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Des aliments... et des taxes (à en perdre la tête)

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Savez-vous réellement sur quels produits vous payez des taxes à l’épicerie? Peu de consommateurs prennent le temps de s’y arrêter. Pourtant, des aliments similaires sont parfois taxés, d’autres fois non… et certains le deviennent maintenant à cause de la réduflation. Devant ce casse-tête, nombreux sont ceux qui appellent à une révision des lois fiscales en alimentation.

La plupart des biens et services que vous achetez sont taxés, sauf à l’épicerie. Les produits alimentaires de base, comme les fruits et légumes, la viande et les produits laitiers, sont détaxés. Idem pour la plupart des aliments consommés habituellement au petit-déjeuner.

À l’opposé, il y a les bonbons, les grignotines et les boissons gazeuses qui, eux, vous coûtent jusqu’à 15 % plus cher à la caisse. Mais entre les deux se glissent un grand nombre d’aliments sur lesquels des taxes peuvent s'appliquer sans même que vous vous en doutiez.

« Personne ne fait l'épicerie avec une copie des lois sur les taxes, soutient l’avocat spécialisé en fiscalité Robert Kreklewetz. La plupart des gens font des choix sans vraiment comprendre ce qui est imposable ou pas. Ils ne font que choisir de quoi se nourrir. »

Saurez-vous déterminer parmi notre sélection de produits vendus à l’épicerie lesquels sont taxables et lesquels ne le sont pas?

Prêtez-vous au jeu!

Faites votre choix parmi les deux images ci-dessous.

Lequel de ces produits est taxable?

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« Ce ne sont pas tous les produits alimentaires qui sont nés égaux, constate François Delorme, du Département de sciences économiques de l’Université de Sherbrooke. L’élément fondamental ici, c'est que la fiscalité amène à des incitatifs de consommation qui ne sont pas commodes », estime l’expert.

La complexité des lois sur les taxes fait en sorte que certains aliments, selon leur état ou leur quantité, peuvent parfois être taxés et d’autres fois non.

Prêt ou pas?

Les aliments préparés et/ou chauds, qui peuvent être consommés tels quels, sont taxés, comme un poulet de rôtisserie, des frites ou un sandwich au jambon. Le même poulet ne serait pas taxé s’il était cuit, mais vendu dans un comptoir réfrigéré.

Une portion individuelle

Plusieurs produits, comme l’eau embouteillée, le jus et la crème glacée, ne sont généralement pas taxés, sauf lorsqu’ils sont vendus en portion individuelle. Des taxes s'appliquent sur tous les formats de boisson de moins de 600 ml, et de moins de 500 ml ou 500 g pour les pots de crème glacée (ou encore 425 g pour le pouding). Un paquet de plusieurs portions individuelles ne l’est toutefois pas.

Sucré, salé

Les fruits, les noix et les grains de café, notamment, sont taxés dès qu’ils sont enrobés de sucre, de chocolat ou de miel, ou encore s’ils sont salés ou autrement assaisonnés. Les mélanges de noix, naturelles ou non, le sont aussi. Quant aux produits de l’érable, ils sont taxés seulement quand ils prennent la forme de bonbons ou de confiseries.

Une question de quantité

Les gâteaux, tartelettes, muffins, beignes et autres pâtisseries sont généralement taxables, sauf lorsqu’ils sont vendus en paquet de six portions individuelles (ou plus). Idem pour les barres céréalières et les muffins en barre.

C’est pour le petit-déjeuner?

Au-delà de leur quantité, les barres sont un monde à part. Des taxes s’appliquent sur toutes les barres granola, aux fruits et aux noix. Mais le granola vendu en céréales pour le petit-déjeuner n’en a pas. Idem pour les barres énergétiques ou protéinées vendues comme substitut de repas. Les produits de boulangerie traditionnels, aussi souvent associés au petit-déjeuner, comme le pain, les muffins anglais et les croissants, ne sont jamais taxés.

On trinque?

Il n’y a pas de taxes sur le vin de cuisine, vendu à l’épicerie comme un condiment à forte teneur en sel, contrairement à toutes les autres boissons alcoolisées, vins, bières et spiritueux inclus. Les produits désalcoolisés sont aussi taxables.

Chaque produit vendu fait l’objet de vérifications pour déterminer son statut fiscal. Parfois, l’affaire est tellement complexe que les autorités examinent autant l'étiquetage et l’emballage que la façon dont se fait la promotion du produit.

Quand la réduflation s’ajoute à l’équation

« La réduflation vient remettre l’attention sur le fait que les Canadiens sont taxés sur les aliments », reprend l’avocat Robert Kreklewetz, qui déteste les taxes et ne s’en cache pas.

« Pourquoi taxons-nous la nourriture? C'est un peu fou pour moi. »

— Robert Kreklewetz, avocat fiscaliste

En réduisant leurs formats, certaines entreprises ont modifié le statut fiscal de leurs produits, principalement lorsqu’ils passent sous les seuils associés aux « portions individuelles ».

« La réduflation frappe les exceptions des exceptions », soutient l’expert.

C’est le cas notamment pour la crème glacée, vendue en pot de moins de 500 ml, et des barres céréalières lorsqu’il n’y en a dorénavant que cinq ou moins dans la boîte. Des boissons qui passent sous les 600 ml et diverses pâtisseries emballées en paquet de moins de six articles sont aussi touchées.

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La face cachée de la réduflation

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« Pour les consommateurs, c’est pénalisant, estime François Delorme. L'effet de ça, c’est d’amener des gens à acheter des formats qui ne sont pas taxables. Ça affecte du même coup les gens qui ont moins de revenus », en plus d’encourager la surconsommation.

« C'est un effet pervers de la fiscalité que les petits formats soient taxables, alors que les grands ne le sont pas. Ça ne devrait pas être le cas. »

— François Delorme, Université de Sherbrooke

« C’est le même produit. Pourquoi on décide de le taxer?, déplore à son tour Sylvain Charlebois, directeur scientifique du Laboratoire de recherche en sciences analytiques agroalimentaires de l’Université Dalhousie. Ça peut vraiment faire mal et on ne s’en rend pas toujours compte sur notre facture d’épicerie. »

Gros plan sur les taxes

Une ou deux taxes sont perçues lors de vos achats, soit la TPS (taxe sur les produits et services) et la TVP (taxe de vente provinciale – TVQ, au Québec). On perçoit sinon la TVH (taxe de vente harmonisée), qui regroupe à la fois la TPS et la TVP. C’est différent d’une province ou d’un territoire à l’autre.

Taux de taxation au Canada

Source : Conseil canadien du commerce de détail

On dit parfois qu’un produit est détaxé ou qu’il n’est pas taxé. En réalité, tous les biens et services sont taxés, sauf qu’on applique dans certains cas, comme pour l’alimentation et les médicaments sur ordonnance, un taux de 0 %.

Interrogés à ce sujet, ni Revenu Canada ni Revenu Québec n'étaient en mesure de dire à quel point la réduflation avait modifié le statut fiscal d’un grand nombre de produits.

« Lorsqu’un fournisseur change essentiellement la façon dont il fournit un produit, il peut y avoir une incidence sur le statut fiscal », a répondu l’agence fédérale par courriel, précisant qu’elle ne tient pas de liste de « tous les produits alimentaires et de la façon dont ces produits sont fournis ».

L’avocat Robert Kreklewetz n’est pas surpris que les autorités gouvernementales en sachent si peu. « Je pense que c'est typique des gouvernements, lâche-t-il. Ce n'est tout simplement pas assez sexy comme problème pour qu’ils s’en préoccupent. »

Aidez-nous à mesurer l’ampleur de la réduflation

Au cours des dernières semaines, nous avons entrepris, avec votre aide, une recension de produits atteints par la réduflation. Vous pouvez constater les fruits de ce travail en consultant notre base de données ou continuer à nous soumettre d’autres produits en remplissant le formulaire ci-dessous.

Aussi invitées à commenter le changement fiscal de leurs produits, des compagnies comme Nestlé et Unilever, qui commercialisent les crèmes glacées Häagen-Dazs et Ben & Jerry's au Canada, ne nous ont pas répondu.

Ben & Jerry's explique toutefois, sur son site Internet, que la réduction de son contenant de 500 à 473 millilitres a notamment été faite dans un effort d’uniformiser son format avec celui vendu dans d’autres pays (473 ml équivaut à la pinte vendue aux États-Unis).

Le professeur Sylvain Charlebois doute que les entreprises ne soient pas au fait des impacts fiscaux de leurs décisions. « J’ai de la misère à croire que ces compagnies-là ne savent pas que les consommateurs doivent payer jusqu’à 15 % de plus, et que cet argent-là va à l’État », dit-il.

« On remplit les coffres de l'État. Pourquoi une compagnie ferait ça? »

— Sylvain Charlebois, Université Dalhousie

L’exemple de Ben & Jerry's offre un élément de réponse à son avis. Un changement de format peut avoir des répercussions différentes d’un pays à l’autre, puisque les règles fiscales varient, et le Canada demeure somme toute un « petit marché » sur la scène mondiale.

Réformer les lois sur les taxes

Un montage de plusieurs reçus de caisse avec la mention FP accolée aux produits taxables à l’épicerie.

Aucune réglementation n’oblige les détaillants à identifier les articles qui ont été taxés sur votre reçu de caisse. Au Québec et au Manitoba, toutefois, on trouve la mention FP, quand la TPS et la TVQ s’appliquent, ou encore F ou P, pour seulement l’une ou l’autre. Les pratiques varient ailleurs au pays.

Les lois sur les taxes telles qu’on les connaît aujourd'hui, autant au fédéral qu’au provincial, remontent à la fin des années 1980 et au début des années 1990. Auparavant, « il n'y avait pratiquement aucune taxe sur les aliments », rappelle Robert Kreklewetz.

La politique fiscale sur la nourriture a été ajustée, d’abord pour taxer les aliments et les boissons achetés à l’épicerie qui n’étaient pas destinés à la préparation des repas principaux. Seuls les aliments de base seraient alors détaxés.

Les aliments vendus en « portions individuelles » ou encore déjà préparés, chauds ou prêts à être consommés sont aussi taxés dans un souci d’équité, puisqu’ils font concurrence aux restaurants, par exemple, qui eux perçoivent la taxe sur tous leurs produits et services.

« J’ai toujours été mal à l'aise avec le concept de taxer la nourriture, affirme Sylvain Charlebois. Si la nourriture n’est pas servie ou transformée sur place, c’est moralement une erreur, à mon avis. »

Pour l’avocat Robert Kreklewetz, aucun aliment ne devrait être taxé, tout simplement.

« Tout le monde a besoin de nourriture. Ce serait comme imposer une taxe sur l'air. Taxons-nous l'air? Non, et nous ne devrions pas plus taxer la nourriture. »

— Robert Kreklewetz, avocat fiscaliste

Il peut comprendre pourquoi l'alcool et les cigarettes sont taxés. « Il y a de bonnes raisons de politique publique pour essayer d’en freiner la consommation », mais la même logique ne s'applique pas, à son avis, à la nourriture.

Des experts en santé publique estiment toutefois le contraire et jugent que les taxes sur les boissons gazeuses, les grignotines et les confiseries ont des effets bénéfiques, notamment pour en réduire la consommation. Certains voudraient étendre ces taxes à l’ensemble des aliments ultratransformés, aussi considérés comme néfastes, et même imposer des taxes supplémentaires aux boissons sucrées, dans l’optique de prévenir l’obésité, le diabète et les maladies cardiovasculaires, notamment.

Mais pour le moment, selon Robert Kreklewetz, les lois sur les taxes pénalisent surtout les familles qui n’ont pas les moyens de se payer les plus grands formats, non taxés dans certains cas, ou dont le rythme de vie parfois effréné les contraint à se rabattre sur des aliments déjà préparés.

D’autres avenues suggèrent sinon d’inclure les taxes dans les prix de vente déjà affichés, pour éviter aux consommateurs le fardeau de départager ce qui est taxé de ce qu’il ne l’est pas et qu’ils ne se retrouvent pas devant une surprise à la caisse. Mais les critiques diront que cette pratique manque aussi de transparence considérant la complexité de l’application des lois fiscales en alimentation.

En adéquation avec la société d’aujourd’hui

Un montage de plusieurs produits d’épicerie, incluant de l’eau embouteillée, du jus et de la crème glacée, notamment, considérés par la loi comme étant des portions individuelles.

Tous ces produits sont considérés par la loi comme étant des portions individuelles, et non plus des produits d’épicerie, preuve selon les experts que la définition d’une « portion individuelle », et les seuils qui y sont associés, doit être revue.

Dans tous les cas, les experts s’entendent pour dire que les lois sur les taxes pourraient être révisées en profondeur et mises au goût du jour, à tout le moins pour revoir la définition d’une « portion individuelle » aux yeux de la loi.

Peu a bougé en près de 35 ans, déplore Robert Kreklewetz.

Les ministères des Finances, au Canada comme au Québec, affirment toutefois que leurs lois font « l’objet de révision en continu » afin de les rendre « plus équitables, efficientes et efficaces » et que des modifications y sont régulièrement apportées.

Aucun changement récent n’a toutefois été fait en lien avec les produits alimentaires de base. Quant au dernier ajustement aux lois, il remonte à 2018, au moment où la commercialisation de produits du cannabis a été légalisée.

Rien n’indique non plus qu’une révision majeure sera entreprise prochainement, malgré l’impact maintenant connu de la réduflation sur le statut fiscal de centaines, voire de milliers, de produits alimentaires.

Au-delà de ce constat, relativement nouveau, le chargé de cours François Delorme, qui s’intéresse notamment à l’économie de l’environnement, croit à tout le moins que les lois devraient être revues pour refléter la réalité d’aujourd’hui.

« On devrait taxer, dans une optique d'économie circulaire, dit-il. Récompenser fiscalement les gens qui sont sobres au niveau de leur consommation. »

« Il y a des biens qui devraient être taxés parce qu’ils ont des coûts sociaux et environnementaux plus élevés. Et on devrait détaxer les biens qui nous amènent à faire des progrès dans la lutte contre le réchauffement climatique. »

— François Delorme, Université de Sherbrooke

Selon l’expert, les taxes devraient plutôt être en adéquation avec des choix écoresponsables des consommateurs ou au moins avantager les personnes à faible revenu.

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Daniel Blanchette Pelletier journaliste, Melanie Julien cheffe de pupitre, Anis Belabbas et Francis Lamontagne designers, Josselin Pfeuffer illustrateur, André Guimaraes et Mathieu St-Laurent développeurs et Danielle Jazzar réviseure linguistique