Heureux
qui comme Ulysse...
n'a pas raté son voyage
Une
enquête de la Facture
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Ils
étaient quatre étudiants, trois filles et un garçon, qui rêvaient de
faire un beau voyage.
Au
printemps dernier, ils achètent un forfait tout compris pour un séjour
d'une semaine au «Sunflower Beach Resort and Villas», un
centre de villégiature situé au bord de la mer des Caraïbes.
Le quatuor est revenu frustré de son séjour en Jamaïque.
Mer et monde pour pas cher
C'est
une agence de voyages de Boucherville qui vend le forfait, mais c'est
le bureau-voyage d'un cégep de Montréal qui en fait la promotion.
Avant d'acheter les forfaits, le quatuor se renseigne sur le «Sunflower».
Au bureau-voyage
du cégep, on lui remet le dépliant de l'agence de voyages et on lui
dit, affirme le groupe, que le centre de villégiature est coté quatre
étoiles et demie.
D'ailleurs,
le dépliant parle de «villas luxueuses» et de «centre
en bord de mer».
Comme
c'est un forfait tout compris, le quatuor a droit à trois repas et aux
boissons.
Les
étudiants déboursent 1050 $ chacun pour découvrir que le dépliant les
a trompés.
Les
représentants du bureau-voyage du cégep rejettent les accusations de
fausses représentations.
Ils soutiennent que le dépliant est conforme à la réalité.
«L'un des pires centres de villégiature»
La
Facture se rend au «Sunflower».
Elle occupe
la même villa que les étudiants, et constate que leurs allégations sont
vraies : les toilettes sont sales, le mur autour du climatiseur n'est
pas étanche, les robinets s'effritent, les moustiquaires sont défoncées,
les chaises longues aussi.
Benoît
Laforêt, coordonnateur de 14 bureaux-voyages dans la région de Montréal,
a séjourné au «Sunflower».
Selon lui, c'est probablement l'un des pires centres de villégiature
parmi ceux qu'il connaît.
La plage… de cailloux
Déçu par la piètre qualité du centre, le groupe se console en pensant
que le «Sunflower» a une plage.
Mais
il s'aperçoit que, si la mer est bien là, elle vient battre contre un
amas de roches.
Pour
se baigner, les étudiants doivent marcher une vingtaine de minutes sur
une route nationale passante. Quant à la navette devant assurer le transport,
La Facture l'attend en vain une heure et demie.
Pour leur défense, les représentants du bureau-voyage brandissent le
feuillet Info-voyage.
Selon eux, il y est écrit qu'il faut marcher 15 minutes ou prendre une
navette gratuite pour se rendre à la plage.
En fait, la seule référence à l'emplacement géographique de la plage
dans l'Info-voyage concerne un autre complexe hôtelier,
l'Alamanda.
François
Lebeau, un avocat qui représente souvent les agences de voyage, affirme:
«On pourrait nous dire que, si l'Alamanda est situé à 15 minutes
de marche, c'est donc que vous aussi vous êtes situés à 15 minutes de
marche. Mais, ce n'est pas comme ça qu'il faut lire un texte.»
Où est la plage?
Les quatre étudiants, se fiant à une photo du dépliant, pensaient que
le centre de villégiature était situé sur la plage.
Normand
Fortier, le directeur de l'École April-Fortier, est d'accord avec
eux : «La brochure donne l'impression que le "seaside" qui est
là, avec la photo qui est là, c'est ça qu'on va voir devant l'hôtel.
Pour moi, c'est clair.»
Et il ajoute : «Pour moi, c'est trompeur parce que ça laisse l'impression.»
C'est justement l'impression générale qu'elle laisse qui détermine si
une publicité est trompeuse.
«Le
critère pour analyser l'impression générale, explique Me François
Lebeau, n'est pas ce que comprend un spécialiste en voyage, ni un
consommateur moyen, mais ce que comprend un consommateur crédule.»
Après avoir
analysé le dépliant remis aux étudiants, il déclare: «Même un
consommateur moyen aurait toutes les raisons de croire que les villas
sont situées sur la plage, le consommateur crédule encore plus.»
Le quatuor se plaint au représentant de l'agence de voyages en Jamaïque.
Celui-ci décline toute responsabilité pour les représentations faites
par le bureau-voyage du cégep. À Montréal, le président de l'agence
fait de même.
Mais Me Lebeau est d'un avis contraire : l'agence de voyages est responsable
des représentations faites par le bureau-voyage.
Retour à la dure réalité
De retour à Montréal, les quatre étudiants réclament le remboursement
des forfaits à l'agence de voyages, qui refuse de les dédommager.
Le
groupe attend l'audition de sa cause devant la Cour des petites créances.
L'organisme Tourisme-Jeunesse, qui regroupe la moitié des bureaux-voyages
présents dans les cégeps et universités, a adopté en août dernier de
nouvelles règles de fonctionnement.
Sauf que le bureau-voyage qui a vendu les forfaits au quatuor n'adhère
pas à Tourisme-Jeunesse.
La
Facture mène l'enquête
en Jamaïque
La Facture
a voulu en savoir plus sur l'industrie des voyages au soleil. Elle
a cherché des réponses à deux questions :
· les catalogues distribués par les agences de voyages reflètent-ils
la réalité?
· les agents de voyage donnent-ils les informations permettant
aux vacanciers de prendre une décision éclairée?
La réalité est-elle à la hauteur des catalogues?
Pour faire ce test, La Facture a visité 20 centres de villégiature
en Jamaïque, de catégories économique, standard et intermédiaire.
Ainsi, nous avons pu les comparer aux photos des catalogues de trois
grossistes qui offrent la Jamaïque comme destination-soleil.
Quatre hôtels
retiennent notre attention.
Premièrement, le «Turtle Beach Towers» : un des catalogues
explique qu'il donne sur la baie d'Ocho Rios. Mais il ne dit pas que
la vue côté jardin donne sur un port de marchandises.
Deuxièmement,
l'hôtel Samsara, à Négril, est illustré par une seule photo : le bar-restaurant.
L'hôtel n'y figure pas et pour cause : il affiche des signes de vieillissement
évidents.
Troisièmement,
un autre catalogue ne mentionne pas que les touristes du «Beachcomber
Club», à Negril, doivent partager leur terrasse avec leurs voisins.
Quatrièmement,
une photo servant à illustrer le «Doctor's Cave Beach Hotel»,
à Montego Bay, montre une partie de la piscine. Sur place, La Facture
constate sa dimension plutôt réduite.
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De
plus, malgré son nom, l'hôtel ne donne pas sur la plage, mais sur
la rue principale. Le catalogue ne dit pas, non plus, qu'il faut payer
pour avoir accès à la plage, située à deux pas de l'hôtel.
Malgré ces quatre exemples, nous devons conclure que les catalogues
reflètent assez bien la réalité.
Au retour, le voyage dans les agences
De retour à Montréal, La Facture contacte 13 agents de voyage
dans le but de savoir s'ils connaissent les omissions des catalogues.
Plusieurs agents comprennent que notre budget est limité et se mettent
en quête d'un forfait économique chez les grossistes.
Mais, en règle générale, ils semblent plus familiers avec les produits
haut de gamme.
Aussi, leurs réponses aux questions sur les hôtels visités en Jamaïque
laissent songeur.
Certains agents ignorent que la vue côté jardin du «Turtle Beach
Towers» donne sur un port de marchandises.
Quand à l'hôtel Samsara, ses deux étoiles et demie accordées par le
grossiste mettent la puce à l'oreille à la plupart des agents.
Il s'en trouve, pourtant, pour ignorer son état de décrépitude et
dire que c'est un bon hôtel.
Dans le cas du «Beachcomber Club», des agents ignorent
le manque d'intimité des balcons.
Finalement,
tous les agents signalent que le «Doctor's Cave» n'est
pas au bord de la mer, mais presque personne ne nous parle de la plage
privée située tout près.
En résumé, nous relevons plusieurs imprécisions et inexactitudes,
mais en règle générale, les agents semblent connaître assez bien leurs
produits.
Dans le cas contraire, ils se montrent disposés à pousser leurs recherches.
En conclusion, comme les catalogues sont faits pour encourager le
rêve, Me
François Lebeau suggère aux consommateurs de demeurer vigilants
: «Les gens voient une publicité et se disent : "Ça sera
le plus beau voyage qu'on fera, on va être logé dans un hôtel extraordinaire."
Il faut retomber les deux pieds sur terre. Les photos sont souvent
prises dans le meilleur angle. Il faut que les gens conservent un
jugement objectif. Le voyage ne sera peut être pas aussi bien que
leurs plus grands espoirs.»