Émission 224

Le mardi 15 octobre 2002



Un pourboire partagé
avec ses patrons




Comment réagiriez-vous si votre employeur gardait une partie de votre salaire pour payer d'autres employés? L'homme de notre histoire est un serveur d'expérience. Et comme bien des serveurs de restaurant, il a vu son employeur prélever sur ses pourboires un pourcentage élevé dans le seul but d'augmenter le salaire de certains cadres.

Une équipe de La Facture s'est intéressée à son histoire.





Les faits...

En mai 2001, monsieur est embauché comme serveur pour le restaurant d'un hôtel situé au pied du Mont-Tremblant. Pendant neuf mois, il se heurte à la politique de partage des pourboires en place dans ce restaurant. Selon cette politique, les serveurs ne reçoivent pas la totalité de leurs pourboires mais doivent les partager avec le chef cuisinier, le superviseur et le directeur de la restauration.

Le pourboire, qui est obligatoire dans ce restaurant, est fixé à 15 pour cent. Comme la direction garde 4 %, il ne reste donc aux serveurs que 11 %. Une politique interne avec laquelle monsieur est tout à fait en désaccord. Il ne voit pas pourquoi il devrait donner un pourcentage de ses pourboires à des employés qui n'effectuent pas les mêmes quarts de travail que lui et qui, par conséquent, ne lui apportent aucune aide :

«(…) un directeur de la restauration travaille de 8h00 le matin à 4h00 pm, alors que moi je travaille de 4h00 à
1 heure du matin (…) C'est normal de payer le barman qui prépare tes drinks, pour services rendus, mais de là à donner de l'argent sans avoir rien eu en retour, c'est aberrant.»


Consterné, monsieur se plaint à la direction à plusieurs reprises. Des réunions ont lieu pour tenter de corriger la situation, mais aucune entente n'est conclue.

En janvier 2002, de plus en plus frustrés, monsieur et quatre autres serveurs démissionnent avec fracas. Puis, ils portent plainte à la Commission des normes du travail.


Que dit la loi?

*L'article de la loi qui concerne les serveurs prévoit que le pourboire appartient en propre aux salariés qui ont rendu le service, soit le salarié à pourboire.

*Par ailleurs, il faut que 100 % des pourboires soit remis aux employés à pourboires.

Or, à ce sujet, le directeur de l'hôtel a une toute autre position : il estime que les cadres exécutent des tâches qui le justifie de retenir une partie des pourboires des serveurs : «Selon moi, définitivement, les superviseurs et souvent le directeur de nourriture et boissons est impliqué dans le service (…) Les cuisines sont situées au niveau inférieur et souvent, c'est le superviseur qui fait la promenade entre la cuisine et la salle à manger pour amener les cabarets de serveurs (…) La préparation de l'assiette et le décor qu'on lui emporte, selon moi, ça fait partie intégrante du service qu'on rend aux clients.»

La Commission des normes du travail n'est pas d'accord. Selon l'organisme, l'employé qui touche le pourboire doit avoir un contact direct avec le client. Dans un restaurant, par exemple, il accueille la clientèle, prend les commandes, sert les aliments et remet l'addition.

Or selon la Commission, ni le cuisinier, ni le directeur de la restauration ne rentrent dans ces critères.


Le partage des pourboires est-il permis?


La Commission des normes du travail permet le partage des pourboires, mais à une seule condition : l'employé doit y consentir de plein gré : «Ce sont les employés à pourboire qui doivent décider du pourcentage (…) qui est remis à leurs collègues», nous explique M. Guy Poirier, directeur des affaires juridiques de la Commission des normes du travail. L'employeur ne peut donc pas prendre la décision pour eux, «Ils doivent demander ou voir leur accord.», précise-t-il.

Et justement, monsieur n'accepte pas de partager ses pourboires avec le directeur, le superviseur et le cuisinier de l'hôtel : «C'est pas à moi à payer pour les autres employés.»

Le directeur de l'hôtel, lui, estime qu'il ne «lésait personne à l'intérieur de ça.»



Une pratique de plus en plus populaire en restauration


«
C'est du vol, c'est carrément du vol»
- André Morin.

Selon André Morin, vice-président de l'Association des travailleurs et travailleuses de la restauration et de l'hôtellerie, le cas de monsieur est loin d'être unique : le pourboire est de plus en plus détourné au profit des restaurateurs :

«Maintenant, c'est presque une pratique d'embauche. Au moment où on t'embauche, on te dit : "Si tu veux travailler ici, tu dois donner 2, 3,4, 5 et même dans des cas, 6 % de tes ventes. Tu dois nous remettre ça en comptant."»

Or, c'est ce qui est exactement arrivé au serveur de notre histoire lors de son embauche : s'il n'acceptait pas cette politique, il n'avait tout simplement pas l'emploi. Même le directeur de l'hôtel a admis que les employés ne souhaitaient pas vraiment partager leurs pourboires avec d'autres employés.

Et c'est justement ce que la Commission des normes du travail a découvert lors de son enquête à cet hôtel : la direction de l'hôtel n'avait pas l'accord de ses employés pour partager leurs pourboires.


La Commission dénonce, l'hôtelier applique toujours sa politique


Le serveur et ses quatre collègues ont gagné leur cause. Non seulement la Commission des normes du travail donne raison à monsieur, mais elle va plus loin :




*Elle réclame au nom de 45 autres serveurs qui ont travaillé à cet hôtel au cours des deux dernières années, la somme de 56 mille 500 dollars pour des pourboires retenus et redistribués illégalement.

*Elle réclame également 11 mille dollars à titre de pénalités.

*Mais la bataille des serveurs est loin d'être terminée. Le directeur de l'hôtel refuse de payer. À ses yeux, la procédure était non seulement «connue des gens» mais aussi «légale».




«C'est frustrant, le pourboire, c'est ça qui paie mon loyer, mes dépenses quotidiennes (…) ce n'est pas 7 dollars de l'heure qui va payer mes dépenses.» - le serveur.

Devant ce refus, la Commission des normes du travail poursuit la direction de l'hôtel en cour Supérieure. Mais la direction de l'hôtel est tellement convaincue d'être dans son droit qu'elle n'a pas changé sa pratique et retient, encore aujourd'hui, une partie des pourboires de ses employés.

Entre-temps, la direction a pris quelques précautions. Maintenant, lors de l'embauche, les nouveaux employés signent une entente à l'effet «qu'ils connaissent le système de redistribution de pourboires et qu'ils sont d'accord avec ce système.», affirme le directeur de l'hôtel.

En conclusion…

Au printemps dernier, le ministre du travail, Jean Rochon, a tenu une série de consultations publiques en vue de procéder à une révision de la loi sur les normes du travail.

À cette occasion, les restaurateurs et les employés à pourboires ont présenté des points de vue diamétralement opposés :

*L'Association des restaurateurs du Québec trouve inconcevable que le serveur soit le seul bénéficiaire du pourboire.

* De son côté, l'Association des travailleurs de la restauration et de l'hôtellerie estime que l'on doit mettre fin à ce qu'ils appellent «le détournement du pourboire au profit du restaurateur».

* Une décision du ministre est attendue cet automne.


Hyperliens pertinents :

Association des restaurateurs du Québec
NB : site en construction!

Des sommes prélevées illégalement par des patrons
Article, Claudette Samson, 27 janvier 2002, Le Soleil.



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