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Trans Mountain : aussi essentiel qu’insensé, à entendre ses voisins

L’oléoduc agrandi entre officiellement en service mercredi. C’est l’aboutissement d’un énorme chantier qui n’a cessé de diviser l’ouest du pays ces 10 dernières années.

Le dépôt pétrolier d'Edmonton vu des airs.

Trans Mountain achemine le pétrole issu des sables bitumineux albertains depuis un vaste dépôt près d'Edmonton jusqu'à Burnaby, en Colombie-Britannique.

Photo : Radio-Canada / Richard Marion

Tout le long du pipeline Trans Mountain, un énorme tuyau de 1150 km, son acceptation sociale varie d'un extrême à l'autre. C'est qu'il pourrait générer des milliards de dollars de retombées économiques, en augmentant la capacité de transport du pétrole albertain vers la côte ouest. Mais son exploitation pose des risques environnementaux démesurés, selon ses opposants.

Dawn Watts exploite une entreprise d’écotourisme et une ferme horticole spécialisée dans les plantes indigènes comestibles et médicinales, à Gainford, à 90 km à l’est d’Edmonton, en Alberta.

Je ne suis pas du genre à embrasser les arbres – bien que j’adore mes arbres –, mais je suis certainement soucieuse de l’environnement.

Une citation de Dawn Watts, résidente de Gainford et propriétaire de Medieval Manor Gardens
Dawn Watts nourrissant ses poules dans un enclos.

Dawn Watts préconise les pratiques de culture et d'élevage écoresponsables au sein de son entreprise Medieval Manor Gardens.

Photo : Radio-Canada / Joshua Mclean

Dans le hameau de Gainford, où vivent à peine plus d’une centaine de personnes, la fermeture de mines de charbon a été dure pour l’économie.

Ici, les gens qui ne sont pas fermiers vivent du pétrole et du gaz, ou encore travaillaient dans le charbon avant que tout ferme, explique l’horticultrice. Pour elle, le pipeline crée de l’emploi et permet de donner un nouveau souffle à la région.

Il constitue aussi, pour les résidents de Gainford, un moindre mal.

Des véhicules d'urgence sur la scène d'un déraillement de train près de Gainford en Alberta.

En octobre 2013, 13 wagons dont 4 transportant du pétrole brut ont déraillé et se sont enflammés à Gainford, en Alberta.

Photo : La Presse canadienne / JASON FRANSON

Gainford est traversé depuis des années par des trains qui transportent du pétrole. La petite communauté a été le théâtre d’un accident ferroviaire en 2013, quelques mois après la catastrophe de Lac-Mégantic.

Le train a déraillé et tout s’est enflammé. Le recouvrement de notre maison a fondu, les arbres ont pris feu. C’était affreux, se souvient Mme Watts, la voix enterrée par le grincement d’un train qui passe par hasard à ce moment-là de l’autre côté de sa terre.

Moins bruyant que le train, le pipeline devrait surtout être plus sécuritaire, estime-t-elle.

Don Patterson au comptoir-caisse de son commerce avec une employée.

Don Patterson estime que ses ventes ont augmenté d'environ 30 % grâce à l'afflux de travailleurs pendant les travaux d'expansion de Trans Mountain.

Photo : Radio-Canada / Joshua Mclean

Une centaine de kilomètres plus à l’est, à Edson, l’expansion du pipeline a aussi généré des retombées économiques importantes.

La construction a suscité beaucoup d’enthousiasme et donné un fier coup de main aux entreprises d’ici, se souvient Don Patterson, résident d'Edson et propriétaire d'un magasin de fournitures industrielles.

Toute sa vie, le commerçant a vu sa ville de 8000 habitants osciller entre booms et creux économiques.

Le projet d'expansion de Trans Mountain a attiré des milliers de travailleurs supplémentaires dans sa communauté. Les hôtels, les restaurants, les commerces locaux : tout le monde en a profité.

Les gens d’ici sont propipelines et c’est bien normal. En Alberta, c’est une part importante de nos vies et c’est le gagne-pain de nombreuses familles.

Une citation de Don Patterson, propriétaire de Patterson’s Parts and Supply

L’expansion de l’oléoduc a soutenu plus de 36 000 emplois directs et indirects depuis sa mise en chantier en 2019, souligne Trans Mountain Corporation, la société d’État créée lors du rachat du projet par le gouvernement fédéral l’année d’avant.

Le reportage d'Anne Levasseur

Le projet d’expansion de Trans Mountain consistait à dédoubler, sur toute sa longueur, un oléoduc construit dans les années 1950, et d’augmenter sa capacité de transport de 300 000 barils de pétrole brut par jour à 890 000. Il a été annoncé pour la première fois en 2012 par l’entreprise Kinder Morgan, qui en était alors propriétaire. En 2018, le gouvernement fédéral s’est porté à la rescousse du projet qui battait de l’aile et l’a racheté pour 4,5 milliards de dollars. La facture de l’expansion dépasse aujourd’hui 34 milliards de dollars, soit près de cinq fois plus que les estimations initiales.

Ce pipeline est vital pour l'économie de l'Alberta.

Le dédoublement de l’oléoduc sur toute sa longueur permettra d’augmenter la production de pétrole albertain d’environ 10 % et de tripler les exportations vers l'Ouest américain et les marchés asiatiques.

D’un point de vue économique, ce pipeline est probablement essentiel. Il va apporter énormément de revenus.

Une citation de Charles St-Arnaud, économiste en chef d'Alberta Central
Charles St-Arnaud devant son ordinateur portable.

L'expansion du Trans Mountain devrait permettre aux producteurs canadiens d'obtenir un meilleur prix pour leur pétrole et réduire l'écart avec les producteurs américains, selon l'économiste Charles St-Arnaud.

Photo : Radio-Canada / Anne Levasseur

D’après l’économiste, l’augmentation de la capacité de Trans Mountain permettra à l’Alberta de recevoir près de 2 milliards supplémentaires en redevances chaque année.

Ce sont là des revenus directs, sans inclure les impôts sur les revenus des entreprises et sur le revenu des particuliers, qui vont aussi augmenter avec la hausse de la production, dit-il.

Ce 1er mai marque le début de l'exploitation commerciale du réseau agrandi de Trans Mountain. Il faudra toutefois quelques semaines avant que le pétrole coule au maximum de sa capacité dans la nouvelle canalisation.

La société d’État prévoit charger le premier navire à partir de celle-ci d’ici la mi-mai.

M. St-Arnaud est d’avis que le gouvernement fédéral pourra aussi, à terme, bénéficier de ce projet, et ce, malgré la facture de sa construction, qui dépasse maintenant 34 milliards de dollars.

Dans un contexte canadien où on aura besoin d’énormément de capitaux au cours des prochaines années, avoir des revenus fiscaux supplémentaires va atténuer énormément les pressions budgétaires qu’on a en ce moment, estime-t-il.

Un marqueur jaune indique la présence du pipeline devant une route en montagne.

Le long du tracé de 1150 km, des marqueurs jaunes signalent la présence du pipeline.

Photo : Radio-Canada / Joshua Mclean

À l’ouest des Rocheuses, en Colombie-Britannique, l’acceptabilité sociale du projet est tout autre, et les points de vue varient davantage.

On n’est pas contre l’exploitation des ressources, mais contre le fait d’être ignorés et d'être pris avec de gros gâchis.

Une citation de Michael LeBourdais, chef de la nation Whispering Pines

Les terres de son ranch, à 40 km au nord de Kamloops, sont traversées, comme celles de l’ensemble de sa nation, par l’oléoduc original depuis 1954. On y pense tout le temps. On passe dessus en voiture, à pied, tous les jours. On a fini par s’y habituer.

Michael LeBourdais à côté d'un piquet jaune signalant le passage souterrain du pipeline sur sa terre.

Michael LeBourdais préside le Western Indigenous Pipeline Group, un consortium de 39 Premières Nations intéressé à devenir propriétaire de Trans Mountain.

Photo : Radio-Canada / Joshua Mclean

Or, M. LeBourdais en a assez de vivre avec cette présence souterraine sans pouvoir en tirer de bénéfices. Sa communauté fait partie d’un consortium de Premières Nations qui espère aujourd’hui acquérir des parts de Trans Mountain.

S’il faut vivre avec les risques, mieux vaut avoir notre mot à dire et une part des profits, fait-il valoir.

Pour une petite communauté comme la nôtre et pour toutes les autres le long du tracé, ce serait majeur. On parle de plus de 550 millions de revenus par année. [...] Nous n’aurions plus à demander de l’argent au gouvernement chaque fois que nous voulons construire une maison, un centre pour aînés... On pourrait s’autofinancer.

Une citation de Michael LeBourdais, chef de la nation Whispering Pines

L’idée de profiter de ce pipeline est toutefois loin de faire l’unanimité parmi les Premières Nations qui vivent le long du tracé.

Miranda Dick sur les berges de la rivière.

La matriarche de la nation Tk'emlúps te Secwépemc organise régulièrement des cérémonies pour la protection de l'eau et pour sensibiliser son peuple aux risques liés à la présence du pipeline sur ses terres.

Photo : Radio-Canada / Joshua Mclean

Miranda Dick, matriarche de la nation Tk'emlúps te Secwépemc, ne peut concevoir de s’associer à un projet comme Trans Mountain.

Les gains seront de courte durée par rapport à la menace que le pipeline représente pour notre peuple, dit-elle. La terre appartient à nos enfants. La terre ne peut pas être vendue ou cédée à qui que ce soit.

Elle s’inquiète des conséquences d’une fuite de pétrole sur les réserves d’eau de sa nation, établie sur les berges de la rivière Thompson Nord, et sur l’écosystème environnant.

Ma crainte, c’est qu’en cas de fuite, aucune opération de nettoyage ne puisse éponger les dégâts.

Une citation de Miranda Dick, matriarche de la nation Tk'emlúps te Secwépemc

Et plus on s’approche de la côte, plus le spectre du désastre écologique inquiète.

Jim Leyden devant son poste de garde.

De son poste de garde traditionnel, l'aîné Jim Leyden surveille les opérations de Trans Mountain au dépôt pétrolier voisin, mais aussi sur les eaux de l'anse Burrard.

Photo : Radio-Canada / Joshua Mclean

La question n’est pas si, mais quand nous subirons un déversement, croit Jim Leyden, aîné de la nation Coast Salish.

À Burnaby, les raisons de s’inquiéter de la mise en service du nouveau pipeline sont nombreuses.

Avec l’expansion du Trans Mountain, plus de 400 pétroliers vont naviguer dans l’étroit passage de l’anse Burrard chaque année. C’est plus qu’un par jour. Et c’est sept fois plus qu'auparavant.

Un pêcheur lance un filet à l'eau depuis une plage de l'anse Burrard.

L'anse Burrard, dont les vagues balaient toutes les plages de Vancouver, abrite un riche écosystème marin.

Photo : Radio-Canada / Joshua Mclean

La détérioration de l’environnement acoustique sera majeure pour les orques. Leur habileté à chasser et à trouver de la nourriture sera considérablement réduite par tout ce bruit.

Une citation de Valeria Vergara, docteure en zoologie et chercheuse pour la Raincoast Conservation Foundation

Le passage d’autant de pétroliers représente des risques difficiles à justifier pour tout l'écosystème marin, selon la chercheuse.

Puis, il y a les risques liés à l’entreposage du pétrole au dépôt de Burnaby, à proximité de quartiers résidentiels.

Tara Shushtarian devant les réservoirs du dépôt pétrolier de Burnaby.

Tara Shushtarian songe à regret à déménager pour s'éloigner du dépôt pétrolier dont elle est actuellement voisine.

Photo : Radio-Canada / Joshua Mclean

Nous vivons sur le qui-vive. Si vous voulez voir de quoi a l’air une communauté en alerte, venez-nous voir, lance Tara Shushtarian, dont la maison est située tout près du vaste complexe d’entreposage.

La majorité des résidents rencontrés dans le voisinage sont d’avis que l’expansion du Trans Mountain est insensée.

Le gouvernement a eu l’arrogance d’acheter ce pipeline, et maintenant, il va nous le faire payer, s'insurge Elan Gibson, militante de la première heure et résidente de Burnaby.

Elan Gibson le bras levé, un pétrolier ancré derrière elle.

Elan Gibson milite contre l'expansion du Trans Mountain depuis des années. Elle s'inquiète des risques de déversement et d'accidents si un pétrolier devait percuter le pilier d'un des ponts qui enjambent l'anse Burrard.

Photo : Radio-Canada / Joshua Mclean

Un fait demeure : le pipeline est là pour de bon.

Entre les voix discordantes, il y a maintenant un désir de s’assurer qu’il est sécuritaire et que les Premières Nations qui vivent le long de son tracé pourront bénéficier d’une part des profits générés.

Le dépôt pétrolier de Burnaby vu d'une plage de l'anse Burrard.

Le pétrole acheminé par l'oléoduc Trans Mountain est entreposé au dépôt de Burnaby avant d'être chargé sur des superpétroliers qui le transporteront vers la côte ouest américaine et les marchés asiatiques.

Photo : Radio-Canada / Joshua Mclean

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