Coussins
gonflables reconstruits, protection explosive
Une
enquête de La Facture
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L'équipement
standard des véhicules neufs comprend des coussins gonflables. C'est
un système formé d'une capsule et d'un sac.
Lors d'un accident, la capsule produit un gaz qui gonfle le sac. Ce
dernier se déploie pour éviter normalement à l'automobiliste d'être
blessé et, parfois, de mourir.
Des coussins potentiellement dangereux
Mais il existe présentement au Canada des milliers de voitures équipées
de coussins gonflables qui risquent de blesser le conducteur. Ces coussins
ne sont pas neufs. Ils ont été reconstruits dans l'atelier de la compagnie
Coussins gonflables Demers, à Québec.
Avant
les Fêtes, la Société de l'assurance automobile du Québec est intervenue
pour retracer les 11 000 coussins Demers.
La Facture, avec la collaboration de l'émission Market
Place, de la CBC, a voulu savoir comment ces coussins ont pu être vendus
en toute légalité.
Un cas comme il y en a des milliers
Le propriétaire d'un lave-auto de Québec acquiert une voiture accidentée
en 2000. Il doit remplacer les coussins gonflables.
Il opte pour des coussins reconstruits par Coussins gonflables Demers
à cause du prix : ils coûtent 1095 $, tandis qu'il devrait
débourser 3000 $ pour des coussins neufs.
Les réparations terminées, il fait inspecter sa voiture par la Société
de l'assurance automobile du Québec, qui décide des règles à suivre
pour remettre les véhicules accidentés sur la route.
Sa
voiture reçoit la vignette prouvant qu'elle répond aux normes de la
SAAQ. Le propriétaire du lave-auto peut rouler en toute quiétude.
Il faut savoir que, pour la SAAQ, l'origine d'un coussin gonflable n'a
aucune importance.
Ce que confirme le mécanicien Alain Lacasse, à l'emploi d'un
mandataire de la SAAQ : « La seule chose importante,
c'était qu'il y en ait un [...] fonctionnel ».
La SAAQ réagit
Mais en novembre 2001, c'est la consternation : la SAAQ avise la
population du danger potentiel que représentent les coussins reconstruits,
à la suite de tests qu'on leur a fait passer.
La
Société obtient une injonction forçant deux compagnies appartenant à
Stéphane Demers, Coussins gonflables Demers et National sacs gonflables,
à cesser leurs activités.
En outre, plus de 11 000 coussins vendus au Canada, dont 7000 au
Québec, sont rappelés.
Le 20 décembre, les deux compagnies de Stéphane Demers déclarent faillite.
La
méthode Demers
La
Facture a obtenu une bande vidéo dans laquelle Stéphane Demers
explique comment on reconstruisait les coussins gonflables avec des
pièces d'occasion.
Ce qu'il n'explique pas, c'est la façon de fabriquer les cartouches
explosives.
Mais un ex-employé de la compagnie a dénoncé les pratiques de Coussins
gonflables Demers à la SAAQ. Il dit avoir « constaté
que de la poudre à canon était utilisée comme détonateur, sans savoir
le poids qu'il était nécessaire d'y placer ».
Il
poursuit : « J'ai été [...] témoin de tests de
déploiement faits dans la bâtisse. [...] La plupart du temps, ça ne
fonctionnait pas. Soit ça explosait trop, soit ça prenait en feu ».
Maître
Claude Gélinas, de la SAAQ, renchérit : « C'était
vraiment des coussins gonflables artisanaux, faits d'une façon clandestine
avec des explosifs. [...] C'était très dangereux! ».
Les tests de La Facture
La Facture a demandé au Centre d'essais routiers
de Transport Canada de Blainville, au nord de Montréal, de refaire,
sur des coussins gonflables Demers, des tests semblables à ceux effectués
par la SAAQ.
Les images du premier test, passées au ralenti, révèlent que le coussin
Demers ne se déploie pas vers l'avant, mais qu'il sort plutôt par les
côtés. De plus, il s'enflamme, et des particules incandescentes sont
projetées dans l'air.
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Michel
Gou, l'ingénieur qui dirige l'équipe de recherche en sécurité routière
de l'École polytechnique de Montréal, a déjà reçu de la SAAQ le mandat
d'effectuer des tests sur des coussins reconstruits par Demers.
Il commente ce premier test : « En fait, on a
vu pire que ça, mais on en a vu comme ça ».
Les
résultats du deuxième test ne sont pas meilleurs.
Cette fois, le coussin n'explose pas, mais il ne se déploie pas complètement
et se dégonfle très rapidement. Résultat : le conducteur n'est
pas protégé.
Michel
Gou conclut : « On fait deux déploiements
et les deux sont différents. Donc, ça montre qu'il n'y a aucun contrôle
de qualité chez Demers ».
Les explications de Stéphane Demers
Stéphane Demers a accepté de rencontrer La Facture,
mais derrière des portes closes et en présence de son avocat.
Selon
lui, ses coussins offraient toutes les garanties de sécurité :
« Quand j'apposais le sceau à l'arrière, mon petit
sticker gris, c'était parce que c'était parfait ».
Sur ce sceau, on peut lire : SAC pour Sécurité Automobile
Canadienne.
La
Facture a découvert la signification de cette appellation dans
les documents constitutifs de sa compagnie.
SAC est un autre nom donné à Coussins gonflables Demers.
Autrement dit, le patron approuvait lui-même ses produits, sans que
la SAAQ n'en vérifie la qualité.
La SAAQ blâmée
Le propriétaire du lave-auto qui a fait installer des coussins
Demers sur sa voiture reproche cette négligence à la SAAQ.
Les
recycleurs de pièces d'autos qui fournissaient l'entreprise de Stéphane
Demers formulent aussi ce reproche, par la voix du président de leur
association, Michel Robert : « Moi, je conclus
que la SAAQ aurait dû mettre ses culottes et aller frapper à la porte
bien avant ça ».
Retracer les véhicules potentiellement
dangereux
Que fait la SAAQ pour retracer les propriétaires d'une voiture équipée
de coussins potentiellement dangereux?
Elle a identifié, selon maître Claude Gélinas, des concessionnaires
et des carrossiers qui avaient acheté chez Demers. « Toutes
ces personnes ont reçu une lettre, et il appartient maintenant aux carrossiers
et aux concessionnaires de communiquer avec les propriétaires à qui
ils ont soit vendu soit installé les coussins gonflables. »
Cette méthode n'a pas donné de bons résultats jusqu'ici : sur les
7795 coussins vendus au Québec, la SAAQ peut confirmer que seulement
238 avaient été désactivés ou remplacés le 11 mars.
Les
autres n'ont pas encore été retracés.
Plusieurs questions restent en suspens, notamment sur la responsabilité
de la SAAQ dans la mise en marché de ces coussins explosifs, sur sa
rapidité d'intervention et sur les recours des consommateurs.
Des questions auxquelles la suite de cette enquête répondra la semaine
prochaine.
Un dossier à suivre.
Un
certificat de dépôt disparaît
sans laisser de trace
Il
existe plusieurs façons d'épargner : le certificat de dépôt à
terme en est une. Tout détenteur d'un certificat doit savoir qu'il
y a des limites au-delà desquelles il devient difficile, voire impossible,
de l'encaisser.
Comme a pu le constater une femme de Longueuil, au sud de Montréal.
Son bas de laine secret
En
1985, cette femme achète un certificat de dépôt à terme de 5000 $
à sa succursale de la Banque Nationale.
Elle le classe, puis l'oublie. Pire, elle ne le retrouve pas.
Il
se passe 12 ans avant que son mari, avec lequel elle a divorcé
entre-temps, retrouve le certificat en classant divers documents.
La cliente se rend à sa succursale bancaire avec le certificat pour
encaisser le capital et les intérêts.
L'employée de la banque lui demande un mois pour s'occuper du certificat.
Le certificat ne laisse
aucune trace à la banque
Un
mois plus tard, la cliente retourne à la banque.
On lui dit qu'il n'y a plus de trace de son certificat à la banque.
Ainsi, rien ne prouve qu'elle ne l'a pas encaissé.
En 2000, sa succursale de la Banque Nationale est fusionnée avec une
autre.
La cliente tente de nouveau sa chance. On lui répond qu'elle aurait
dû encaisser le certificat plus tôt.
L'explication de la BN
La Facture a soumis son cas au premier vice-président
de la Banque Nationale.
Jean Houde affirme que la banque informe ses clients de l'état de
leurs avoirs : « Quand vous avez un certificat
de dépôt chez nous, on vous envoie un état de compte mensuellement
ou trimestriellement, ou encore annuellement ».
Pourtant, la cliente affirme qu'elle n'en a jamais reçu.
Ce qui est corroboré par son ex-mari.
Comment la Banque Nationale procédait-elle dans les années 1980 quand
un certificat arrivait à échéance?
Selon
le premier vice-président Jean Houde, la banque avait deux procédures
possibles : soit elle déposait l'argent dans le compte du client
sans qu'il ait besoin de signer de document, soit elle exigeait sa
signature.
Et il ajoute : « L'argent, normalement, s'est
retrouvé dans le compte de la cliente. C'est ça notre pratique. »
Mais
la cliente est catégorique : les 5000 $, plus les intérêts,
n'ont jamais été déposés dans son compte.
Version que corrobore encore une fois son ex-mari.
Un document non signé
C'est lui, ajoute-t-il, qui s'occupait des affaires du couple, et
chaque fois qu'il transigeait un certificat à la banque, il était
obligé de le signer au verso. Et ce certificat n'est pas signé.
Seulement, l'absence de signature sur le document ne convainc pas
le vice-président, Jean Houde, qui répète que la banque avait
une pratique double.
Bien que la banque soutienne avoir versé l'argent dans le compte de
la cliente, son premier vice-président admet qu'il n'y a pas de preuve
écrite.
« Nous, dit le premier vice-président de
la Banque Nationale, dans le cas des comptes inactifs, c'est-à-dire
des comptes où les clients n'interviennent pas pendant une période
de 10 ans, […] on les envoie à la Banque du Canada ».
La
cliente a demandé à la Banque du Canada, en 2000, si son argent s'y
trouvait.
On lui a répondu n'avoir rien à son nom, ni à son numéro de compte.
Pas d'argent et pas de données
Non seulement la Banque Nationale transfère l'argent des comptes
inactifs après 10 ans, mais elle détruit aussi toutes les données
existantes concernant ces transactions. La cliente se dit surprise
de cette pratique.
Ce
à quoi répond Jean Houde, le vice-président de la Banque Nationale :
« Il faut aussi s'occuper de ses affaires. On ne
peut pas juste renvoyer la balle à l'institution en disant :
Maintenant, démontre-moi que je n'ai pas reçu mon argent.
Ce serait trop facile ».
Sauf que la cliente croyait son argent en sécurité parce que, justement,
il était à la banque.
Que faire?
La cliente
a-t-elle un recours?
Maître Marc Migneault, d'Option consommateurs, répond :« Madame
a un problème parce qu'elle a constaté le problème en 1997, et qu'en
principe, en droit civil, les recours se prescrivent par trois ans.
[…] Ça veut dire que, pour ce genre de recours, on a trois ans pour
intenter une poursuite contre l'autre partie. Et elle ne l'a pas fait ».
Autrement dit, la cliente avait jusqu'en 2000 pour intenter une poursuite
contre la Banque Nationale.
Malgré cela, maître Migneault croit que tout n'est pas perdu :
« Il est possible qu'un juge vous dise : Oui,
il y a une prescription. Mais en même temps, est-ce que la banque
peut invoquer sa propre négligence ou sa propre turpitude? Une banque
qui décide de détruire [des documents] le fait à ses risques et périls »,
conclut maître Migneault.
Ainsi, la cliente aurait un recours parce que la banque est incapable
de prouver qu'elle a transféré son argent dans son compte bancaire
et que, de plus, il n'est pas à la Banque du Canada.
Si la Banque Nationale y avait transféré son argent comme elle aurait
dû le faire en 1995, la cliente aurait bénéficié d'un délai de 10
ans, soit jusqu'en 2005, pour le réclamer.
La cliente n'accepte pas le refus de la Banque Nationale.
Aussi
pourra-t-elle déposer une requête à la Division des petites
créances. Elle pourrait au moins récupérer 3000 $, montant qui
constitue, à l'heure actuelle, la limite des réclamations permises
par cette cour.