Émission 230

Le mardi 26 novembre 2002



Un don de 80 000 $
à l'acheteur de sa maison





En 2000, un agent immobilier propose d'acheter à titre privé la maison d'un Longueillois de 82 ans. Ils se connaissent à peine. Mais rapidement, les deux tissent des liens d'amitié à un point tel que le client fait de l'acheteur, son principal héritier.

Il arrive parfois que certaines personnes âgées ne saisissent pas du premier coup les tenants et aboutissants d'une transaction complexe comme celle que nous allons vous raconter. C'est à se demander si le propriétaire de notre histoire était bien conseillé. Il y avait pourtant un notaire dans cette histoire.



Les faits

Victime d'étourdissements et voyant sa santé défaillir, monsieur veut se débarrasser de ses responsabilités de propriétaire. Il décide de vendre sa maison. Mais au bout de deux ans, une condition qui est essentielle pour lui repousse les acheteurs : il veut demeurer locataire de son quadruplex.

À l'automne 2000, alors qu'il n'espère même plus et que sa maison n'est plus entre les mains d'un agent immobilier, un nouvel agent se présente chez lui. Il informe alors monsieur qu'il est intéressé à acheter sa propriété mais à titre privé et que monsieur pourrait, comme il le souhaite, demeurer locataire. Rapidement, les deux hommes développent un lien de confiance. Le prix de la propriété convenu entre les deux parties est alors de
275 000$.


L'agent et sa compagne achètent le quadruplex dans le mois suivant. Comme convenu, ils signent une promesse d'achat à 275 000$ . Mais étonnamment, ils signent deux documents chez le notaire :

- Un premier document qui est l'acte de vente au prix de
275 000$ . Or, ils ne paieront pas 275 000$, puisque…

- Il y a un deuxième document, qui parle plutôt d'une vente à 195 000 $. Et dans ce document, on dit que le propriétaire fait un don de 80 000$ à l'acheteur.

L'homme de notre histoire affirme qu'il n'avait pas compris qu'il donnait cette somme. Aujourd'hui, il veut annuler la transaction.

La version des trois parties

Le notaire Claude Sylvestre est formel : le vendeur était consentant dès le début : «C'est évident que monsieur ne gagnait rien dans cette transaction-là. (…) Il était victime mais il était victime consentante.»

Quant à l'acheteur, il refuse d'annuler la transaction. L'équipe de La Facture l'a rencontré chez son avocat mais sans la présence de nos caméras. Selon lui, le propriétaire est bien celui qui a proposé le don de 80 000$. Bien que se disant fort mal à l'aise face à une telle situation, le couple décide finalement d'accepter l'offre de monsieur.

Le vendeur lui, est catégorique : il affirme ne pas avoir compris la transaction : «Ils m'ont parlé d'un contrat qui représente un don (à l'acheteur) mais qui n'est pas enregistré (…) J'avais peur de perdre la vente. Je me demandais ce qui se passait.»

La Facture demande l'avis d'un autre notaire

Jean Lambert
a été président de la Chambre des notaires du Québec. Selon lui, un notaire doit s'assurer que les parties devant lui signent en toute connaissance de cause.


Mais le notaire Claude Sylvestre dit avoir pris toutes les précautions nécessaires en exigeant trois conditions à l'acte de vente : 1- Un rapport médical de l'acheteur (qui démontre que l'individu «est sain d'esprit»); 2- que celui-ci consulte un comptable, puis; 3- la signature d'une convention, dans laquelle monsieur affirme être «conscient qu'il y a une donation», bref, qu'il ne veut pas de cet argent. Monsieur remplit toutes ces exigences, bien qu'il considère que les deux premières aient été faites plutôt rapidement.

Chez le comptable, tous les calculs ont été faits sur la base d'une transaction à 275 000.$ Jamais la question du don de 80 000$ n'a été évoquée.


1 acte de vente, 2 documents : pourquoi?

Le notaire Sylvestre choisit de faire deux documents : le premier, un acte de vente de 275 000$, puis le deuxième appelé convention. Ce document notarié révèle que le montant de la vente de
275 000$ est fictif et que le vrai prix de vente est de 195 000 $. Cette convention parle d'un don de 80 000$ du vendeur à l'acheteur. Un type de transaction que le notaire Jean Lambert dénonce :

«Le notaire ne devrait pas instrumenter l'acte de vente en disant que le prix est X, alors qu'il est Y. C'est plus qu'anormal. Ça peut être un acte d'inscription en faux de l'acte. C'est très sérieux. C'est contraire à notre éthique professionnelle. Le notaire commet un faux.»

Un recours est-il possible?

«En examinant l'ensemble des éléments de la preuve, les tribunaux vont probablement reconnaître le principe de base de notre société civile, soit celui que les consentements doivent être donnés en toute connaissance de cause. En s'apercevant que l'une des parties ne l'a pas fait, ils annuleront la transaction»
- Jean Lambert, notaire.


Puis, l'acheteur devient… légataire universel

Après cette transaction, quelques semaines plus tard, monsieur pose un autre geste qu'il regrette aujourd'hui : il fait un testament dans lequel il fait de l'acheteur, son légataire universel. En d'autres mots, il lui lègue presque tout.

Aujourd'hui, monsieur, qui considère qu'il était confus à l'époque, a refait son testament en faveur de sa fille unique. Mais était-il confus? Nous l'ignorons. Une chose est certaine, il était perdant dans cette transaction.


En conclusion…

Monsieur est déterminé à aller jusqu'au bout. Il veut récupérer ses
80 000$ ou sa maison. Jusqu'à maintenant, il a porté plainte : à la Chambre des notaires, à l'Association des courtiers et agents immobiliers du Québec et à la police de Longueuil contre l'acheteur. Une enquête est en cours.


Une histoire que nous allons suivre!




Hyperliens pertinents :

Chambre des notaires du Québec


Association des courtiers et agents immobiliers du Québec

 



 


 

 

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