire qui se poursuivra en cour ?
L'entrepreneur
a refusé de rencontrer La Facture. Au téléphone,
il affirme que le travail a été fait selon les règles
de l'art et qu'il n'est pas question de soulever la maison. Pour lui,
cette histoire ne se réglera que devant les tribunaux. Ce qui
est loin d'effrayer le couple de notre histoire : « On
est capables d'aller jusqu'au bout. On a ce qu'il faut pour appuyer
ce que l'on dit », affirme madame.
Devant
un juge, le couple pourrait exiger que les travaux soient refaits
même si l'eau n'entre pas actuellement dans le sous-sol,
estime Me Rodrigue Bergeron, avocat spécialisé
en droit de la construction :
« Puisque les experts affirment [
] que le
même problème a réapparu et que dans un
laps de temps relativement court [
] les infiltrations
d'eau recommenceront. »
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La Ville est-elle responsable ?
Aurait-on pu empêcher
que cela se produise ? La Ville de Sept-Îles, qui
a inspecté les lieux en 1996 et autorisé les travaux
de construction, refuse d'assumer toute responsabilité, estimant
qu'il était impossible de prévoir, à l'époque,
la présence de la bactérie du fer.
Les
autres maisons du quartier ont-elle le même problème ?
Dans le quartier, le 42, rue Nicolas est la seule maison touchée
pour l'instant. Pourquoi ? L'hypothèse la plus sérieuse
est que la maison aurait été construite plus bas que
ses voisines. Ce que nous confirme une source à l'Hôtel
de ville, qui préfère cependant ne pas le dire ouvertement.
Qu'en
pense l'APCHQ ?
À
l'APCHQ, on ne commente pas le cas du couple puisqu'il va se
retrouver devant les tribunaux. La bactérie du fer est bien
connue à l'APCHQ. Depuis des années, l'association essaie
de la combattre par tous les moyens possibles. Mais pour l'instant,
une seule solution semble régler définitivement le problème,
la même que celle proposée par l'inspecteur engagé
par le couple : soulever la maison. Or, cette solution a coûté
très cher à l'APCHQ au cours des dernières années.
À un point tel que celle-ci a finalement décidé,
par mesure de protection, d'exclure des contrats de garantie les problèmes
liés à l'hydroxyde de fer, et par conséquent,
aux bactéries qui s'en nourrissent. La garantie ne s'appliquerait
donc pas au cas du couple de notre histoire.
Garantie
sur les problèmes liés à l'hydroxyde de
fer :
Ces dernières années, l'APCHQ a déboursé
près d'un million de dollars pour régler une dizaine
de réclamations provenant des quatre coins du Québec.
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En
conclusion
Après notre entrevue, l'APCHQ a finalement envoyé un
inspecteur pour évaluer l'état des drains. Quant à
monsieur et madame, ils poursuivent l'entrepreneur et l'APCHQ. À
ce jour, ils ont déjà dépensé 25 000 $
en frais d'experts et d'avocats. Des cas similaires ont été
rapportés au Cap-de-la-Madeleine, à Sorel, à
Joliette et dans la banlieue sud de Québec.