Vol
à l'étalage : des commerçants imposent de lourdes
amendes
Le
vol à l'étalage fait perdre en moyenne 835 000 $ par jour aux commerçants
québécois. Pour lutter contre ce fléau, de nombreux magasins à rayons
imposent eux-mêmes des amendes importantes aux voleurs pris sur le fait.
S'ils ne payent pas, on les menace de poursuite civile. Plusieurs consommateurs
se demandent si c'est une forme de justice privée, d'abus de pouvoir
de la part de commerçants qui se substituent aux policiers et aux juges.
Une grosse amende pour un vol dérisoire
C'est
le cas d'un homme de l'arrondissement de Saint-Léonard, à Montréal.
En septembre
dernier, il est arrêté en présence de sa mère, dans le magasin Canadian
Tire de Montréal-Nord.
Il a volé deux recharges désodorisantes pour la voiture, d'une valeur
de 3,49 $.
Le
détective de l'établissement l'emmène dans un bureau et lui montre une
vidéo : il s'y voit en train de mettre les recharges dans ses poches,
puis dans le sac d'emplette de sa mère.
La preuve est accablante.
On lui propose de payer immédiatement une amende de 315 $.
Sinon,
les avocats du magasin lui enverront une mise en demeure l'informant
que, s'il ne paie pas, il sera poursuivi en cour civile.
Une réaction au laxisme des tribunaux?
Le
directeur de la sécurité de la chaîne Canadian Tire prétend que le système
des amendes est plus dissuasif que le système judiciaire.
Selon lui, les tribunaux ne prennent pas le vol à l'étalage au sérieux
: les contrevenants sont condamnés à une amende de 25 $, dit-il, avant
d'être renvoyés chez eux.
Il ajoute que le magasin, de son côté, perd beaucoup de temps et d'argent
dans la poursuite.
Pourquoi une somme aussi importante?
Mais, exiger 325 $ pour un vol de 3,49 $, n'est-ce pas exagéré?
Le
directeur de la sécurité répond que sur les 325$, il reste 196 $ au
magasin une fois l'avocat payé.
L'an dernier, le programme de poursuites au civil a rapporté quelque
24 000 $ au magasin Canadian Tire de Montréal-Nord.
Cette
somme a permis d'éponger une partie des 80 000 $ consacrés annuellement
à la sécurité.
Et ce commerce n'est pas le seul à avoir un programme de poursuites
au civil.
Les commerces exigent un montant fixe
On estime que la
moitié des commerces canadiens de moyenne et de grande surface en ont
un.
Et la plupart exige des montants fixes.
Maître
Sylvain Landry n'est pas d'accord avec ce procédé : «Lorsqu'on
arrive avec un tarif "uniforme" de 300 à 400 $, j'ai un petit peu de
réserve. Je ne suis pas sûr qu'un tribunal accorderait un tel montant.»
Car un montant fixe ne tient pas compte de la gravité du vol
ni des autres préjudices subis par le commerçant, poursuit
maître Landry.
Le seul jugement disponible dans une cause de vol à l'étalage remonte
à 1997.
Zellers
avait réclamé 540 $ en dommages et intérêts tandis que le juge lui
avait accordé 215 $.
L'erreur à éviter
Notre
citoyen de Saint-Léonard regrette d'avoir payé les 315 $ avant de quitter
le magasin.
Mais il l'a fait parce que sa mère craignait qu'il n'ait un dossier
criminel.
Selon maître Landry, c'est une erreur : «Lorsque la personne a
payé, non seulement c'est un aveu, mais c'est une transaction au sens
du Code civil. Et la personne ne peut pas obtenir de remboursement,
même si elle se fait dire plus tard qu'elle n'aurait pas dû payer.»
Le voleur peut être poursuivi au criminel,
mais...
Des poursuites au criminel peuvent être intentées contre les voleurs
à l'étalage même si les commerçants les poursuivent au civil.
Dans le cas qui nous occupe, le magasin Canadian Tire a décidé
de ne pas appeler les policiers, à cause de la présence de la mère en
pleurs.
Pourtant,
même si on avait appelé les policiers, le jeune homme n'aurait pas été
poursuivi au criminel.
Car, depuis 1995, on n'intente pas de poursuite contre les adultes qui
commettent des délits mineurs, s'ils ont un casier judiciaire vierge,
et ce dans le but de désengorger les tribunaux.
Une
recherche dans la jurisprudence montre qu'une seule poursuite pour vol
à l'étalage a été jugée.
On peut donc penser que, lorsque les voleurs refusent de payer, les
commerces n'ont pas tendance à les poursuivre en justice.
Le droit des commerçants
Cependant, cette poursuite unique, gagnée par Zellers, a permis
de confirmer le droit des commerçants de réclamer des dommages exemplaires.
En
réclamant une amende, ils agissent comme tout citoyen qui réclamerait
le paiement de dommages à quelqu'un qui aurait abîmé sa propriété.
Carte
de débit : la responsabilité
des banques
Au Canada, les
institutions financières sont censées protéger les détenteurs
d'une carte de guichet automatique contre toute perte financière,
s'ils sont victimes de fraude ou de vol.
Il y a un peu moins de 2 ans, La Facture a montré que ce n'est
pas toujours le cas, en présentant l'histoire d'une consommatrice
qui s'était fait voler sa carte à une succursale de la Banque de Montréal,
à Longueuil.
La banque réclame le fruit du vol
En
janvier 2000, la dame se rend au guichet de la banque.
Sur
place, deux individus utilisent un subterfuge pour lui voler son numéro
d'identification personnel et remplacer sa carte de débit par une
autre obtenue frauduleusement.
La dame constate le vol de sa carte le jour même et en avise
la banque immédiatement.
Mais
les voleurs ont eu le temps de retirer 1000 $ de son compte, même
s'il n'en contenait qu'une centaine.
Car le compte de la dame lui donne droit à un montant en cas de découvert.
Avec pour résultat qu'elle doit rembourser 945 $ à la banque.
Les banques sanctionnent les victimes
Comme nombre de consommateurs, elle s'est fait induire en erreur par
sa banque.
Maître Édith Fortin, une experte en droit bancaire, explique
qu'un code de pratique protège les détenteurs de carte dans des cas
semblables et que les banques assument la responsabilité des pertes.
C'est en effet ce que dit le Code de pratique canadien des services
de cartes de débit, un code d'éthique auquel toutes les banques ont
adhéré.
Et
c'est le gouvernement fédéral, via Industrie Canada, qui en surveille
l'application.
Un code peu contraignant
Mais ce code n'est pas une loi.
En
conséquence, Industrie Canada doit compter sur la bonne volonté des
institutions financières pour l'appliquer.
Le
résultat n'est pas reluisant : dans leurs conventions d'utilisation
des cartes de guichet, six des huit principales institutions financières
canadiennes contrevenaient au code de pratique en mars 2000. Ce qu'Industrie
Canada ignorait jusque là.
Et aujourd'hui?
Qu'en est-il presque deux ans plus tard?
Les contrats de la CIBC et de la Banque nationale, qui protégeaient
leurs clients en cas de fraude, sont restés conformes au Code de pratique
canadien des cartes de débit.
Après
la diffusion du reportage de La Facture, Industrie Canada a
demandé aux six institutions contrevenant au code, de modifier leur
contrat.
Le nouveau contrat de la Banque de Montréal
La Banque de Montréal l'a fait.
Mais,
selon maître Édith Fortin, le nouveau contrat n'est pas plus clair
: «On laisse supposer qu'il n'y a pas de responsabilité après
avis (déclaration du vol ou de la perte de la carte de guichet), mais
que, pour les sommes que le fraudeur a transigées avant avis, le client
serait responsable.»
Elle ajoute que la clause est ambiguë : «On pourrait dire qu'elle
est non conforme parce qu'elle n'est pas claire sur le fait que le
client en aucun cas n'est responsable, ni avant, ni après (l'avis).»
Le contrat de la Banque Royale : non conforme
Industrie Canada a aussi demandé à la Banque Royale de se conformer
au code de pratique car sa convention tient le détenteur de la carte
responsable des transactions effectuées avant la déclaration de perte
ou de vol.
«Comment
est-ce qu'on peut les prévenir d'avance? interroge maître Fortin.
Cette clause me semble impossible. Et une clause impossible est considérée
comme nulle.»
Malgré le libellé de leur contrat, les deux banques affirment que
leurs clients sont presque toujours protégés en cas de fraude.
La Toronto-Dominion procède au cas
par cas
Quant au contrat de la Toronto-Dominion, il tient le détenteur d'une
carte responsable de toutes les opérations non autorisées effectuées
avant la réception
d'un avis de fraude ou de vol.
Mais le contrat indique aussi que la TD peut, à sa discrétion, libérer
son client de toute responsabilité, si elle retrouve le responsable
de la fraude.
Pour maître Fortin, la banque fait du cas par cas.
Elle précise que si elle juge que son client a été négligent, la TD
le tient responsable. «Ce n'est pas du tout ce que dit le code»,
conclut-elle.
La TD avait reçu, elle aussi, un avis d'Industrie Canada lui rappelant
que les victimes de fraudes ne doivent pas être tenues responsables.
En
vain.
L'obligation d'aviser immédiatement
après le vol
Sur le nouveau contrat de la Banque Scotia, maître Fortin affirme
: «L'obligation d'aviser immédiatement (après le vol) me semble
lourde. Le code n'en impose pas autant parce qu'on peut facilement
être dans des situations … où on ne réalise pas tout de suite ce qui
s'est passé.»
De plus, elle reproche à la formulation du contrat de manquer de clarté.
Ce qui, selon elle, peut entraîner un traitement différent, selon
le préposé qui reçoit la plainte du client.
Le Mouvement Desjardins : pas responsable
si...
Le Mouvement Desjardins ne tient pas le détenteur d'une carte responsable
des pertes seulement s'il a été «obligé, sous la menace»
de remettre sa carte à un voleur.
Pour
tous les autres cas, maître Fortin qualifie le contrat d'ambigu.
Comme elle, Industrie Canada concluait l'an dernier que son contrat
protège Desjardins.
Pourtant le Mouvement ne l'a pas modifié.
La bonne nouvelle
La
Banque Laurentienne, enfin, est la seule à avoir modifié son contrat
de manière à protéger complètement le détenteur d'une carte de guichet.
En conclusion, en janvier 2002, le contrat de trois institutions financières
est conforme au code.
Deux
sont ambigus et trois autres n'y sont pas encore conformes.
Et
cela 10 ans après l'entrée en vigueur du code.
Le principe qui prévaut
Le principe derrière le Code, c'est que les institutions financières
sont responsables des imperfections de leur système.
L'utilisateur qui paie des frais a droit à des services sécuritaires.
Un conseil : si vous êtes victime de vol et si votre institution financière
vous demande de réclamer l'argent perdu à votre compagnie d'assurance,
rappelez-vous que c'est à elle de vous rembourser, et non pas à votre
assureur.