Émission 229

Le mardi 19 novembre 2002



S'endetter pour travailler




Au Canada, 15% des travailleurs sont des travailleurs autonomes. Dans le monde des conseillers en finances personnelles, ils sont presque tous autonomes, avec les avantages et les inconvénients que cela comporte.

Trois jeunes qui ont voulu entreprendre cette carrière avec un bureau du Groupe Investors de l'Ouest de l'île de Montréal s'en sont plutôt mal tirés. Ils se sont lourdement endettés plutôt que de s'enrichir. Mais leur a-t-on vraiment donné toutes les chances de réussir?

Tout avait commencé avec une publicité du Groupe Investors qui les avait séduit :

«Vous voulez être maître de votre destin… Découvrez comment gagner automatiquement un revenu à six chiffres…» (message publicitaire)




Les faits

Les trois jeunes de notre histoire rêvaient de faire carrière comme conseillers en finances personnelles. Ils ont joint une des succursales les plus performantes du Groupe Investors au Canada, le bureau de Pointe-Claire. Ils avaient toutes les raisons de croire qu'ils gagneraient beaucoup d'argent en touchant d'importantes commissions sur la vente de produits d'épargne retraite à des particuliers.

« J'ai relevé «ce défi» en accumulant une dette de
22 000$… »

«J'ai reçu la visite du huissier avec une lettre de réclamation que je leur devais 6743 $ environ.»

«Tu penses faire beaucoup d'argent et tu constates que tu as des frais à rembourser qui sont si élevés que tu es obligé de déclarer faillite.»

Mais voilà qu'après quelques mois à peine, ils ont tous quitté. La raison : non seulement n'ont-ils presque rien vendu, mais en plus, ils ont accumulé des dettes envers le directeur régional du bureau. La Facture a tenté de le rencontrer, mais il a refusé. Il nous a plutôt référé au vice-président d'Investors pour le Québec et les maritimes, Pierre Morin. Voici comment celui-ci explique les lourdes dettes des nouvelles recrues :

«C'est un rôle d'entrepreneur, avec les risques que ça impose. C'est-à-dire que c'est une opportunité qui est importante, mais également des risques qui sont importants. C'est la nature même de l'entrepreneurship.»

De lourdes dettes pour de jeunes recrues

Mais comment ces jeunes entrepreneurs ont-ils pu s'endetter autant? En attendant de recevoir des commissions sur les ventes à venir, le bureau de Pointe-Claire leur a proposé dans un contrat particulier une aide financière pouvant atteindre 30 000 $ en un an et qu'ils allaient devoir rembourser.

Ce soutien financier consistait plus précisément à une avance de commission, qui était versée aux employés à toutes les deux semaines : «Pour la majorité des gens, qui ont besoin de cet argent-là pour vivre, on s'en servait pour payer nos loyers, etc., mais aussi payer nos frais de bureau, les frais qu'on avait à payer à Investors», explique l'un des jeunes.

Des frais de bureau divers

· Le contrat du bureau de Pointe-Claire prévoit des frais de bureau de près de 700 $ par mois qui sont à la charge des conseillers : télécopies, papeterie, appels interurbains, photocopies, séminaires d'information pour les clients. À cela, s'ajoutent des dépenses pour les séminaires, la publicité, et pour l'équipement informatique.

· De plus, selon les trois recrues, d'autres frais prévus au contrat sont discutables : le café (même s'ils n'en prennent pas); des info-publicités à la télévision et à la radio; des formations obligatoires; des dons de charité au fonds de recherche sur les tumeurs cancéreuses de l'Université McGill et aussi; une contribution au fonds de développement de la région.

· En plus de ces frais de bureau, le contrat du bureau de Pointe-Claire prévoit également plusieurs activités obligatoires : solliciter la clientèle par téléphone seulement, cibler exclusivement des personnes possédant plus de 100 000 $ d'actif, suivre un horaire de travail strict, etc.

L'un des jeunes, qui a tenté d'obtenir plus d'explication sur toutes ces dépenses, affirme qu'on ne lui a jamais clairement répondu à ses questions.

Un horaire imposé

Bien qu'ils étaient travailleurs autonomes, des normes strictes apparaissaient dans le contrat des trois employés, tel leur horaire de travail, prévu de 8h30 à 5h30. Les heures travaillées étaient d'ailleurs contrôlées.

Pendant qu'ils accumulent des dettes sur leurs avances de fonds et qu'ils ne concluent presque aucune vente, les trois conseillers financiers se font donc non seulement exiger toutes sortes de frais de bureau, mais aussi imposer leur façon de travailler.

Une plainte auprès de la Commission des normes du travail

Déplorant la pratique de l'entreprise, l'un des trois travailleurs décide de porter plainte à la Commission des normes du travail.

Robert Rivest, de la Commission, croit que les trois jeunes ont tout à fait raison de se plaindre :


«Lorsqu'on va jusqu'au point de prévoir l'horaire de travail, lorsqu'on exige une certaine formation, lorsqu'on précise les méthodes de travail, c'est évident qu'on va bien au-delà de la notion qu'on peut connaître de la relation entrepreneur indépendant versus un client ou des clients.»

Quant à l'employeur, il considère qu'il ne s'agissait «pas du tout d'un contrat d'emploi, mais plutôt d'un contrat de financement, de démarrage d'entreprise».


Travailleurs autonomes ou salariés?

Tout compte fait, M. Rivest estime que les conseillers se retrouvent finalement avec tous les désavantages liés à un entrepreneur indépendant et aucun avantage lié à un salarié.

Travailleurs autonomes ou salariés? Ce sera à un tribunal de trancher sur le statut réel de ces conseillers financiers.

«À partir du moment où le statut est déterminé comme étant un statut de salarié, toute convention qui irait à l'encontre de ce statut-là serait considérée comme nulle, de nullité absolue.»
- Robert Rivest, Commission des normes du travail


En conclusion…

Si le contrat du directeur régional du bureau d'Investors de Pointe-Claire était annulé, les trois ex-conseillers pourraient avoir droit à un salaire pour les heures qu'ils ont travaillé. En déduisant ce salaire des avances de fonds qu'ils ont quand même reçu, leurs dettes pourraient s'en trouver considérablement réduites.

À ce jour, deux des ex-conseillers ont porté plainte auprès de la Commission des normes du travail. Quant au troisième, il devrait le faire sous peu.

Déjà, la Commission des normes a mis en demeure le directeur régional et le bureau de Pointe-Claire de verser un salaire à l'un des deux plaignants. Devant un refus, la cause se retrouvera devant les tribunaux.

Une histoire que nous allons suivre!


Hyperliens pertinents :

Commission des normes du travail du Québec

Groupe Investors


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