Émission 225

Le mardi 22 octobre 2002

 




Les bijoux de plomb




Voici de faux bijoux, mais qui peuvent être de vrais dangers. Il s'agit de bijoux pour enfants, disponibles partout, pour pas cher. Des bijoux qui contiennent du plomb. Pourtant, depuis plus de dix ans, parce que c'est toxique, le gouvernement canadien a interdit l'utilisation du plomb dans de nombreux produits dont l'essence et la peinture. Il a aussi établi des normes quant à la présence du plomb dans certains objets destinés aux enfants. Une de nos équipes vient de compléter une enquête sur ces bijoux pour enfants. Les résultats sont inquiétants.



«On peut avoir une intoxication qui peut être extrêmement sévère chez l'enfant et dans certains cas, une intoxication qui pourrait être mortelle.»
- Albert Nantel, toxicologue
«Je trouve ça vraiment inquiétant comme parent, surtout les enfants qui pourraient être en contact avec ces produits-là.»
- Monique Lucas.

Des bijoux bon marché. Des objets en apparence inoffensifs, mais qui contiennent du plomb. Un métal toxique, particulièrement pour les enfants, comme nous l'explique Albert Nantel, toxicologue :

«Les enfants sont plus vulnérables que les adultes à cause du fait que le plomb va affecter le système nerveux et surtout au moment où il est en croissance, au moment où il se développe chez l'enfant.»

Albert Nantel est médecin toxicologue. Depuis plus de vingt ans, il a fait dela lutte contre le plomb l'un de ses principaux chevaux de bataille : «Tout objet qui contient du plomb et qui est d'une dimension suffisante pour que l'enfant puisse le mettre dans sa bouche présente un potentiel de risque.»


Le plomb a petit un goût sucré. Un pendentif qui en contient risque donc de se retrouver dans la bouche d'un enfant. Le danger, c'est que l'enfant prenne l'habitude de le porter à sa bouche chaque jour souvent, régulièrement et le mâche.

Le cas de la petite Lindsay


Lindsay Svendsen de Calgary avait justement cette habitude. En mars 2001, nos collègues de la CBC racontaient son histoire. Alors qu'elle avait quatre ans, elle subit une grave intoxication au plomb. La source de l'empoisonnement : ce pendentif fait entièrement de plomb.

«On le voyait dans sa bouche et on lui disait toujours: "Lindsay, mets pas ça dans ta bouche" et elle obéissait. Mais elle l'avait quand même souvent dans sa bouche.» - affirme sa mère.

L'intoxication au plomb de Lindsay a été diagnostiquée à temps. La petite fille a pu être soignée. Mais ce type d'empoisonnement passe souvent inaperçu, car ses symptômes s'apparentent à ceux de la grippe, comme le souligne M. Nantel : «Le plus grand risque de l'intoxication au plomb, ce n'est pas le fait de pouvoir le traiter (…) c'est de manquer le diagnostic».

L'histoire de la petite Lindsay a fait réagir Ottawa. Dans une lettre datée d'avril 1999, Santé Canada sollicite la collaboration de 8000 entreprises. Le ministère leur suggère de s'assurer que la teneur en plomb des bijoux destinés aux enfants de moins de 15 ans ne dépasse pas la norme fédérale de 65 parties par million. Mais aucune pénalité n'est prévue pour les entreprises qui refuseraient de s'y conformer.



La Facture enquête

Trois ans après ces recommandations, La Facture a voulu savoir si parents et enfants risquaient encore d'acheter des bijoux dont la teneur en plomb dépasse les 65 ppm. Nous avons acheté une vingtaine de bijoux de fantaisie dans les magasins Ardène, Rossy et Wal Mart. La valeur moyenne de ces bijoux : moins de 7 $. Nos bijoux ont ensuite été expédiés à Québec, au Laboratoire de toxicologie de l'Institut national de santé publique. À notre demande, ils ont été analysés pour connaître leur teneur en plomb. Or, les résultats sont étonnants :

Tous les bijoux analysés contiennent du plomb. Et six d'entre eux dépassent largement la norme fédérale des 65 parties par million.



Celui-ci contient 303 ppm de plomb, c'est quatre fois la norme de Santé Canada.

Celui-là, 353 ppm, plus de cinq fois la norme.



Et ce dernier, 360 ppm, c'est presque six fois plus de plomb que la limite de 65 ppm de Santé Canada.


Que se passe-t-il dans l'organisme?

Que se passe-t-il si un enfant mâche à répétition ou s'il a constamment dans sa bouche un bijou qui contient du plomb dépassant autant la norme?

1- Le plomb est d'abord dissout dans la salive;
2- Il est ensuite transporté via l'œsophage vers l'estomac;
3- Il est absorbé dans le sang qui le transporte aux différents organes cibles : le foie, les reins, la rate, le cœur, les poumons.
4- «Mais surtout, ce qui est le plus grave, (c'est que le plomb se dirigera vers le) système nerveux central, et c'est là qu'il peut créer le plus grave problème, c'est-à-dire un risque de ralentissement du développement psychomoteur chez l'enfant», explique Albert Nantel.

Des bijoux presque tout en plomb

L'analyse nous réservait une autre surprise : certains bijoux sont presque entièrement faits de plomb :

Monique Lucas est vice-présidente de l'Association québécoise pour les enfants avec des troubles d'apprentissage. Le plomb étant justement l'une des causes des troubles d'apprentissage chez l'enfant, elle se dit préoccupée par ses résultats. D'autant plus qu'elle était convaincue que des normes fédérales strictes existaient sur le sujet : «J'avais l'impression qu'au Canada, on était bien protégé pour le plomb quand on l'a éliminé dans les peintures, dans l'essence et même dans les boîtes de conserves, il y a plusieurs années. Alors on ne s'attend pas à en (retrouver) dans des objets et en si grandes quantités»

«Dans certains pays, (où) des enfants ont été exposés au plomb, (ils) ont même développé jusqu'à une déficience intellectuelle, (ce qui est donc) beaucoup plus sévère que des troubles d'apprentissage», ajoute-t-elle.


Des commerçants qui font fi des recommandations
de Santé Canada

Comment se fait-il qu'on trouve encore des bijoux destinés à des enfants de moins de 15 ans qui contiennent du plomb dans des proportions dépassant jusqu'à 5 fois la limite de Santé Canada? Rossy et Ardène ont refusé de répondre à la question. Mais chez Wal Mart, on conteste cette limite de 15 ans, car on estime qu'elle serait trop difficile à appliquer :

«Comment peut-on distinguer un bijou fait pour un adolescent d'un bijou fait pour un adulte ? (…) Je ne crois pas que l'âge de 15 ans va fonctionner pour les détaillants parce que dans les faits, ça voudrait dire qu'il ne se vendrait plus aucun bijou dans ce pays», affirme le porte-parole du magasin.

Wal Mart affirme avoir tout de même retiré de ses tablettes des bijoux contenant du plomb. Mais le détaillant aurait retiré seulement ceux qui sont destinés à des enfants de moins de six ans. Or selon M. Nantel, le risque n'est pas pour autant éliminé : «Ce n'est pas parce que la jeune fille qui reçoit le bijou est assez vieille pour savoir qu'elle ne doit pas le mettre dans sa bouche qu'il n'y a pas de risque pour ses jeunes frères et sœurs dans la même maison».

Les trois détaillants que nous avons visités ne contrôlent donc pas les teneurs en plomb de tous les bijoux qu'ils ont en magasin. Chez Santé Canada, on ne s'en étonne pas :
«Il y en aura toujours qui vont se conformer au programme, (et) toujours un grand nombre qui ne le feront pas»


- Charles Éthier, directeur général, Bureau de la sécurité des produits.


Santé Canada décide d'adopter une réglementation spéciale

Comme ses recommandations n'ont pas été suivies à la lettre, Santé Canada prend les grands moyens : La Facture a appris que le ministère va interdire par une réglementation spéciale la vente de tout bijoux dont la teneur en plomb dépasse 65 ppm. Mais est-ce réalisable?

«C'est peut-être ambitieux sauf que dans l'élaboration de la réglementation, il y a eu des consultations avec les importateurs aussi bien (qu'avec) les fabricants, et puis tous sont d'accord. On s'attend à ce que les importateurs coopèrent pleinement avec la réglementation sinon, on peut tout simplement les obliger à retirer les bijoux du marché», déclare M. Éthier.

Albert Nantel estime que l'intervention de certaines ressources, notamment celle des inspecteurs, se verra fort importante dans l'application de cette nouvelle réglementation. Mais d'ici à ce qu'on voit des inspecteurs de Santé Canada retirer des bijoux des tablettes, il faudra attendre au plus tôt l'été 2003, soit plus de cinq ans après l'intoxication de la petite Lindsay.


«En attendant une réglementation qui serait vraiment meilleure, je pense que les parents devraient ne pas acheter de bijoux à moins d'être certains qu'ils n'en contiennent pas.»


- Monique Lucas, vice-présidente de l'Association québécoise pour les enfants avec des troubles d'apprentissage.

***

«Qu'on utilise du plomb, c'est simplement à cause du coût. Ça ne coûte pas cher et c'est lourd. Je pense qu'on peut essayer de trouver des solutions alternatives, que ce soit en plastique, que ce soit avec d'autres matériaux que le plomb. (...) Le risque ne vaut pas le bénéfice que peut avoir un enfant.»

- Albert Nantel, médecin toxicologue.



En conclusion…

La nouvelle réglementation qui contrôlera la quantité de plomb dans les bijoux de fantaisie devrait être en vigueur l'été prochain. Entre-temps, pour savoir si un objet contient du plomb, un des tests consiste à écrire sur une feuille de papier : si ça laisse une marque grise, c'est que ça contient du plomb, comme les anciens crayons de bois. Mais, ce n'est pas un test infaillible puisque certains bijoux sont recouverts d'un autre métal.


D’ici l’été 2003, Wal Mart prévoit avoir retiré tous les bijoux de fantaisie contenant du plomb au-delà de 65 ppm, donc peu importe l’âge de la clientèle visée et ce, dans l'ensemble des magasins du pays.



Hyperliens pertinents :

Santé Canada

Centre anti-poison du Québec
Institut national de santé publique du Québec (INSPQ)

Tél.: 1 800 463-5060

Global Lead Networks





 


 

 

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