Les
faits
En
septembre dernier, le jeune homme de notre histoire a le coup de foudre
pour une voiture : une Chevrolet Cavalier 97 avec seulement 65 000
km au compteur. Ce qui le rassure, c'est que la voiture est vendue
par un gros concessionnaire de la région de Montréal.
Mais cette confiance est vite ébranlée : le vendeur
lui apprend que la voiture de 8 700$ est vendue « sans aucune
garantie » et
« tel quel ».
La
clause :
« Après avoir vu et essayé ce véhicule,
je l'accepte tel quel
sans aucune garantie.»
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Inquiet
face à une cette clause, le consommateur ne prend pas de risque
et décide de faire inspecter le véhicule par un mécanicien
indépendant. Or, celui-ci ne détecte aucun problème
majeur.
Monsieur reste
tout de même hésitant. Il sait ce qu'une telle clause
implique : toute réparation devra être payée de
sa poche. Se fiant à l'inspection et à la crédibilité
du concessionnaire, il décide finalement de signer le contrat
et achète la voiture.
Clause
sans garantie : le consommateur est-il condamné à payer?
Selon
Jacques Castonguay, avocat spécialisé dans le domaine
de la consommation, la clause «sans garantie» pourrait
facilement être contestée en cour: « À
moins de se retrouver avec un véhicule extrêmement vieux
et avec énormément de kilométrage. Sinon, ces
clauses-là n'ont pas beaucoup de valeur devant les tribunaux».
La
catégorie «D»
Il est vrai que la loi n'oblige pas les commerçants
à fournir une garantie qu'on appelle la garantie de
bon fonctionnement pour les véhicules de catégorie
« D », soit les véhicules d'occasion de
plus de 80 000 km ou de plus de cinq ans, comme celui de notre
consommateur.
La
garantie d'usure normale
Mais contrairement à ce que dit le contrat, le véhicule
de monsieur est bel et bien protégé par une
autre garantie, prévue par la Loi sur la protection
du consommateur (LPC) : « la garantie d'usure normale».
En effet, les articles 37 et 38 de la loi stipulent
qu' «un véhicule doit pouvoir fonctionner
pendant une durée raisonnable ».
Mais qu'est-ce qu'une « durée raisonnable
» ?
« Une
voiture de 100 000 km dont vous devez remplacer le moteur
ou une pièce importante après un mois, je vous
dirais manifestement, que ce n'est pas une durée raisonnable».
Tout dépendant d'ailleurs de « l'utilisation
qu'on en fait, par rapport au prix payé »,
précise Me Castonguay.Bref, si une panne survenait
dans les semaines suivant la vente, l'acheteur pourrait invoquer
la Loi sur la protection du consommateur pour forcer
son concessionnaire à assumer les frais de réparation.
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La signature d'une clause « sans garantie » n'implique-t-elle
pas une renonciation?
Le
fait d'avoir signé une clause «sans garantie» ne
fait-il pas perdre au consommateur la garantie d'usure normale? Non,
nous dit Me Castonguay : « Malgré le fait que cette
mention apparaisse au contrat, cela ne signifie pas que le consommateur
n'a plus aucun recours.»
L'avocat nous réfère en
fait à l'article 262 de la Loi sur la protection
du consommateur :
« Le
commerçant ne peut demander au consommateur de renoncer
à un droit que lui confère la loi.»
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Le consommateur a-t-il été induit en erreur?
Les
clauses sans garantie iraient d'ailleurs à l'encontre du Code
d'éthique de la Corporation des concessionnaires d'automobiles
du Québec (CCAQ), comme nous l'explique son président
directeur général, Jacques Béchard : «
Dans certain cas, effectivement. Car si les articles 37 et 38 (sur
la garantie d'usure normale) de la LPC s'appliquent plus tard, on
l'a induit en erreur. Dans de tels cas, nous n'hésiterons pas
à intervenir ».
Une clause utilisée par les gros concessionnaires
Le concessionnaire
de notre histoire, qui est important dans la région de Montréal,
n'est pas le seul à utiliser la clause «tel quel»,
«sans garantie» sur ses contrats :
Lors
de l'émission du 17 septembre 2002, nous vous invitions
à nous contacter si vous aviez signé un contrat
d'achat d'automobile portant la mention «vendu tel quel»
ou «sans garantie».
Or, nous avons reçu des copies d'une vingtaine de contrats
de vente de véhicule d'occasion, de partout au Québec.
Ces contrats portent les mentions : «tel quel»,
«sans garantie» et même
«à vos risques et périls».
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Et
surprise : la plupart des contrats n'ont pas été signés
chez de petits marchands, mais bien chez de gros concessionnaires
d'automobiles comme St-Léonard Nissan, Deslauriers Ford à
Laval et Albi de Mascouche.
À l'Association
pour la protection des automobilistes (APA), on se dit fort surpris
d'une telle découverte : «On savait déjà
qu'il y avait certains concessionnaires qui s'adonnaient à
cette pratique, mais (
) on ne pensait pas aux joyaux dans la
couronne de GM ou Mazda. C'est abusif», estime George Iny,
président de l'APA.
Le
point de vue des concessionnaires
«C'est
évident que l'idée de cette clause n'était
pas de décourager un client de nous appeler.
Au contraire, on veut que nos clients nous rappellent.
La politique chez nous était vraiment de dire
«vous êtes quand même conscient qu'il
y a un risque à acheter le véhicule»».
- Denis Leclerc, président Albi Mazda.
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«On
ne peut pas acheter un véhicule d'occasion et croire
que tout est garanti comme un véhicule neuf, par
exemple. C'est pour être sûr que le consommateur
soit bien informé avant de faire son achat qu'on
a décidé d'utiliser ça»
- Sylvain Hogues, président Deslauriers Ford Lincoln.
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Une
clause abandonnée
Bonne
nouvelle : tous les concessionnaires de notre reportage disent avoir
abandonné l'utilisation de la clause «tel quel»
ou «sans garantie», après avoir été
contacté par l'équipe de La Facture.
Au moment de notre visite chez Albi, on terminait la modification
des contrats. La clause «sans garantie» a été
remplacée par l'article 37 de la Loi sur la protection
du consommateur. Le texte rappelle à l'acheteur qu'il a
droit à la garantie d'usure normale.
«Avec
cette clause, j'ai constaté que j'ai peut être
vendu 3-4 ou 5 véhicules de plus (hier), parce que le
client était complètement en confiance.»
- Denis Leclerc, président, Albi Mazda.
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En
conclusion
Suite à l'enquête de La Facture, la Corporation
des concessionnaires d'automobiles du Québec a écrit
à ses 860 membres pour leur recommander de ne pas utiliser
les clauses «tel quel» ou «sans garantie».
Si votre voiture
d'occasion vous lâche et que vous n'arrivez pas à vous
entendre avec votre vendeur, vous pouvez vous présenter en
Cour des petites créances où vous invoquerez
la garantie d'usure normale. Ce sera alors au juge de trancher si
votre véhicule a fonctionné pendant une durée
raisonnable ou pas.