Émission 211

Le mardi 22 janvier 2002


Vol à l'étalage : des commerçants imposent de lourdes amendes


Le vol à l'étalage fait perdre en moyenne 835 000 $ par jour aux commerçants québécois. Pour lutter contre ce fléau, de nombreux magasins à rayons imposent eux-mêmes des amendes importantes aux voleurs pris sur le fait.


S'ils ne payent pas, on les menace de poursuite civile. Plusieurs consommateurs se demandent si c'est une forme de justice privée, d'abus de pouvoir de la part de commerçants qui se substituent aux policiers et aux juges.


Une grosse amende pour un vol dérisoire


C'est le cas d'un homme de l'arrondissement de Saint-Léonard, à Montréal.

En septembre dernier, il est arrêté en présence de sa mère, dans le magasin Canadian Tire de Montréal-Nord.

Il a volé deux recharges désodorisantes pour la voiture, d'une valeur de 3,49 $.

Le détective de l'établissement l'emmène dans un bureau et lui montre une vidéo : il s'y voit en train de mettre les recharges dans ses poches, puis dans le sac d'emplette de sa mère.

La preuve est accablante.

On lui propose de payer immédiatement une amende de 315 $.

Sinon, les avocats du magasin lui enverront une mise en demeure l'informant que, s'il ne paie pas, il sera poursuivi en cour civile.


Une réaction au laxisme des tribunaux?

Le directeur de la sécurité de la chaîne Canadian Tire prétend que le système des amendes est plus dissuasif que le système judiciaire.

Selon lui, les tribunaux ne prennent pas le vol à l'étalage au sérieux : les contrevenants sont condamnés à une amende de 25 $, dit-il, avant d'être renvoyés chez eux.

Il ajoute que le magasin, de son côté, perd beaucoup de temps et d'argent dans la poursuite.


Pourquoi une somme aussi importante?


Mais, exiger 325 $ pour un vol de 3,49 $, n'est-ce pas exagéré?

Le directeur de la sécurité répond que sur les 325$, il reste 196 $ au magasin une fois l'avocat payé.

L'an dernier, le programme de poursuites au civil a rapporté quelque 24 000 $ au magasin Canadian Tire de Montréal-Nord.

Cette somme a permis d'éponger une partie des 80 000 $ consacrés annuellement à la sécurité.

Et ce commerce n'est pas le seul à avoir un programme de poursuites au civil.


Les commerces exigent un montant fixe


On estime que la moitié des commerces canadiens de moyenne et de grande surface en ont un.

Et la plupart exige des montants fixes.

Maître Sylvain Landry n'est pas d'accord avec ce procédé : «Lorsqu'on arrive avec un tarif "uniforme" de 300 à 400 $, j'ai un petit peu de réserve. Je ne suis pas sûr qu'un tribunal accorderait un tel montant.»

Car un montant fixe ne tient pas compte de la gravité du vol ni des autres préjudices subis par le commerçant, poursuit maître Landry.

Le seul jugement disponible dans une cause de vol à l'étalage remonte à 1997.

Zellers avait réclamé 540 $ en dommages et intérêts tandis que le juge lui avait accordé 215 $.


L'erreur à éviter

Notre citoyen de Saint-Léonard regrette d'avoir payé les 315 $ avant de quitter le magasin.

Mais il l'a fait parce que sa mère craignait qu'il n'ait un dossier criminel.

Selon maître Landry, c'est une erreur : «Lorsque la personne a payé, non seulement c'est un aveu, mais c'est une transaction au sens du Code civil. Et la personne ne peut pas obtenir de remboursement, même si elle se fait dire plus tard qu'elle n'aurait pas dû payer.»


Le voleur peut être poursuivi au criminel, mais...

Des poursuites au criminel peuvent être intentées contre les voleurs à l'étalage même si les commerçants les poursuivent au civil.


Dans le cas qui nous occupe, le magasin Canadian Tire a décidé de ne pas appeler les policiers, à cause de la présence de la mère en pleurs.

Pourtant, même si on avait appelé les policiers, le jeune homme n'aurait pas été poursuivi au criminel.

Car, depuis 1995, on n'intente pas de poursuite contre les adultes qui commettent des délits mineurs, s'ils ont un casier judiciaire vierge, et ce dans le but de désengorger les tribunaux.

Une recherche dans la jurisprudence montre qu'une seule poursuite pour vol à l'étalage a été jugée.

On peut donc penser que, lorsque les voleurs refusent de payer, les commerces n'ont pas tendance à les poursuivre en justice.


Le droit des commerçants

Cependant, cette poursuite unique, gagnée par Zellers, a permis de confirmer le droit des commerçants de réclamer des dommages exemplaires.

En réclamant une amende, ils agissent comme tout citoyen qui réclamerait le paiement de dommages à quelqu'un qui aurait abîmé sa propriété.


Hyperliens pertinents

Se protéger contre le vol à l'étalage et contre les poursuites en responsabilité pour atteinte à la réputation
Texte préparé à l'intention des commerçants par une avocate, qui fixe aussi les droits des contrevenants.

Le vol à l'étalage
Site de la Société québécoise d'information juridique.

Shoplifting : perception -réalité solutions
Site français rempli de statistiques sur le vol à l'étalage.

Le vol à l'étalage : la main dans le sac
Article tiré du magazine Filles d'aujourd'hui. Statistiques intéressantes sur le vol à l'étalage chez les adolescents.

 

 

 




Carte de débit : la responsabilité
des banques


Au Canada, les institutions financières sont censées protéger les détenteurs d'une carte de guichet automatique contre toute perte financière, s'ils sont victimes de fraude ou de vol.

Il y a un peu moins de 2 ans, La Facture a montré que ce n'est pas toujours le cas, en présentant l'histoire d'une consommatrice qui s'était fait voler sa carte à une succursale de la Banque de Montréal, à Longueuil.


La banque réclame le fruit du vol

En janvier 2000, la dame se rend au guichet de la banque.

Sur place, deux individus utilisent un subterfuge pour lui voler son numéro d'identification personnel et remplacer sa carte de débit par une autre obtenue frauduleusement.

La dame constate le vol de sa carte le jour même et en avise la banque immédiatement.

Mais les voleurs ont eu le temps de retirer 1000 $ de son compte, même s'il n'en contenait qu'une centaine.

Car le compte de la dame lui donne droit à un montant en cas de découvert.

Avec pour résultat qu'elle doit rembourser 945 $ à la banque.


Les banques sanctionnent les victimes

Comme nombre de consommateurs, elle s'est fait induire en erreur par sa banque.

Maître Édith Fortin, une experte en droit bancaire, explique qu'un code de pratique protège les détenteurs de carte dans des cas semblables et que les banques assument la responsabilité des pertes.

C'est en effet ce que dit le Code de pratique canadien des services de cartes de débit, un code d'éthique auquel toutes les banques ont adhéré.

Et c'est le gouvernement fédéral, via Industrie Canada, qui en surveille l'application.

Un code peu contraignant

Mais ce code n'est pas une loi.

En conséquence, Industrie Canada doit compter sur la bonne volonté des institutions financières pour l'appliquer.

Le résultat n'est pas reluisant : dans leurs conventions d'utilisation des cartes de guichet, six des huit principales institutions financières canadiennes contrevenaient au code de pratique en mars 2000. Ce qu'Industrie Canada ignorait jusque là.


Et aujourd'hui?

Qu'en est-il presque deux ans plus tard?

Les contrats de la CIBC et de la Banque nationale, qui protégeaient leurs clients en cas de fraude, sont restés conformes au Code de pratique canadien des cartes de débit.

Après la diffusion du reportage de La Facture, Industrie Canada a demandé aux six institutions contrevenant au code, de modifier leur contrat.


Le nouveau contrat de la Banque de Montréal


La Banque de Montréal l'a fait.

Mais, selon maître Édith Fortin, le nouveau contrat n'est pas plus clair : «On laisse supposer qu'il n'y a pas de responsabilité après avis (déclaration du vol ou de la perte de la carte de guichet), mais que, pour les sommes que le fraudeur a transigées avant avis, le client serait responsable.»

Elle ajoute que la clause est ambiguë : «On pourrait dire qu'elle est non conforme parce qu'elle n'est pas claire sur le fait que le client en aucun cas n'est responsable, ni avant, ni après (l'avis).»


Le contrat de la Banque Royale : non conforme

Industrie Canada a aussi demandé à la Banque Royale de se conformer au code de pratique car sa convention tient le détenteur de la carte responsable des transactions effectuées avant la déclaration de perte ou de vol.

«Comment est-ce qu'on peut les prévenir d'avance? interroge maître Fortin. Cette clause me semble impossible. Et une clause impossible est considérée comme nulle.»

Malgré le libellé de leur contrat, les deux banques affirment que leurs clients sont presque toujours protégés en cas de fraude.



La Toronto-Dominion procède au cas par cas

Quant au contrat de la Toronto-Dominion, il tient le détenteur d'une carte responsable de toutes les opérations non autorisées effectuées avant la réception d'un avis de fraude ou de vol.

Mais le contrat indique aussi que la TD peut, à sa discrétion, libérer son client de toute responsabilité, si elle retrouve le responsable de la fraude.

Pour maître Fortin, la banque fait du cas par cas.

Elle précise que si elle juge que son client a été négligent, la TD le tient responsable. «Ce n'est pas du tout ce que dit le code», conclut-elle.

La TD avait reçu, elle aussi, un avis d'Industrie Canada lui rappelant que les victimes de fraudes ne doivent pas être tenues responsables.

En vain.


L'obligation d'aviser immédiatement après le vol

Sur le nouveau contrat de la Banque Scotia, maître Fortin affirme : «L'obligation d'aviser immédiatement (après le vol) me semble lourde. Le code n'en impose pas autant parce qu'on peut facilement être dans des situations … où on ne réalise pas tout de suite ce qui s'est passé.»

De plus, elle reproche à la formulation du contrat de manquer de clarté. Ce qui, selon elle, peut entraîner un traitement différent, selon le préposé qui reçoit la plainte du client.


Le Mouvement Desjardins : pas responsable si...

Le Mouvement Desjardins ne tient pas le détenteur d'une carte responsable des pertes seulement s'il a été «obligé, sous la menace» de remettre sa carte à un voleur.

Pour tous les autres cas, maître Fortin qualifie le contrat d'ambigu.

Comme elle, Industrie Canada concluait l'an dernier que son contrat protège Desjardins.

Pourtant le Mouvement ne l'a pas modifié.


La bonne nouvelle

La Banque Laurentienne, enfin, est la seule à avoir modifié son contrat de manière à protéger complètement le détenteur d'une carte de guichet.

En conclusion, en janvier 2002, le contrat de trois institutions financières est conforme au code.

Deux sont ambigus et trois autres n'y sont pas encore conformes.

Et cela 10 ans après l'entrée en vigueur du code.


Le principe qui prévaut

Le principe derrière le Code, c'est que les institutions financières sont responsables des imperfections de leur système.

L'utilisateur qui paie des frais a droit à des services sécuritaires.

Un conseil : si vous êtes victime de vol et si votre institution financière vous demande de réclamer l'argent perdu à votre compagnie d'assurance, rappelez-vous que c'est à elle de vous rembourser, et non pas à votre assureur.

 

Hyperliens pertinents

Code de pratique canadien des services de cartes de débit

Industrie Canada

 


 

 

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