Émission 232

Le mardi 10 décembre 2002



Une scierie artisanale
qui devient industrielle




Lorsqu'on décide de s'installer à la campagne, c'est pour profiter de la nature et mener une vie calme. À Saint-Zénon, une ville de 1 000 habitants dans Lanaudière, la municipalité accordait, en 1995, un permis d'exploitation de scierie qui devait être artisanale parce qu'elle se situait dans une zone de villégiature.

Sept ans plus tard, voici ce qu'est devenue cette scierie…





« Ça s'est fait d'une façon que la population n'a rien su. On s'est réveillé, et puis c'était là…"»

«Ce n'est pas tellement le bruit qui est dérangeant. C'est surtout la vue : ça ne va pas du tout avec ce qui est aux alentours….»

«Quand on achète dans une zone récréotouristique et que du jour au lendemain, il y a une industrie qui est en train de s'installer, c'est très décevant.»


Les faits

Le long de la rivière Sauvage à St-Zénon, une scierie prend de l'expansion. Des citoyennes en colère s'y opposent. L'une d'entre elles est, depuis 1979, propriétaire d'un modeste chalet situé juste en face de la scierie, de l'autre côté de la rivière Sauvage : «On a acheté ici pour venir se reposer. On était tranquille, on était caché. On était dans la nature, l'air était bon…»


Une entreprise artisanale qui ne cesse d'agrandir

En 1995, un entrepreneur forestier obtient de la municipalité un permis de construction pour une mini-scierie artisanale intégrée dans le concept d'un centre de la nature. La nouvelle est alors bien accueillie par les citoyens.

En 1997, l'entrepreneur agrandit sa scierie, en ajoutant un séchoir à bois et un entrepôt et ce, avant même d'obtenir son nouveau permis de construction. Mais encore une fois, les citoyens ne s'y opposent pas, car pour eux, « la municipalité a le contrôle là-dessus.»

De 97 à 99, la scierie occupe de plus en plus de superficie. À un tel point qu'elle va alors à l'encontre de la réglementation municipale : «En agrandissant et en ayant des employés et en devenant industrielle, la zone (récréotouristique) ne supporte pas ce genre d'industrie-là», nous explique Linda Melanson qui était, à l'époque, l'inspecteur en bâtiment de la municipalité.

L'expansion de la scierie passe toutefois presqu'inapercue dans le voisinage : une haie d'épinettes et une rangée d'arbres (un écran végétal) bloquent la vue aux citoyens. Mais un jour, les arbres sont abattus. Et les citoyens constatent alors l'ampleur de l'industrie…

En enlevant l'écran végétal, l'entreprise va d'ailleurs encore une fois à l'encontre de la réglementation municipale.

Une entreprise qui devient industrielle

Puis, l'entreprise familiale voit encore plus grand : elle effectue du remblayage pour agrandir la cour à bois et pour y construire éventuellement des séchoirs et un nouvel entrepôt. Le remblayage du terrain de la scierie déborde dans les zones humides de la rivière, ce qui est illégal. L'inspecteur en bâtiment de St-Zénon alerte alors le ministère de l'Environnement : « Je ne pouvais pas émettre un permis comme ça (…) j'ai vu l'ampleur que ça avait pris. Ils sont tellement gros que c'est industriel.», affirme Mme Melanson.

Le ministère conclue que le remblayage «est susceptible de contaminer l'environnement» et exige que les lieux soient remis en état. Une autre mauvaise surprise attend les représentants du ministère : la scierie opère sans certificat d'autorisation du ministère de l'Environnement.

Pour obtenir un tel certificat, la municipalité doit confirmer au ministère que l'entreprise respecte toutes les normes municipales. Impossible, puisque la scierie est une véritable industrie construite sur un terrain zoné récréotouristique où l'industrie n'a pas sa place.

Comment se fait-il que la municipalité ait accordé tous ces permis?

«Le permis donne le OK pour construire. On serait dans l'erreur
de penser que nous ne sommes pas conformes»

- Mathieu Lebeau, gérant de la scierie.

Le Conseil de ville se réunit

Lors de notre passage à St-Zénon, le conseil de ville s'est réuni.

La Facture a demandé à la mairesse de la municipalité, en poste depuis novembre 95, de nous expliquer comment l'entrepreneur a bien pu obtenir tous ces permis : celle-ci nous affirme «qu'il n'y a pas eu de passe-droit», que l'entrepreneur «attendait qu'on le prenne en défaut, ou encore, qu'il commençait les travaux avant de venir chercher les permis».

Ce soir-là, les résidants mécontents de l'expansion de la scierie avaient eux aussi des questions à poser à la mairesse. Voici en bref, ce qu'elle leurs a répondu :

Sur l'installation de la scierie : « Jusqu'au moment où l'écran végétal a été enlevé l'automne dernier, personne n'a rien dit. On a donc toléré que ça continue comme ça…»

Sur l'ampleur que l'entreprise a prise : « Il y a peut-être eu un certain laxisme à un moment donné au conseil, parce que personne ne parlait. Mais au début, il avait le droit de s'installer-là. Ils ont eu les permis puis, ça s'est transformé avec le temps. Maintenant, il nous reste à réagir face à ça ».

 

Impasse pour la municipalité

St-Zénon est dans un cul-de-sac. Elle ne peut changer le zonage du terrain de la scierie sans susciter la colère des citoyens :

«Les gens ne veulent pas qu'on transforme ça en zone industrielle? On ne le fera pas», affirme la mairesse.

Et la scierie ne peut fonctionner à moins d'un changement de zonage ou d'un déménagement :

«On a des résidants, on a aussi des villégiateurs. On comprend qu'ils ont des raisons de se plaindre, on comprend qu'ils ont droit de faire valoir leur point de vue. On comprend aussi que les résidants ou les travailleurs de St-Zénon qui travaillent dans cette usine viennent me voir et me disent : Mme la mairesse, est-ce que je vais perdre ma job?», ajoute la mairesse.

L'inspecteur en bâtiment perd son emploi

Mais la première à perdre son emploi dans cette histoire, c'est Linda Melanson. Le Conseil a décidé de ne pas la réengager au poste d'inspecteur en bâtiment. Rappelez-vous : c'est elle qui a alerté le ministère de l'Environnement au sujet de la scierie.

En conclusion…

Il semble que les propriétaires de la scierie sortiront gagnants de cet affrontement. Le 10 décembre 2002, le Conseil de ville de St-Zénon devait adopter une modification du plan d'urbanisme et du règlement de zonage afin d'agrandir sa zone industrielle pour y inclure la scierie.


Une modification qui devra être entérinée par la MRC, seul organisme qui peut encore se ranger du côté des défenseurs de la zone récréotouristique.




 


 

 

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